Il y a quelques jours, un peu par hasard, je suis tombé sur une interview de Tidjane Thiam diffusée sur le site internet du Point. Intéressé depuis toujours par les questions d’immigration (pour cause…) et par l’Afrique, j’ai découvert avec étonnement le parcours de cet homme que je vous résume brièvement. T. Thiam est issu de la classe dominante ivoirienne. Sa mère est la nièce d’Houphouët-Boigny (père de la nation ivoirienne) et du côté paternel, son oncle Sénégalais, a été premier Ministre du Sénégal, son père étant un journaliste influent installé en Côte d’Ivoire. Autant dire que le jeune grandit certes à Abidjan mais loin des bidonvilles de Trechville ou de Cocody. Après une scolarité brillante au Lycée Classique d’Abidjan, T. Thiam sera en 1982 le premier étudiant ivoirien à passer le concours d’entrée à l’École Polytechnique. Il sortira en 1984 brillamment diplômé et intégrera dans la foulée l’École Nationale Supérieure des Mines de Paris. Il sortira Major de sa promotion et intègre l’Institut Européen d’Administration des Affaires (Insead) pour finaliser un MBA. Autant dire que le jeune homme est intellectuellement très brillant et compétent. Après avoir sévi auprès du gouvernement ivoirien (il sera ministre de la planification et du développement), il décide, suite aux agitations politiques dans son pays au début des années 2000, de se lancer dans le privé et intègre à Paris le célèbre cabinet Mc Kinsey (cabinet conseil et audit). C’est à cette époque qu’il se confronte au fameux « plafond de verre made in France », ce cap impossible à passer pour celui qui n’est pas membre ou issu « du moule à la française ». Dans un rapport publié en 2010 pour le compte de l’Institut Montaigne, un think thank créé en 2000 par Claude Bébéar PDG d’Axa et pape du capitalisme à la française, T. Thiam décrit sa « frustration quand l’un de ses camarades d’école devenu chasseur de têtes lui annonce avoir rayé son nom de la liste parce que la réponse invariablement était : profil intéressant, impressionnant mais… » Dans ce rapport, T. Thiam se dit fatigué de heurter sans cesse ce plafond de verre » image économique qui désigne les difficultés d’une catégorie de personne à accéder à un poste à responsabilités. Un terme fréquemment utilisé pour les femmes.

Depuis, T. Thiam s’est installé à Londres et dirige Prudencia, l’une des plus grandes compagnies d’assurance britannique. Prudencia réalise plus de 65 milliards d’euros de chiffre d’affaires et affiche des taux de profit à deux chiffres…T. Thiam est, toujours à ce jour, le seul dirigeant noir d’une entreprise du FTSE 100 (équivalent anglais de notre CAC 40). Dans cette interview très intéressante, T. Thiam, qui a paradoxalement reçu les insignes de Chevalier de la Légion d’Honneur de la nation française (!) aborde différentes thématiques et assène quelques vérités fracassantes : seule la croissance permet selon lui, à long terme, de résorber les déficits publics. Cette croissance, seule génératrice d’emplois, ne peut être financée qu’à partir de l’épargne privée qui permet ensuite l’investissement. Et c’est bien l’investissement qui crée, in fine, l’emploi. Parallèlement, seules les États-Unis ont été capables ces dernières années d’engendrer de nouvelles entreprises basées sur l’innovation. Google, Yahoo, Facebook, Amazon, Twitter…, sont bien des entreprises américaines souvent créées d’ailleurs par des Américains issus de l’immigration… Abordant, la thématique africaine, T. Thiam précise que le PIB global de l’Afrique, continent trop vaste pour être considéré uniforme, a triplé sur ces 10 dernières années. Après avoir été longtemps pessimiste sur l’avenir du continent africain, T. Thiam entrevoit aujourd’hui des lueurs d’espoir notamment fondées sur le nombre important de diplômés qui sortent chaque année des universités africaines. Dans les années 60, 150 Ivoiriens sortaient chaque année de l’Université, ils sont aujourd’hui plus de 100 000 par an ! L’an dernier, T. Thiam a dirigé le premier Davos africain avec plusieurs centaines d’étudiants africains sortis des plus grandes universités américaines…

Enfin, T. Thiam aborde des thématiques franco-françaises et dénonce notre point de vue étriqué sur la répartition des richesses. Selon lui, le problème n’est pas tant dans la répartition des richesses que dans la création des richesses. Il rejette nos « discours généreux se traduisant par la précarisation et la destruction du capital humain. La première forme d’injustice et de violence vis-à-vis des pauvres restant le chômage. Donc des pays à chômage fort ne peuvent donner des leçons de répartition. Ce discours fondé sur une supposée générosité se traduit par 25 % de chômage des jeunes ». On ne peut pas dire qu’il ait réellement tort sur ce point. Plus loin, T. Thiam souligne le dernier rapport Pisa de l’OCDE qui déclasse sérieusement la France en matière d’équité sociale et d’éducation, avant d’ajouter, cyniquement que « ce n’est pas en Angleterre que des diplômés noirs ou maghrébins de l’enseignement supérieur sont obligés de devenir gardiens de parking ». T. Thiam dénonce pêle-mêle tous ceux qui en France prônent un renfermement sur soi, suivez mon regard, la capacité de notre pays à faire émerger une nouvelle élite tout en dénonçant le système de sélection et d’éducation des grandes écoles française (dont il est par ailleurs issu). Avant de conclure sur la nécessité absolue de procéder à la réduction des déficits publics, le déficit anglais étant largement supérieur au déficit français, car selon T. Thiam, « pour chaque emploi public supprimé, trois emplois privés sont créés ». Certes mais dans quelles conditions ?