Actuellement en résidence à la Ricamarie, commune qui donne une place toute particulière à la culture, Simon Grangeat que l’on connaît pour son travail théâtral fort et engagé, n’a pas dit son dernier mot face au confinement. Il nous raconte ce qu’il a entrepris avec les élèves du collège Jules Vallès, ainsi que son sentiment sur le temps singulier que nous traversons !

Peux-tu te présenter et résumer en quelques mots ton parcours ?

Je suis auteur de théâtre. Mon travail commence aux frontières du théâtre documentaire (TINA – Une brève histoire de la crise démonte la crise des subprimes ; Un Cœur Moulinex retrace l’histoire de l’industrie puis de la désindustrialisation en France ; Terres Closes se promène le long des murs érigés entre les États…). Depuis plusieurs années, je m’éloigne un peu de ce processus strictement documentaire pour inventer des histoires, créer des personnages qui s’ancrent dans le réel, mais qui suivent leur propre logique « fictionnelle » (Du Piment dans les yeux croise le parcours d’un jeune homme traversant l’Afrique pour continuer ses études et d’une jeune femme qui fuit la guerre qui dévaste son pays ; Comme si nous… mène l’enquête sur une disparition d’enfants dans le massif de la Chartreuse ; Qui vive interroge les enfances maltraitées). Mes textes ont pour la plupart une adresse adolescente, même si je reste vigilant au fait qu’ils puissent toucher tout le monde.

Tu es en résidence à la Ricamarie et interviens au Collège Jules Vallès. En quoi consiste cette résidence et ce projet ?

Ma présence au sein du collège Jules Vallès trouve son origine dans un projet plus large que nous développons depuis trois ans avec le Centre culturel de La Ricamarie ainsi qu’avec les théâtres de L’Horme, de Montbrison et de Roanne. Depuis trois ans, les élèves de CM1, CM2 et sixième peuvent participer au prix Kamari, prix de littérature théâtrale d’aujourd’hui. Ils lisent trois pièces par an, des pièces encore inédites, accompagnés par des artistes intervenants. À l’issue de ces lectures, des comités de lecture prennent place dans chacune des classes, au cours desquels les élèves argumentent pour défendre le texte qu’ils préfèrent. Ce processus de sélection se répète dans les classes, puis dans chaque théâtre, puis pour le prix départemental. L’une des « récompenses » de ce prix sera une résidence de création, proposée à l’auteur ou à l’autrice lauréate. C’est dans ce cadre que j’expérimente la résidence au collège Jules Vallès, avant d’ouvrir le dispositif aux lauréats choisis par les élèves.

Concrètement, une résidence de création consiste à inviter (et à rémunérer) un auteur ou une autrice, pour s’installer au collège, y écrire un texte personnel et en parallèle rencontrer et faire écrire les élèves. Il s’agit autant d’un moment de pratique artistique pour les élèves que du partage du quotidien d’un ou d’une artiste au travail. Se rendre compte du travail. Entendre les questions qu’il ou elle se pose. Prendre part à ses interrogations. Tenter des réponses collectives…

Pourquoi est-ce important pour toi d’être dans l’action dans ce moment si insolite ?

Les premiers jours de ma présence au collège étaient un peu irréels. Tout était tellement à l’arrêt que continuer à vivre et à travailler normalement avait un côté décalé, un peu dérangeant même. Pour autant, personne n’a jamais émis le moindre doute quant à la nécessité de maintenir la résidence, tant que les conditions sanitaires nous l’autorisaient. Les liens entre les établissements scolaires et les théâtres sont anciens. Les liens entre les artistes, les enseignants, les enseignantes et les élèves aussi. Pour autant, je crois que tous ces réseaux tissés années après années sont extrêmement fragiles. Les scientifiques racontent que l’être humain s’habitue à la disparition des espèces, que notre corps ne se souvient pas qu’il n’y a plus tel insecte dans les airs ou tel oiseau chantant autour de nous. Ce serait l’une des raisons rationnelle pour comprendre l’inertie humaine face au bouleversement climatique : l’effacement de notre mémoire de ce qui n’est plus. Je pense qu’il en est un peu de même pour la présence des artistes dans la cité. Il est donc pour moi primordial que le lien et le sens de notre présence ne se perdent pas, malgré les circonstances. Au contraire, même.

De manière plus générale, comment vis-tu ce moment et quel impact a-t-il sur ton métier ?

Les auteurs et les autrices que je côtoie sont dans des situations paradoxales. Évidemment, la raison d’être de notre écriture est le passage à la scène. En cela, la fermeture des théâtres ferme tous les horizons, à court et moyen terme (la désorganisation totale des calendriers en place depuis le mois de mars dernier se fera sentir pendant des années encore…). Pour autant, nous ne sommes pas empêchés d’écrire – au contraire peut-être, puisqu’ayant moins de contraintes extérieures, nous nous trouvons avec plus de temps… Il y a donc des pièces qui s’écrivent ! Le problème va apparaître plus tard, encore une fois, lorsque les spectacles du printemps ont été reportés à l’automne, ceux de l’automne à l’hiver, au printemps… Cela déstabilise l’ensemble de l’écosystème culturel et le choc risque d’être très violent, s’étirant là encore sur plusieurs années.

La culture doit-elle se réinventer selon toi ou est-ce à l’état de mieux la soutenir ?

Les artistes ne cessent de se réinventer, d’expérimenter, de tenter des pas de côté. Les structures culturelles (théâtres, institutions, partenaires divers et variés) sont plus souples que ce qu’on veut bien sous-entendre. Elles aussi tentent, de leur côté et avec leurs logiques propres, d’accompagner les mouvements, d’inventer de nouvelles propositions, de nouveaux dispositifs… C’est ce commun qu’il faut mettre en avant parce qu’il est porteur d’avenir, d’imprévus et de la joie des aventures qu’il nous reste à inventer. Pour le reste, l’État est dans un moment historique où même le mot culture n’est plus prononcé à l’occasion des discours présidentiels… C’est assez signifiant comme cela et ne peut que nous encourager à demeurer du côté de la puissance d’agir, de ce qui fait nos raisons d’être.

Que prévois-tu après cette résidence et où pourra-t-on te découvrir si tout se déroule « normalement » ?

À partir du mois de janvier, je vais mener un projet à la frontière espagnole autour de La Jonquière et de la vie des adolescents voisins de ce « Las Végas » européen. Je continue aussi un travail au long cours sur l’enfance maltraitée qui va me mener à rencontrer des jeunes placés par la justice dans des Maisons de l’Enfance à Caractère Social. Par ailleurs, je suis également responsable du comité de lecture de la comédie de Caen et continuerai donc mes actions là-bas. Nous allons notamment nous atteler à la construction du troisième volume de la revue La Récolte, revue annuelle des écritures théâtrales d’aujourd’hui, portée par huit comités de lecture (et que vous pouvez trouver dans toutes les bonnes librairies !). Vous pouvez également découvrir mon travail dans les librairies (Du Piment dans les yeux et Comme si nous sont publiés aux éditions des Solitaires intempestifs) en attendant que les théâtres ne soient autorisés à rouvrir !

Photo : © Jean-Marc Juge