À l’occasion de la Fête du Livre de Saint-Étienne, Zelba, autrice stéphanoise, dédicacera sa dernière bande dessinée « Le grand incident ». Ses deux précédents albums, le bouleversant « Mes mauvaises filles » et l’impressionnant « Dans le même bateau » étaient déjà remarquables. Celui-ci est sensible, subtil, touchant, drôle, enrichissant, graphiquement très beau… Bref, on ne va pas en dire plus, vous l’aurez compris, on aime et on veut le partager avec vous. Ces quelques lignes devraient finir de vous en persuader !

Tu as publié 3 albums chez Futuropolis, 2 autobiographiques et un troisième, le petit dernier, est coédité avec les éditions du Louvre. Comment t’es-tu retrouvée à arpenter pendant plusieurs mois les couloirs et les salles de ce musée prestigieux ?

Après avoir terminé mon travail sur « Mes mauvaises filles », mon éditeur Sébastien Gnaedig et Fabrice Douar des éditions du Louvre m’ont lancé la belle invitation d’entrer dans la collection Louvre chez Futuropolis. Ça ne se refuse pas ! J’ai alors accepté. C’était une belle occasion pour découvrir le Louvre dans lequel je n’avais jamais mis les pieds auparavant, hahaha !

Avant de te lancer corps et âme dans ton projet, il a fallu trouver « Le » sujet de la BD… Qu’est-ce qui t’a donné le déclic ?

Plusieurs choses m’ont inspiré cette histoire du Grand Incident. Tout d’abord, une forte envie, ou plutôt un besoin, de parler de la place de la femme dans notre société encore trop patriarcale. Je cogite depuis plusieurs années sur la sexualisation du corps féminin, dont le harcèlement de rue n’est que la partie visible de l’iceberg. Nos filles jeunes adultes subissent aujourd’hui les mêmes comportements déplacés que mes amies et moi avant elles et que nos mamans avant nous. Cela montre bien que les choses n’évoluent pas assez vite. Parfois, on a même l’impression que certaines choses, que l’on pensait acquises, se dégradent de nouveau. Par exemple, je trouve très révélateur que la nudité féminine soit systématiquement bannie des réseaux sociaux. Cette pudibonderie qui pousse les gens à confondre nudité et sexualité ne fait qu’entretenir une image de la femme totalement erronée. J’avais aussi envie de fermer le Louvre dans mon histoire pour faire référence aux confinements sans parler du Covid. Cette privation de culture reste un souvenir assez traumatique pour moi.

Tu as donc choisi, à travers cet album, d’aborder un sujet complexe, malheureusement encore trop d’actualité. La place que tiennent les femmes dans l’histoire de l’art, la représentation du nu féminin, le regard que l’on porte encore sur ces œuvres, le patriarcat, etc. Quel est ton regard sur tout cela ?

Quand on regarde la représentation des femmes nues à travers l’histoire de l’art, on se rend compte qu’il y a quelque chose de récurrent et dérangeant dans nombre d’œuvres, même si ces dernières sont de véritables chefs-d’œuvre. Sous couvert de scènes bibliques et de mythologie gréco-romaine, la femme est très souvent montrée dans des poses de soumission, subissant des attouchements non consentis, des enlèvements, voire des viols. Cette image sexualisée de la femme et la banalisation de la violence sexuelle sont le résultat d’un art fait par des hommes pour les hommes. Le monde de l’art a pendant très longtemps été dominé par les hommes, autant du côté des artistes que de celui des commanditaires. Les rares femmes n’étaient pas réellement prises au sérieux, leurs œuvres n’ont donc pas été mises en valeur, exposées et conservées comme il se doit.

Bien que tu évoques des sujets importants, pas question de tomber dans la leçon de morale ni le drame. Tu préfères l’humour et le second degré ?

Oui, je pense que l’humour est un excellent allié des affaires sérieuses ! Le rire permet de dédramatiser et de rendre plus abordables les sujets qui font peur ou qui fâchent. Dans le cas du Grand Incident, dont l’histoire se déroule exclusivement au Louvre, l’absurde crée un décalage avec le vrai musée. C’est nécessaire parce que je ne pointe pas du doigt le Louvre, je l’utilise comme décor pour parler d’un problème sociétal. Le plus important pour moi est de raconter une bonne histoire sans perdre de vue la notion de plaisir pour la lectrice et le lecteur. Tant mieux si, en plus, elle fait réfléchir. Mes récits contiennent des messages qui ne doivent pas alourdir l’histoire mais l’approfondir. En tout cas, c’est ça mon but. En tant que lectrice, je déteste quand on me prend pour une imbécile, quand on me fait des leçons de morale, l’index levé et les sourcils froncés. J’ai tendance à faire confiance à mes lectrices et lecteurs. Ils sont capables de lire entre les lignes (ou entre deux rires) et de saisir les subtilités.

Le parti pris graphique donne une identité singulière à cet album et se distingue un peu des précédents ?

Les trois derniers livres ont été entièrement réalisés sur tablette graphique. Je pense qu’ils ne se ressemblent pas énormément non plus, le graphisme change toujours un peu. En fait, j’adapte mon dessin au récit. Pour ce livre qui est quasiment un huis clos au Louvre, il me fallait retrouver ma plume et des pinceaux pour travailler sur du papier. Ça parle d’art ancien, un côté plus traditionnel s’imposait alors quant à mon dessin. J’ai essayé de ne pas charger les pages, d’avoir un dessin assez épuré quant à l’histoire qui se déroule, en noir et rouge pour les scènes de jour et en noir et bleu pour les scènes du soir et de nuit. Il n’y a pas de cases. Les seuls éléments encadrés, les seuls aussi pour lesquels j’ai utilisé des aquarelles aux couleurs éclatantes, sont les toiles de Maîtres que je reproduis avec mes modestes moyens. Mon dessin est plus académique quand je reproduis des sculptures et peintures, les personnages semblent plus réalistes que ceux de ma fable burlesque. Pour ces derniers j’ai opté pour un dessin beaucoup plus caricatural, plus comique. Bizarrement, le mélange fonctionne assez bien.

Il y a également toute une galerie de personnages, dont les deux principaux, drôles et touchants. Tu peux nous en parler ?

En tout, j’ai quatre personnages principaux. Teresa et Nadir qui représentent le « petit personnel » du Louvre, celles et ceux que l’on ne voit jamais et qui font pourtant un travail essentiel. Teresa fait le ménage au Louvre depuis 30 ans. À l’opposé d’un grand nombre de personnages féminins en BD, elle n’est ni jeune, ni mince, ni juste un élément du décor. Nadir est beaucoup plus jeune qu’elle. Pourtant ils sont très amis. Lui est gardien du Louvre la nuit et étudiant en sociologie le jour. Face à ces deux-là, j’ai créé un couple de jumeaux pour la présidence-direction du Louvre. Ce couple burlesque échange de rôle régulièrement, se faisant passer l’un.e pour l’autre en échangeant la perruque contre la fausse moustache. Ils occupent la place de l’empereur de mon conte. Comme j’aime bien déconstruire les hiérarchies, ce n’est pas du côté de la direction que viendra le dénouement de la fin…

Au final il t’aura fallu combien de temps pour réaliser ce magnifique album ?

Merci pour le « magnifique » ! J’ai mis deux ans en tout. J’ai mis du temps à réellement démarrer le travail sur les planches. Si l’idée de base était là dès le départ, il m’a fallu pas mal d’essais pour trouver l’angle d’attaque et la traduction graphique de tout ça pour les dessins.

Les premiers retours sont-ils encourageants ?

Je suis absolument ravie et très touchée par tous les retours de lecture enthousiastes que j’ai reçus et les articles de presse et interviews consacrés au Grand Incident. Ce qui me fait le plus plaisir c’est que le public semble très varié. Hommes, femmes et autres, jeunes et mûres (pas les fruits, hein !)… C’est pour moi la preuve que j’ai trouvé le ton qui n’exclut personne pour parler de ce sujet.

Tu te lances dans une série promo-dédicaces bien méritée. On te voit à Saint-Étienne ?

Oui, bien sûr ! Je serai présente à la Fête du Livre et ferai une autre séance de dédicaces avant Noël (le samedi 9 décembre) à la Librairie de Paris.

Un mot pour conclure ?

Pour conclure j’aimerais dire que cela fait maintenant 22 ans que je suis intervenue dans les pages de l’Agenda Stéphanois pour la première fois. À l’époque, c’était pour une commande de la ville, une planche de BD par mois, pendant de nombreuses années. J’ai donc fait mes premiers pas dans la BD dans L’Agenda ! J’espère que dans 22 ans, j’aurai toujours le plaisir de squatter des petits endroits de cette institution stéphanoise pour parler de mes livres. Merci pour ce superbe travail de qualité depuis toutes ces années et l’enthousiasme avec lequel L’Agenda suit et met en valeur les artistes « locaux et locales » de tous horizons. Cœur sur vous !