Hélène Davière, chargée des relations publiques et de la communication pour Superstrat, a répondu à nos questions. Elle évoque pour nous le projet Superstrat. Cette association a pris un nouveau départ après avoir quitté l’Hostellerie de Pontempeyrat, tout en gardant avec elle son histoire et son expertise. Elle a installé son bureau à Saint-Étienne en fin d’année 2019. Ses « parcours d’expériences artistiques » d’un lieu à un autre, sa ligne artistique pluridisciplinaire et engagée font de Superstrat un acteur majeur de la scène culturelle. Rencontre :

Sous quelle impulsion est né le projet Superstrat ?

Le projet Superstrat est porté par l’association Regards et Mouvements qui existe depuis 1996. Pendant vingt ans, l’association a d’abord occupé un lieu, l’Hostellerie de l’Ance à Pontempeyrat (42), situé à la confluence des départements de la Loire, de la Haute-Loire et du Puy-de-Dôme, et en a fait un pôle de recherche artistique et pédagogique de renommée nationale et internationale. Nous accueillions des compagnies des arts de la rue, du cirque et de la scène sur ce site exceptionnel de 6 hectares. C’était un lieu de croisement et de rencontre pour beaucoup d’artistes et de pédagogues venu·e·s du monde entier. L’association y organisait des résidences de création avec des présentations d’étapes de travail, des formations professionnelles et un festival annuel.

La transformation de cette ancienne hostellerie en lieu de foisonnement artistique peut s’apparenter aux initiatives que le ministère de la culture a désignées à travers l’expression « les nouveaux territoires de l’art » dans les années 2000. Il s’agissait de lieux intermédiaires en marge des institutions culturelles, souvent implantés dans des espaces vacants et désaffectés et profondément enracinés dans un contexte local, souvent en milieu rural.

Cette première aventure développée par l’association s’est achevée en 2015 quand, en accord avec nos partenaires institutionnels, nous avons décidé de quitter notre lieu d’origine principalement pour des raisons liées aux coûts du bâtiment. En utilisant des termes professionnels, nous pouvons dire que nous commencions un projet « hors-les-murs » mais pour être honnête nous étions à la rue ! Nous avons alors posé les bases d’un nouveau projet sans lieu, itinérant, sur les territoires ruraux et urbains situés dans un triangle imaginaire entre Saint-Étienne, Ambert et Le Puy en Velay.

C’est ainsi que le projet Superstrat est né, en voulant transformer une situation contraignante (plus de lieu) en atout au service du développement culturel des territoires. Notre mobilité nous permet d’irriguer des communes peu équipées pour le spectacle vivant d’une offre culturelle professionnelle et diversifiée. Les artistes que nous invitons se nourrissent des espaces à disposition, des contextes et des rencontres pour faire évoluer leurs créations. Nous intervenons directement dans des espaces de vie traversés par les habitant·e·s et réinventons des manières d’entrer en relation.

Le terme « Superstrat » emprunté à la linguistique désigne une langue qui influence une autre langue sans jamais la remplacer. Cette définition faisait écho à notre nouveau mode d’action et à l’approche que nous défendons dans la rencontre avec les territoires et leurs habitant·e·s.

Le projet Superstrat est labellisé « Atelier de fabrique artistique » par le ministère de la culture depuis 2016. L’équipe est aujourd’hui constituée de 5 personnes (2 permanentes et 3 intermittentes) : Sébastien Roux à la programmation, Marie-Irma Krämer à l’administration, Hélène Davière aux relations publiques et à la communication, Fanny Thollot et Serge Lattanzi à la production et accueil technique. Sébastien est le seul membre de l’équipe présent depuis les débuts de l’association, notamment pendant l’époque de l’Hostellerie de Pontempeyrat.

Quelles sont les différentes activités ou axes sur lesquels vous intervenez ?

Notre fonctionnement sans lieu, en itinérance, nous a amené à mettre les partenariats au cœur de notre action. Chaque activité est développée en lien avec un réseau de partenaires composé de collectivités territoriales (départements, communautés de communes, communes), de structures culturelles, d’acteurs sociaux, d’établissements scolaires et d’habitant·e·s. Ces collaborations se tissent en fonction des projets artistiques et des enjeux territoriaux, permettant ainsi de construire des collaborations pérennes.

Notre territoire d’action est vaste mais nous avons tout de même deux points d’ancrage plus marqués : Loire Forez Agglomération, notre territoire historique et Saint-Étienne et sa métropole qui nous offrent d’autres types d’espaces urbains et de partenaires.

Nous nous donnons pour mission d’accompagner la création artistique contemporaine et pluridisciplinaire ainsi que l’émergence dans les disciplines des arts de la rue, du cirque et de la scène.

Cet accompagnement se traduit par la mise en place de temps de travail pour les artistes appelés « résidences » afin qu’ils·elles puissent travailler sur leurs nouveaux spectacles. Pendant ces temps de travail, nous mutualisons nos moyens avec ceux de nos partenaires pour fournir aux compagnies un apport financier, un espace de travail, du matériel technique, un hébergement et la restauration. Si la compagnie souhaite également rencontrer le public, nous pouvons mettre en place une présentation d’une étape de travail et parfois des ateliers.

Depuis 2020, nous renforçons notre engagement auprès des compagnies accueillies en résidence en programmant leur spectacle finalisé l’année d’après. Nous nous associons également avec certains partenaires pour présenter au public des spectacles incontournables de compagnies nationales et pour initier des tournées de spectacles en milieu rural.

Superstrat propose également des formations menées par des pédagogues confirmés afin de transmettre des outils d’écriture aux artistes professionnels.

Enfin, nous menons chaque année un projet d’éducation artistique et culturelle sur le territoire de Loire Forez Agglomération. Ce projet est imaginé de manière « sur-mesure », en lien avec une commune définie, ses habitant·e·s et ses enjeux.

Pour vous donner une idée, de janvier à décembre 2021, nous accueillons 9 compagnies en résidence (résidences d’une durée de 1 à 3 semaines), programmons 8 spectacles, proposons 3 formations professionnelles et développons 1 projet artistique et culturel pour et avec un territoire de Loire Forez Agglomération.

Vous couvrez ainsi la quasi-totalité de la région ?

Nous intervenons principalement dans la Loire, la Haute-Loire et le Puy-de-Dôme, ce qui est déjà très riche en termes de diversité des territoires et de qualité de rencontre ! Notre fonctionnement en itinérance implique des déplacements réguliers pour notre équipe afin de tisser nos actions dans le temps jusqu’à leur réalisation. Cela prend beaucoup de temps et nous sommes peu nombreux·ses. Il est ainsi nécessaire de se fixer quelques limites géographiques ! Nous prenons bien-sûr en compte ces déplacements dans la construction de notre saison afin de nous laisser le temps et l’espace nécessaire pour mener à bien chaque projet de manière qualitative.

Au-delà de cela, certains partenariats peuvent effectivement nous emmener un peu plus loin dans la région sans que nous y intervenions directement. Nous sommes par exemple à l’initiative d’un nouveau réseau appelé Superflux qui rassemble des programmateurs·rice·s de communautés de communes et de structures culturelles basées sur des territoires ruraux de la Loire, de la Haute-Loire et du Puy-de-Dôme mais aussi du Rhône et du Cantal. Ce réseau a pour objectif de donner un nouvel élan à la diffusion des arts de la rue à l’échelle de la région en organisant chaque année une tournée d’une compagnie émergente chez les partenaires.

Défendre la culture aujourd’hui est une gageure. Vous avez d’ailleurs la volonté de soutenir davantage qu’elle ne l’est la création féminine ?

En effet, lorsque nous choisissons les compagnies que nous allons soutenir sur une saison, nous sommes très attentifs·ves à la parité femme-homme. En 2021, nous accueillons ainsi 9 compagnies dirigées par des femmes, 5 par des hommes et 3 par des duos femme-homme.

En dehors de nos propres activités, notre équipe est également engagée dans plusieurs associations représentatives du spectacle vivant qui s’emparent de cette problématique en mettant les chiffres en lumière : il s’agit d’HF Auvergne-Rhône-Alpes (Association pour l’égalité femme-homme dans le spectacle vivant) et de la Fédération des arts de la rue Auvergne-Rhône-Alpes. Depuis les deux rapports commandités par le ministère de la culture en 2006 et 2009 sur la parité femme-homme dans le spectacle vivant qui ont fait l’effet d’une bombe, l’association HF a publié une nouvelle enquête en 2020 sur la place des femmes dans les programmations culturelles de la région. Force est de constater que les chiffres évoluent très lentement et qu’il reste beaucoup de travail à accomplir. Sur le plan national, les femmes représentent encore 60 % des étudiant·e·s en art, 40 % des artistes aidé·e·s par des fonds publics et 20 % des artistes programmé·e·s.

Nous invitons également des artistes engagé·e·s qui abordent ces inégalités et le contexte social qui les entretiennent dans leurs créations. C’est par exemple le cas de la compagnie L’Indécente que nous avons accueillie à L’échappé à Sorbiers en juillet dernier et qui a mis en scène un combat électrisant contre le patriarcat mêlant cirque, théâtre et musique live.

Il nous paraît essentiel de présenter des œuvres qui traitent de sujets de société comme celui-ci, d’autant plus que la crise sanitaire a démultiplié les inégalités de genre tout en les reléguant au second plan dans l’actualité.

Qu’allons nous découvrir à la rentrée ?

Cette rentrée, et pour la deuxième année consécutive, nous ouvrons la saison avec nos complices de l’Espace culturel La Buire à l’Horme, du service culturel de Saint-Genest-Lerpt, du Centre culturel de la Ricamarie et de l’Échappé à Sorbiers. Nous accueillons ensemble les 26000 couverts, compagnie emblématique du théâtre de rue en France, et leur spectacle Véro 1ère, Reine d’Angleterre vendredi 3 et samedi 4 septembre à 20h30 au Stade Escot à l’Horme. Une attraction théâtrale et musicale hilarante qui nous raconte, dans un décor de fête foraine, l’extraordinaire destin de Véro qui n’osait se rêver gérante de Franprix et qui finit pourtant Reine d’Angleterre ! Frissons, stupeur et crises de rires garantis !

Nous vous donnons ensuite rendez-vous samedi 11 septembre à Saint-Genest-Lerpt où nous programmons deux spectacles gratuits en partenariat avec la commune dans le cadre du festival Là où va l’Indien : L’Air de rien de la compagnie Jeanne Simone qui éveille nos oreilles à la musicalité de la ville et Perikoptô de la Débordante Compagnie, une pièce de politique-fiction en forme de réveille-méninges.

Et puis à noter dès maintenant dans vos agendas, nous présenterons le spectacle Adolescences de la compagnie sous X, compagnie stéphanoise, samedi 9 et dimanche 10 octobre dans le centre-ville de Saint-Étienne. Le spectacle croise théâtre et photographie et s’intéresse au rapport qu’entretiennent les adolescents aux espaces publics, réels et virtuels.

Un groupe de jeunes stéphanois participera également à ce spectacle gratuit qui se déroulera comme un parcours au départ de la Place du peuple.

Un mot pour conclure ?

Les mois de crise sanitaire et d’isolement que nous connaissons menacent l’espace public comme un lieu d’échanges, de circulations et de créations au profit d’un espace de restrictions et de limitations.

Nous souhaitons inviter chacun·e à se réapproprier cet espace commun en tant que citoyen·ne, cet espace « entre » qui nous relie physiquement les un·e·s aux autres. Nous construisons notre programmation avec le désir de soigner cet espace de la rencontre qui fut craint pendant des mois. S’y lancer à corps perdu, le colorer d’histoires, le faire résonner, le détourner, l’occuper, s’y plonger, le croquer à pleines dents. Prendre la parole et semer des alternatives nécessaires.

Retrouvez tous leurs événements sur le site internet www.superstrat.fr !