Cette jeune chorégraphe stéphanoise nous a profondément touchés avec son spectacle Rouge [Les quatre saisons] récemment joué au Théâtre du Parc à Andrézieux-Bouthéon. Une histoire de femmes à travers leurs âges, mais aussi une histoire de vie, de corps, de danse… tout en énergie, sensibilité, émotions et créativité. À travers différentes esthétiques (danse, théâtre, vidéo, photo…), qu’elle marie avec un talent rare, se déploie un univers scénique très singulier et personnel. Elle sera présente à l’Usine ce mois de novembre. Nous vous invitons à aller à sa découverte et vous proposons de mieux faire connaissance à travers cette rencontre.
Peut-on évoquer les grandes lignes de ton parcours ?
Je suis née et j’ai grandi à Saint-Étienne. J’ai commencé la danse dans la compagnie d’enfants Orteils de sable dirigée par Mireille Barlet. J’ai découvert le théâtre aux ateliers transgénérationnels de La Comédie de Saint-Étienne et le cinéma en étant Ambassadrice du cinéma Le Méliès l’année de ma terminale. J’ai ensuite poursuivi des études cinématographiques à l’Université Paris Diderot ainsi qu’un double cursus de danse contemporaine et d’art dramatique aux Conservatoires du Centre, Vème et XIIème arrondissements de Paris. Fascinée par la chorégraphie, j’ai commencé à écrire six premières formes courtes pendant mes années aux Conservatoires – Baby dolls, Été, Habit rouge printemps, Collection printemps-été, Vertiges & Stabat mater en dentelle dont les représentations ont eu lieu au Monfort Théâtre à Paris au sein du laboratoire dirigé par Nadia Vadori-Gauthier. À ce moment-là, j’ai compris que je voulais que la danse devienne la colonne vertébrale de mon travail comme de ma vie, que je souhaitais dédier tout mon temps et toute mon énergie à ça : la mise en scène du corps en mouvement.
Quelques mots également sur ta compagnie ?
Elle s’appelle MINUIT. Cette heure où nous ne sommes ni hier ni demain, où le temps peut se suspendre ou s’accélérer, comme face à une œuvre d’art. Créée à Saint-Étienne en décembre 2020, elle fêtera bientôt sa troisième bougie. J’aime regarder la danse à la rencontre des différentes formes artistiques. Les projets chorégraphiques que je souhaite développer se nourrissent d’un vocabulaire emprunté au théâtre, à la fiction, à une esthétique photographique et cinématographique qui travaille sur les points de vue – des spectateur.ice.s comme des interprètes – pour croiser les imaginaires. Je souhaite redoubler les liens entre ces divers champs en ouvrant des prolongements photographiques et filmiques à mes formes scéniques pour explorer et expérimenter de nouveaux espaces de complémentarité.
Tes deux premiers spectacles, Stabat mater et Rouge [les quatre saisons] sont joués actuellement. De quoi parlent-ils ?
Stabat mater, ma première pièce, convoque des fragments des Stabat mater du Baroque à l’Électronique – de Vivaldi, Pergolesi, Rosano, Pärt, Artières & de Witte. Les trois interprètes – Fanny Sauzet, Vincent Dupuy et moi-même – se transforment progressivement en douze personnages, un défilé s’instaure. C’est une messe, un rituel funéraire, une transe, une séance d’adrénaline collective.
Rouge [les quatre saisons], ma deuxième création, se construit à partir des Quatre Saisons (Vivaldi, Richter, Artières) pour cinq interprètes femmes à différentes étapes de leur vie – de 25 à 83 ans. Pour raconter les désirs de ces cinq femmes, il s’agit d’inscrire les métamorphoses liées au temps qui passe – musicales, corporelles, générationnelles – comme enjeux phares de la création.
Tu mêles volontiers la musique classique à la musique électronique. D’où tires-tu toutes tes influences et cette envie de créer ces mélanges de styles ?
La musique classique est très centrale dans ma famille. J’aime tout particulièrement l’élan d’émotions de la musique baroque et ses partitions magnifiques pour instruments à cordes. Je crois qu’il existe une pulsion/pulsation de vie commune entre le baroque et l’électronique, quelque chose de profondément festif, intense, jubilatoire. J’aime l’enjeu du mélange des époques, des temps passés et à venir qui s’agencent ensemble dans la danse.
Peut-on considérer qu’il y a un fil conducteur dans tes créations comme la mise en scène du corps à travers les dialogues transgénérationnels ?
Notre corps – physique et émotionnel – est en transformation permanente, je trouve ce mouvement d’une beauté infinie. Les marques de la vie qui s’inscrivent sur le corps dans le temps me bouleversent. Je suis passionnée par la puissance de l’expérience.
Tu collabores avec de nombreuses personnes (artistes, technicien.ne.s…) qui donnent du poids et beaucoup d’émotions à ce que tu présentes. On sent une grande complicité mais aussi une grande complémentarité. Qu’est-ce que tu aimes dans le fait de t’entourer de ces personnes dont certaines ont déjà une grande expérience de la scène ?
J’aime l’idée de créer et fédérer une équipe artistique et technique que j’admire pour rassembler multiples regards et expériences au service d’une création. Puisque Rouge est une histoire de transmissions, aller à la rencontre d’interprètes d’une expérience éblouissante a été une grande étape pour moi. J’ai écrit une lettre à Julie Anne Stanzak pour lui dire à quel point je l’admirais depuis que je l’avais découverte à 15 ans dans la pièce Nelken de Pina Bausch sur la scène de l’Opéra de Lyon. Plonger dans les sensations et émotions procurées par ce spectacle m’a encouragé – souvent et pendant longtemps – à continuer la danse. C’est merveilleux qu’elle ait accepté cette aventure et qu’une collaboration que j’aime tant se soit enclenchée de cette façon.
Tu as bénéficié d’accompagnement et de soutien bien mérités, particulièrement pour Rouge [les quatre saisons]. Peut-être en dire un mot ?
Rouge [les quatre saisons] a été créé en coproduction avec Royaumont, Abbaye & Fondation, Micadanses-Paris et le Théâtre du Parc, Andrézieux-Bouthéon ; avec le conventionnement de la Ville de Saint-Étienne – Conventionnement à l’émergence 2022-2024 ; avec le soutien du Département de la Loire, de la DRAC Auvergne-Rhône-Alpes, du Groupe des 20 Auvergne-Rhône-Alpes, de la Fondation E.C.Art-POMARET et ADAMI et avec les accueils en résidence du Centre National de la Danse – Lyon & Pantin, La Ménagerie de Verre – Paris, La Comète – Saint-Étienne, Opéra Grand Avignon, L’Échappé – Sorbiers, La Trame – Saint-Jean-Bonnefonds et Les Studios Dyptik – Saint-Étienne.
C’est ma première création produite dans ces conditions. Toutes les structures et institutions qui ont accompagné ce processus de création ont été très importantes puisqu’elles m’ont permis d’avancer pas à pas et d’inscrire pleinement la direction artistique que je souhaitais amorcer. Cette pièce est le fruit de cinq ans de travail, d’apprentissages immenses et de rencontres déterminantes.
Après le Théâtre du Parc à Andrézieux Bouthéon, on te retrouve en novembre à la Comète à Saint-Étienne mais aussi sur d’autres dates et villes du département au cours de la saison pour le spectacle Rouge [les quatre saisons] ?
Après la Première qui a eu lieu le 30.09 au Théâtre du Parc à Andrézieux-Bouthéon, les deux prochaines représentations vont avoir lieu à l’Usine à La Comète à Saint-Étienne dans le cadre de La Fête de la Comète : le 18.11 [19:00] & le 19.11 [15:00]. Les deux représentations sont gratuites et entrées libres. En 2024, les trois prochaines représentations seront les suivantes : le 15.03.24, Le Pôle, Alby-sur-Chéran (près d’Annecy) ; le 20.03.24, Centre Culturel Le Corbusier, Firminy ; le 22.03.24, L’Échappé, Sorbiers. Ce sera comme une première tournée de représentations qui s’enchaînent dans plusieurs théâtres en mars 2024, j’ai très hâte !
Quels sont tes futurs projets ?
Je travaille actuellement à ma prochaine création, La chambre de Pauline, mon premier solo qui verra le jour en 2024. Pièce intérieure – espace protéiforme – la chambre est invoquée comme un lieu du désir, un espace-temps où les images de soi peuvent s’inventer, se télescoper et se démultiplier.
Je développe également le projet Rouge[s], espace d’expérimentation et de création avec des femmes transgénérationnelles, à partir de 14 ans et jusqu’au plus tard dans la vie, depuis la danse jusqu’aux mots et aux images. Si le projet s’est initié en collaboration avec l’École de l’Oralité et la Ville de Saint-Étienne sur la saison 2022-2023, il se déploie avec la Ville de Saint-Étienne sur la saison 2023-2024 ainsi qu’avec le Théâtre du Parc à Andrézieux-Bouthéon sur la saison 2024-2025. Rassemblant plus de quarante femmes cette saison, la notion de portrait-autoportrait est traversée avec chacune par la danse, l’écriture, la photographie et l’expérience de la scène. L’enjeu rêvé que je me donne est de réaliser – à long terme – l’édition d’un livre texte et photographie : ROUGE[S].
Je poursuis enfin la réalisation d’une série photographique commencée en 2019, Les ardentes, série composée des portraits de femmes que j’admire, photographiées face à un miroir chez elles, dans leurs intimités, mises en scène comme des super-héroïnes.
Un mot peut-être pour conclure ?
Vive le mouvement. Vive la danse. Vive la vie !