En 2006, deux sœurs aident leur mère à mourir. À sa demande, elles donnent la mort à celle qui leur a donné la vie… C’est tout en délicatesse, pudeur, mais aussi humour et tendresse, que l’on suit cette nouvelle histoire autobiographique de Zelba absolument magnifique. Elle nous avait déjà bouleversés avec « Dans le même bateau », également chez Futuropolis. Cette fois-ci, en évoquant à travers son récit la fin de vie assistée, elle nous plonge dans un univers encore tabou dans nos sociétés. Un univers qui nous concerne pourtant toutes et tous, qui sommes ou serons touchés par la perte d’un être cher. Elle a accepté de répondre à nos questions pour mieux nous aider à comprendre ce qui l’a conduit à raconter cette histoire profonde et intime. Rencontre :

« Mes mauvaises filles » est ta deuxième BD chez Futuropolis après « Dans le même bateau ». Peux-tu nous parler de la genèse de ce nouvel album ?

Après « Dans le même bateau », j’ai d’abord eu envie de ne plus faire dans l’autobio, en tout cas pas tout de suite. Je voulais me lancer dans une pure fiction, l’adaptation en BD d’un roman allemand. Mais il faut croire que ce sont les projets qui nous choisissent et non le contraire. « Mes mauvaises filles » s’est imposé à moi le jour de la mort de Vincent Lambert, été 2019, après 11 ans passés dans un état végétatif et une véritable guerre médico-médiatico-juridique. J’avais suivi les rebondissements de cet acharnement thérapeutique au fil des années, avec beaucoup d’indignation et autant d’empathie. Cela faisait plus de 10 ans que j’avais, dans mes cartons, le projet d’aborder la fin de vie de ma mère sans savoir quelle forme lui donner. On peut même dire que c’est le besoin de raconter cette histoire qui m’a poussé à faire de la BD. Une postface dessinée est d’ailleurs consacrée à la genèse de « Mes mauvaises filles », à la fin du livre.

Quant à l’écriture, j’ai procédé comme pour mon dernier livre, c’est-à-dire sans écrire de scénario en amont. Le récit se construit au fil des pages. Pour cette histoire, j’ai donné la parole à ma mère. C’est elle la narratrice. Ce procédé et son humour grinçant m’évitent de tomber dans le pathos.

Quant au style graphique, j’ai réalisé pour ce livre un gros travail sur la couleur. Il y a des parties avec une mise en couleurs très complexe, voire fastidieuse, qui correspondent aux jolis souvenirs et à un retour à la vie des deux sœurs en deuil. D’autres parties, tenues en gris-bleu, se déroulent à l’hôpital et mettent en scène cette mort assistée et ses fidèles compagnons, le doute, la peur et la culpabilité.

Tu y abordes la fin de vie assistée à travers ta propre histoire familiale. Il t’a fallu sans doute beaucoup de courage et de sincérité pour affronter ces souvenirs douloureux ?

Je pense qu’il faut du courage et de la sincérité pour chaque livre que l’on fait. Mais ne nous mentons pas, j’ai passé quelques sales moments, ha ha ha ! J’avais naïvement pensé que 13 ans après la mort de ma mère les plaies seraient cicatrisées et que le fait de changer les noms et de rajouter des parties plus romancées me protégerait. Que nenni ! La période que nous vivons actuellement, avec ses confinements et l’arrêt de toute vie culturelle et sociale, n’a certainement pas facilité la tâche. Mais il n’y a pas que des parties sombres dans ce livre. J’ai essayé d’y mettre plus de lumière que d’ombre. Et je sais que ma mère aurait été ravie d’être le personnage principal d’un livre, elle adorait se produire en public et faire le pitre !

Ta famille, notamment ta sœur, a-t-elle eu un regard sur le déroulé de ton projet ?

Pas vraiment. Même si je pense que je n’aurais pas pu faire ce livre si ma sœur s’était opposée à l’idée. Malgré la confiance qu’elle a en moi, elle a été soulagée de savoir que je romançais les parties de nos vies qui ne sont pas directement liées à la perte de notre mère. Et je l’ai consultée moult fois pour comparer mes souvenirs aux siens. C’est assez drôle d’ailleurs de voir à quel point divergent les souvenirs de deux personnes ayant vécu la même chose au même moment. Mais après tout, c’est mon livre et mon travail d’autrice nécessite de prendre ou laisser, de tordre et modeler, de distiller et, par moments, d’inventer ! L’important n’est pas que tout se soit exactement déroulé comme dans le souvenir de l’une ou de l’autre mais que les émotions soient vraies et que le récit soit fluide et intéressant à lire.

T’es-tu seulement appuyée sur ton expérience ou es-tu allée plus loin dans tes recherches ?

Chaque livre demande une documentation plus ou moins importante. Celui-ci ne fait pas exception. L’histoire se passe en Allemagne, en 2006. Je me souviens bien des lois de l’époque qui nous ont malheureusement limités au niveau de l’aide que l’on pouvait apporter à notre mère. Ces dernières années, pas mal de choses ont bougé au niveau des lois quant à la fin de vie, en Allemagne, en France et presque partout en Europe. C’était important pour moi de faire un point sur les différentes lois en vigueur, ici et chez nos voisins européens. Ces choses-là n’avaient pas leur place dans l’histoire que je raconte. Je les ai donc abordées dans la postface dessinée dont j’ai parlé plus haut. J’y résume aussi la terrible histoire de Vincent Lambert à qui je dédie d’ailleurs ce livre.

Le titre est ironique, nous nous en doutons. Est-ce un choix provocateur ou as-tu eu des jugements ou des doutes qui t’ont fait culpabiliser ?

Il y a certainement un peu de tout ça à la fois. Je voulais que le titre donne le ton. Grâce au titre, on sait qui raconte l’histoire. Et comme c’est, en tout premier lieu, une histoire d’amour (mère-filles-sœurs), je ne voulais pas laisser la moindre place à la mièvrerie. Cette ironie participe d’un certain détachement du personnage principal, elle aide à plein de moments de l’histoire à rendre supportable (voire amusante) une situation autrement dramatique. En dehors de tout cela, la culpabilité et les doutes sont inéluctables. Puis-je seulement être une bonne fille si je donne la mort à celle qui m’a donné la vie ? Le ventre et la tête ne sont pas toujours d’accord…

L’éditeur t’a-t-il laissé carte blanche ?

J’ai eu, lors de cette deuxième collaboration avec Futuropolis, au moins autant de plaisir que la première fois. Ma liberté n’aurait pas pu être plus grande. Le nombre de pages est très difficile à fixer quand il n’y a pas de scénario. J’avais ciblé environ 120 pages. Finalement, le livre en fait 160. Ce n’était pas un problème. Grâce aux confinements et au manque de distractions qui en allait de pair, j’ai pu rendre mes planches en temps et en heure. Comme quoi, chaque contrainte a ses bons côtés !

Le sujet de la mort assistée revient régulièrement sur le devant de la scène et il est important d’en parler. Beaucoup de souffrances pourraient être épargnées aux malades et leurs familles si le suicide assisté ou l’euthanasie active étaient légaux en France. Je suppose que mon éditeur est, dans les grandes lignes, du même avis que moi et qu’il n’aurait pas accompagné un récit qui prône l’acharnement thérapeutique et un retour en arrière sur certaines libertés déjà acquises.

Espères-tu toucher, même modestement, les consciences ?

La mort assistée (j’évite le mot euthanasie pour sa mauvaise connotation) est traitée depuis des décennies sous bien de formes. Beaucoup d’artistes (écrivain.e.s, chanteurs et chanteuses, réalisateurs et réalisatrices…) se sont déjà emparé.e.s du sujet. Je ne sais pas si un livre, une chanson ou un film peuvent avoir un impact assez fort pour aider à bouger les lignes. Pour cela, il nous faudrait des femmes et hommes politiques courageuses et courageux, comme en Espagne, au Portugal, en Belgique ou aux Pays-Bas… Mais je pense que plus on est nombreux et nombreuses à en parler, plus l’écoute sera grande. Je suis d’ailleurs ravie que le prochain film de François Ozon, qui sortira deux semaines après mon livre, traite aussi du sujet. En ce qui me concerne, je compte bien accompagner ce livre et plaider haut et fort en faveur de la mort assistée. Il ne faut pas oublier que personne n’est obligé d’en faire usage. Mais tout le monde devrait avoir le choix.

Le mot de la fin ?

Je pense avoir été déjà bien assez bavarde. Je me retire donc en remerciant l’Agenda Stéphanois pour le soutien fidèle de la création sous toutes ses formes (et pas toujours si locale que ça) !

Dates de dédicaces dans le coin :

Samedi 18 septembre à L’étrange RDV (à confirmer) / 15-17 octobre à la Fête du Livre de Saint-Etienne / Dimanche 28 novembre à Fontanès/Loire à « La Fontaine aux Livres » Et bien d’autres que nous ne manquerons pas de vous communiquer.