Curieux, c’est bien dans les silences qu’on mesure les manques. Nous nous sommes donc tus, jusqu’à présent, dans la tragicomédie qui secoue depuis quelques semaines l’Opéra Théâtre de Saint-Étienne. Nombreux sont ceux qui ont paru s’étonner de ce silence, certains nous ayant même exprimé cette interrogation. Ceux-là mêmes qui se taisent soigneusement également, de peur à craindre quelques représailles, à droite comme à gauche. Et si nous nous sommes tus jusqu’à présent, c’est bien parce qu’il ne nous semblait pas ni intelligent, ni opportun, de communiquer sur ce sujet pour une bonne et simple raison : le manque de clarté, ou le cruel manque d’information fiable, qui nous permettrait de délier le fil d’une certaine logique. Car depuis sa création ou presque, l’ex-Maison de la Culture et de la Communication a toujours fait preuve d’un déficit flagrant de logique. Bras armé de la culture municipale, l’Opéra Théâtre de Saint-Étienne, dont on a toujours surestimé l’ombre sans doute, a toujours été au centre d’intérêts divergents. Les uns y projetèrent leur fantasme d’une culture enfin populaire (qui semble encore croire à cette douce utopie aujourd’hui ? Certainement plus les artistes !) les autres y établirent leur siège d’une culture plus sélective et confisquée.

Sans remonter aux calanques grecques, l’Opéra Théâtre fut longtemps engagé dans une lutte vaine et idiote contre son ennemi presque héréditaire, la Comédie de Saint-Étienne. Jean-Louis Pichon dirigeait l’Opéra, Daniel Benoin la Comédie et leurs egos n’avaient d’égal que leur volonté de dominer l’autre. J-L. Pichon céda sous l’assaut de la municipalité socialiste élue en 2008. D. Benoin s’exila à Nice avant de jouer une nouvelle fois un nouvel et triste épisode de « Papy fait de la résistance ». Quand comprendront-ils que la chose publique ne peut être privatisée à souhait ? Il y aura eu ensuite l’épisode Daniel Bizeray, dont on louera le travail avant qu’il ne démissionne. Officiellement, pour raisons de santé, officieusement, pour d’obscures raisons d’ambition et de pouvoir (interne) selon l’intéressé qui s’est exprimé il y a peu… On aurait presque oublié le fumeux épisode de la non-nomination de Bruno Messina suite à l’épisode D. Bizeray. Après avoir été officiellement annoncé et nommé, B. Messina refusera le poste de directeur de l’Opéra. Pourquoi ? Inélégance de la part du Maire, Maurice Vincent, qui aurait annoncé sa venue avant un accord final et résistances internes (toujours et encore…), selon l’intéressé. C’est ainsi, un peu par défaut, que la direction reviendra à Vincent Bergeot, transfuge du Conseil Général de la Loire, la précision n’est pas vaine puisque, quelque temps après, l’institution départementale diminuera sensiblement sa subvention à l’Opéra, amputée, d’après les dires de l’ancienne majorité municipale, de 200 000 euros ! Nous en étions donc là avant le récent changement d’équipe municipale. Il faudrait être malhonnête pour ne pas reconnaître la bonne tenue, artistiquement parlant, de la saison en cours, avec en point d’orgue le Festival Nouveau Siècle qui offrit un éclairage pertinent sur l’œuvre d’un musicien unanimement reconnu, Philip Glass ou encore la belle venue de Carolyn Carlsson. La hausse annoncée de la fréquentation semble confirmer cette bonne santé artistique de l’institution.

Tout bascule donc quelques jours après l’élection de la nouvelle municipalité avec l’étonnante suspension administrative de neuf personnes, côté mairie et côté Opéra (dont le directeur des affaires culturelles et le directeur de l’opéra). Les raisons ? Un déficit annoncé d’un million d’euros, (pour près de 8,3 millions de budget) et surtout un problème technique qui aurait pu mettre en danger le quotidien du personnel de l’Opéra. D’après la nouvelle équipe municipale, ce problème technique aurait dû servir d’alibi à une suspension de la prochaine saison, afin d’effectuer les travaux nécessaires et indispensables à une sécurisation du site, une suspension qui aurait en outre permis d’absorber en douce le dit déficit (que M. Vincent a estimé à 400 000 euros, lors d’une conférence de presse à laquelle nous ne fûmes même pas conviés, au lieu du million annoncé). Au même moment à Roanne, non loin de Saint-Étienne, le nouveau maire de droite, Yves Nicolin, décidait de suspendre le directeur du Théâtre de Roanne Abdelwahed Sefsaf, un stéphanois qui plus est,  pour des problèmes de contrats visiblement antidaté. Mais, en dépit de tout bon sens républicain, le nouveau marie de Roanne décidait de lui envoyer la force publique pour lui notifier son renvoi ! Forcément, l’amalgame entre les deux affaires était tentant et l’épouvantail d’une chasse aux sorcières avancé au plus haut niveau médiatique. Le cas stéphanois s’avère pour le moins complexe puisque certains syndicats ont décidé d’alourdir le dossier en arguant de nombreux problèmes de gestion des relations humaines au sein de l’institution stéphanoise (comme ce fut d’ailleurs le cas six ans plus tôt). A quel jeu joue les syndicats ? Celui de la défense d’une institution culturelle ou d’intérêts partisans ?

Mis à pied, mais défendu un peu tardivement il est vrai par Michel Thiollière, l’ex-chef de l’Orchestre Symphonique de Saint-Étienne, Laurent Campellone, dont la réputation n’est plus à faire, a récemment annoncé sa démission pour retrouver une certaine liberté de parole… Entre-Temps, quatre salariés dont on ignore toujours l’identité auront été réintégrés et l’attente des résultats de l’enquête administrative et technique diligentée par la nouvelle municipalité, qui se fait toujours attendre et permettra sans doute de voir clairement les enjeux de cette affaire. Mais déjà, on peut dire que cette affaire aura, incontestablement, nui à l’image de l’institution stéphanoise. Et ce n’est qu’à la lueur des résultats de cette enquête que l’on pourra juger des agissements des uns et des autres. Aurait-il mieux valu attendre les résultats de cette enquête avant de suspendre ces neuf personnes… ? L’avenir nous le dira sans doute.