Baptiste Amann

Cie L’Annexe

Nous avons donné la parole à deux compagnies afin de nous parler de leurs pièces, qui sont à la fois engagées, mais aussi coproduite par la Comédie de Saint-Étienne.

Porté par une troupe brillante, « Salle des fêtes », jouée à la Comédie du 4 au 7 avril prochain, déploie une réflexion sur l’utopie, entre le souvenir romantique d’une nature préservée, et la difficulté d’imaginer d’autres manières de vivre. Baptiste Amann répond à quelques questions pour sur son nouveau spectacle !

Comment décririez-vous votre spectacle ?

Il s’agit d’une pièce chorale pour dix acteur.ices, qui raconte l’année d’intégration d’un trio d’urbains dans un petit village à la campagne dont ils ont racheté l’ancienne usine pour s’y installer.

Le sujet abordé est assez d’actualité. Depuis le covid, beaucoup de gens s’interrogent en effet sur un changement de mode de vie ou de société. Qu’est-ce qui vous intéresse particulièrement et est-ce nécessairement utopique ?

Ce qui m’intéresse c’est la collision entre rêve (ou fiction) et réalité. Bien sûr il existe des alternatives possibles au modèle dominant. D’autres modèles sont viables et ont déjà fait leur preuve.

Mais ce désir de réinventions m’interroge car je l’ai moi-même éprouvé. La pièce part d’une expérience vécue qui fut l’occasion de questionner mon rapport à l’utopie. En définitive ce mouvement vers les campagnes est-il l’expression d’une volonté de bâtir le monde de demain, ou au contraire de trouver un refuge pour fuir l’époque ? Cette ambivalence m’intéresse beaucoup car elle met à jour nos contradictions et révèle le rapport de tension qui existe entre immobilité et mouvement, entre nos sentiments d’appartenance et nos désirs d’ailleurs.

Dès qu’il y a changement, de manière assez systématique, on constate l’apparition de forces contraires. Dans la pièce on trouve d’un côté Lyn et Marion, de l’autre les enjeux politiques etc. Comment l’expliquer ?

Ces forces contraires ne sont pas forcément nuisibles. Un changement entraîne une modification du paysage existant, c’est vrai. Mais ces modifications, parfois douloureuses, sont aussi structurantes et nécessaires. Elles donnent un contour à l’existence et sont l’occasion de nous révéler à nous-même. Assister à l’effondrement de nos illusions c’est aussi voir apparaître un nouvel horizon, sans doute plus ajusté à ce que nous sommes réellement.

Vous utilisez moins la dramaturgie que l’humour et une approche sensible pour toucher le spectateur. Un choix ou cela s’est imposé à l’écriture ?

Il y a tout de même une dramaturgie qui guide le récit. La pièce est séquencée en 4 parties qui suivent le mouvement des 4 saisons de l’année. Et chacune de ces parties s’organise autour d’évènements « iconiques » des salles des fêtes : réunion d’un conseil consultatif à l’automne, vœux du maire en hiver, loto printanier, et bal du 14 juillet. Mais il est vrai qu’assez vite la pièce s’oriente sur l’intimité des personnages. Et finalement c’est l’humanité de cette petite communauté qui devient le cœur du récit. La pièce passe en revue plusieurs rapports à la blessure. Tous les personnages sont des figures tragiques quelque part. Il était donc important de contrecarrer cette noirceur en y opposant une forme d’humour pour rester dans quelque chose qui sollicite une pulsion de vie. La pièce est au final une sorte d’ode à l’échec. Il est important pour moi de poser la vulnérabilité comme condition préalable au changement. Je trouve réconfortant l’idée de considérer l’aveu de faiblesse comme un acte de courage. Car toute faillite contient un devenir révolutionnaire, j’en suis persuadé.

Peut-être un mot sur la mise en scène ?

La salle des fêtes est finalement le « rôle-titre » de la pièce. L’enjeu était donc de nous placer dans cette unité de lieu, tout en offrant à ce lieu la possibilité de se révéler autrement à mesure que le spectacle avance. Nous avons donc mis en place des intermèdes entre les parties, orchestrés par la musique de Max Richter (qui a repris les 4 saisons de Vivaldi), comme autant de métamorphoses oniriques pour passer d’une saison à l’autre. Ces intermèdes prennent également en charge la dimension elliptique de la pièce et nous permettent de saisir les situations qui interviennent entre, presque en temps réel. Il y a donc une alternance entre des phases concrètes de jeu où les choses ont lieu comme dans la vie et ces intermèdes où le temps est suspendu comme dans un rêve.

Un mot pour conclure ?

Le spectacle a deux formats : un pour les « grands plateaux » où nous reconstituons le décor d’une salle des fêtes sur la scène d’un théâtre ; et un autre en itinérance, où nous jouons dans le décor naturel des salles des fêtes, sans autres moyens techniques. Une manière pour nous de traiter la question de l’utopie par le fond et par la forme. C’est d’ailleurs à Saint-Jeures, en partenariat avec le théâtre, que nous créerons la version itinérante dans la foulée des représentations à Saint Étienne. La Comédie a été un partenaire très impliqué dans la création du spectacle et a mobilisé d’importants moyens pour soutenir son éclosion. J’en profite pour les remercier chaleureusement.