En réalisant le documentaire, « Outreau, l’autre vérité », le journaliste Serge Garde pensait-il soulever une telle polémique ? Rien ne permet de l’affirmer. Son documentaire, sorti ces jours derniers, revient sur un scandale judiciaire, humain et social dont les plaies ne sont toujours pas refermées, au cœur d’une affaire de pédophilie unique en son genre. Rencontre avec un réalisateur impliqué :

Vous avez travaillé autour des faits divers durant de longues années. Est-ce une forme journalistique à part ? Si oui, pourquoi ?
Oui, je me suis toujours intéressé aux faits divers, que certains journaux appellent « les faits de société ». Je dis souvent « racontez-moi vos faits divers, je vous dirai dans quelle société vous vivez ». Dès lors, le fait divers devient un parfait miroir, parfais déformant ou bien parfois déformé. Je suis éditeur aux éditions du Cherche Midi, directeur d’une collection des guides des faits divers. D’ailleurs, mon Guide des faits divers de Paris vient d’être réédité ce mois-ci. Donc oui, c’est évident, je suis « un collectionneur » de faits divers.

Vous travaillez depuis longtemps sur la pédo-criminalité. Pourquoi ?
J’étais journaliste d’investigation à l’Humanité, j’ai donc fait beaucoup d’enquêtes, dont certaines sur la pédo-criminalité, que j’appelais à l’époque la pédophilie. J’ai arrêté d’utiliser le terme « pédophilie » qui signifie « amour des enfants » et quand on regarde ces affaires-là, il n’est jamais question d’amour. Quand on aime les enfants, on les respecte et on ne les utilise pas comme un objet afin d’assouvir ses fantasmes.
Mes premières enquêtes se sont déroulées dans les années 80. J’ai beaucoup travaillé sur les sectes, les mafias, les délinquances financières. Puis j’ai été rattrapé par une enquête que j’ai publiée en 2000 sur un CD Rom pédo-criminel sur lequel il y avait plusieurs dizaines de milliers d’images de viols d’enfants et j’ai révélé l’existence de ce CD Rom trouvé à Zandvoort en Hollande. Puis cela a fait le buzz… Je suis devenu un spécialiste de la pédo-criminalité sans l’avoir réellement cherché, je me sens plus comme un spécialiste des systèmes maffieux.

Pourquoi vous être intéressé de nouveaux à l’affaire d’Outreau ?
Tout simplement parce qu’on me l’a demandé. Personnellement, je n’ai jamais voulu travailler dessus. À l’époque d’ailleurs, je n’avais pas travaillé sur ce sujet et puis, au fond, ce n’est pas le genre de dossier dans lequel on se plonge avec plaisir. Il s’agit d’affaires très pénibles et l’on n’en sort jamais intact. J’ai refusé pendant 4 mois et j’ai fini par accepter car je voulais plus tard pouvoir me regarder dans le miroir. Je me suis impliqué dans cette tâche en étant persuadé que je n’y arriverais pas. C’est un travail qui m’a demandé 3 années.

Pouvez-vous nous dire qui est réellement Myriam Badaoui ?
Non. Je l’ai contactée et elle ne m’a pas répondu. Moi je n’arrache pas les interviews.

Que faut-il penser du juge Burgaud ?
Je ne suis pas fasciné par les magistrats. Je trouve que la plupart sont carriéristes, peu courageux avec de rares exceptions bien sûr. Quand j’ai pris connaissance du travail du juge Burgaud, et ce bien avant de commencer le film, j’ai lu tout le dossier, c’est-à-dire les 30 000 documents… Et bien rien ne m’a choqué et je n’ai pas vu d’erreurs flagrantes. Étant donné que je ne suis pas juriste, j’ai demandé à un autre Magistrat de lire ce dossier et de me donner son point de vue de professionnel. Il m’a avoué qu’il s’agissait d’un dossier qui avait été fait honnêtement. Après j’ai mis presque un an et demi pour convaincre le juge Burgaud de parler devant la caméra car c’est la première fois qu’il parlait à nouveau. Le but du film n’étant pas de le réhabiliter, je lui ai simplement demandé de témoigner et de dire ce qu’il s’était passé selon lui. Je crois que l’on mesure mal ce que cet homme a enduré. C’est un homme qui a été « lynché médiatiquement ». Je n’aime pas le lynchage, nous sommes en démocratie. Selon moi, d’une certaine façon, c’est un survivant car il aurait très facilement pu se tirer une balle dans la tête. C’est honteux ce qu’on lui a fait subir. Après c’est un homme très fort, c’est un juriste très compétent. Ce qui n’a pas été dit c’est que l’inspection générale des services judiciaires, à la demande du Ministre, a envoyé une inspection pour finalement coincer le juge parce qu’il fallait bien le punir. Les enquêteurs ont épluché les 30 000 pièces du dossier et ils n’ont trouvé aucune erreur ! Mais ils ne se sont pas arrêtés là, ils ont épluché les 120 dossiers que le juge instruisait en même temps et je le répète ils n’ont trouvé aucune erreur ! Et on le voit bien dans le film, on ne reprochait rien au juge Burgaud, mais l’opinion publique n’aurait pas compris que… Je suis en colère par tout ce que j’ai découvert en faisant ce film, il y a des choses indignes d’une démocratie qui se sont produites à ce moment-là.

Quelles leçons devons-nous tirer de cette affaire ?
Pour les journalistes, il y a une leçon magistrale : Il ne faut jamais confondre la parole d’un avocat avec la vérité du dossier. Comme le dit Maître Pouille dans le film, le rôle d’un avocat n’est pas de dire la vérité, c’est d’obtenir le meilleur résultat pour son client. J’ajoute que nous avons eu à faire à des avocats de la défense tels que Maître Dupont-Moretti qui revendique pleinement le droit de mentir. C’est un professionnel du mensonge. Cela pose un problème déontologique car un avocat est aussi un auxiliaire de justice. Comment est-ce compatible ? Qu’un avocat mente pour sauver son client, c’est peut-être choquant mais ce n’est pas illégal mais la cliente de Maître Dupont-Moretti a été acquittée il y a une dizaine d’années et il continue pourtant à dire que les enfants, qui ont été acquittés eux aussi par la justice, ont menti.

Une des personnes accusées puis acquittées, Karine Duchochois, s’est dite « révoltée » après la projection de votre documentaire. Qu’en pensez-vous ?
Elle a le droit. Je ne veux pas rentrer dans le dossier de Karine Duchochois.

Qui a financé votre documentaire ?
Il n’y a pas de mystère dans la mesure où les chaînes de télévision ont regardé toutes ailleurs ou bien nous ont dit non. Bref, aucune chaîne de télé n’a voulu le préfinancer. Il y a un moment où nous avons décidé, avec Bernard De Lavillardière, au regard à la frilosité des chaînes de télévision, de travailler librement et seuls. Puis Bernard De Lavillardière s’est engagé à autoproduire le film avec sa boîte de production Ligne de front. Nous avons eu une aide, d’une ONG qui s’appelle « Innocence en danger » et qui a obtenu en Suisse un don pour le film.

« Outreau, l’autre vérité » passera-t-il à la télévision ?
Il faut le demander aux chaînes. Peut-être, moi je n’ai pas encore de réponse. Ce qui dépendait de moi était de faire « ce film impossible », pour le reste je pense que cela dépend de l’opinion publique. Pour le moment, ce que j’ai constaté c’est que ce film libère la parole. La parole des professionnels mais aussi celle d’anciennes victimes.

Saura-t-on un jour « la vérité » ?
Je n’en sais rien, je ne sais pas ce qu’est la vérité. Je ne me suis jamais posé cette question. Cela n’a pas été mon but, je n’ai pas fait de contre-enquête car cela ne servait à rien puisque de toute façon l’acquittement a été prononcé et il est incontournable et immuable. Je me soucie beaucoup plus du sort des enfants parce que 12 d’entre eux ont été reconnus victimes de viol par la justice, mais cela fait quand même 12 ans que l’on continue à les traiter de menteurs. J’ai vraiment très peur pour ces enfants, oui.