Un nôtre monde 

C’est l’histoire d’un mec qui pourrait être toi, moi, elle, nous, vous, tout le monde en somme ! L’histoire d’un mec qui se retrouve soudainement à la rue et arrive dans un autre monde. 2023, ça se passe chez nous. Interview de Fred Michallet qui vient de sortir « Nos Valeurs Refuges » aux éditions stéphanoises des Joyeux Pendus.

Bonjour Fred, pour l’écriture de ton livre tu es allé à la rencontre de sdf : qu’est-ce qui t’as le plus surpris chez eux ?

Aller à la rencontre de sans-abris a été une expérience hyper touchante, vraiment. Ca m’a bousculé dans ma routine. J’avais déjà échangé par le passé avec nombre de personnes qui vivent dans la rue. Je l’avais fait par compassion, tout simplement, comme lorsque l’on salue une connaissance que l’on croise. C’était plutôt furtif. La démarche d’aller les rencontrer pour éclairer mes connaissances, de mieux connaitre leur quotidien pour écrire un livre, c’est bien différent. A vrai dire j’avais un peu d’appréhension dans le sens où je ne devais pas et ne pouvais pas être trop intrusif. On va rarement à la rencontre de gens dans la rue pour leur demander pourquoi ils sont là et ce qu’ils ont vécu. J’ai toujours reçu un accueil simple, sans chichis, et plutôt dans le partage. La plupart des gens qui n’ont rien ont justement ce sens du partage qui se fait naturellement, il en est ainsi ! Je crois que le trait de caractère qui m’a le plus impressionné est l’humanité, profonde, qui ressort de ces âmes qui ont vécu la misère. Je crois que nous avons tendance à nous mettre des barrières sociales qui ne devraient pas exister, qui nous retiennent parfois de franchir le cap d’aller discuter avec tel ou tel genre d’individus et c’est dommage. On a beaucoup d’enseignements à tirer simplement en communiquant les uns avec les autres. C’est la base des relations humaines.

Où en est la France avec les sans domiciles ? Est-ce que ça recule ou y’en a-t-il de plus en plus ?

Les chiffres parlent d’eux-mêmes, j’en ai volontairement cité quelques-uns à la fin du roman – ils font office de référence actuelle. Bien évidemment, c’est effarant. A l’heure où les multinationales réalisent des dividendes records, le fossé se creuse toujours plus entre les inégalités. Les nouveaux pauvres, notamment, enregistrent une nette progression ces dernières années. J’ai voulu retranscrire dans la deuxième partie du livre la gronde actuelle, sous forme d’une énorme manifestation à laquelle les sans-abris participent. Là, on n’est plus trop dans la fiction ! Le ras-le-bol général, on le sent bien dans notre société. Heureusement, les bénévoles sont là. Ils aident ces gens, leurs viennent en aide et sont très actifs. J’ai un grand respect pour ce qu’ils font, et dieu sait qu’il y a du boulot. Evidemment  je ne suis pas sociologue et je n’ai pas une analyse très fine de l’évolution de la pauvreté en France, mais 300 000 personnes sdf en 2023 ça éveille les consciences.

Ta préface a été écrite par l’un des anciens chanteurs des Garçons Bouchers, Piero Sapu, pourquoi ce choix ?

J’ai rencontré Piéro Sapu sur une date de concert, nous partagions l’affiche d’un festival en Matheysine au sud de Grenoble, avec Dustroy mon groupe de Rock’n’roll. Lui était tête d’affiche avec son nouveau projet : les Sans-voix. Son physique m’a impressionné au premier abord parce qu’il porte sur lui son vécu, ses tatouages en témoignent. Le physique c’est ce que l’on voit en premier, c’est tout naturel. Là encore, il ne faut pas s’arrêter à cela et heureusement ! Parce que derrière cette façade se trouve une âme d’une beauté incroyable. Passé les préjugés, j’ai été séduit si je puis dire par la bienveillance, la sincérité et l’engagement de cet homme. Son parcours est honorable, il fait énormément pour ses concitoyens sans attendre quoique ce soit en retour. Sa démarche est vraiment belle. J’ai vu en lui une âme apaisée, une personne qui au lieu de porter ou montrer sa colère va plutôt transformer cette forme d’énergie en aide pour soutenir les personnes qui en ont besoin. C’est là aussi une belle rencontre et une expérience importante. Il a lu le manuscrit dans la nuit et a pondu dans la foulée un texte d’une extrême justesse, qui préface le roman. Il m’a écrit (je cite tel quel ses mots) : « Merci Fred pour ce magnifique ouvrage. Tu m’as emporté dans ton voyage. J’étais au milieu d’eux, ils me manquent déjà ». C’est de fait une belle collaboration, simple, entre personnes qui ont une même sensibilité – c’est comme ça que je le ressens. Ce livre est fait de belles rencontres et de contributions participatives, il est humain jusqu’au bout !

Possible de nous résumer en quelques lignes « Nos Valeurs Refuges ? » D’ailleurs pourquoi ce titre ?

Ce roman est l’histoire de Georges, un trentenaire actif provincial à la vie plutôt « rangée ». Son licenciement brutal va bousculer son quotidien, et après une dégringolade totale il va se retrouver à la rue, seul. Il place tous ses espoirs en partant pour Paris, certain que dans la capitale il rebondira plus facilement ; seulement, ça n’est pas si simple ! Dans les rues de Paname il va rencontrer Idris, un aguerri du macadam, qui va lui-même le présenter à la communauté de Morland : un campement sous un pont aux portes de Bercy. Là, Georges va rester des années. Il est le témoin de ses congénères, un être de plus dans la masse précaire. Seulement, et comme chacun, il a besoin de chercher ses propres valeurs refuges. Ces valeurs, ce sont celles qui lui permettront d’échapper à la dureté du quotidien et à sa destinée.

Georges, personnage fictif, est surtout un spectateur de ce qui l’entoure. Cela lui permet de décrire les agissements des autres protagonistes de façon assez simple et naturelle. C’est un parti pris dans le cadre de ce roman.

En ce qui concerne les valeurs refuges, c’est un terme en économie qui désigne des retenues d’argent, des actifs « sûrs », qui ne connaissent pas les fluctuations du marché – cela peut aider en cas de pépin. Mes valeurs refuges à moi, en tout cas comme je les vois, sont bien différentes : elles sont dans l’humain loin des chiffres. Elles représentent ce qu’un être va chercher pour se réconforter quand il est au plus bas. Ça peut être n’importe quoi : un lieu, un art (la musique, la danse, la peinture, …) du sport, des substances euphorisantes pour échapper au quotidien… Ou encore la présence à ses côtés d’un animal, d’un être cher, et bien d’autres choses. Chacun peut trouver sa bulle de réconfort dans ce qu’il aime profondément et ce qui lui permet de s’évader. Ce titre m’est venu bien avant d’écrire le livre, et je trouve qu’il prend maintenant tout son sens bien qu’il soit détourné.

Le livre est disponible sur le sites des éditions des Joyeux Pendus : https://leseditionsdujoyeuxpendu.com/ouvrages/