Yoan Sfar, créateur inspiré du « Chat du Rabin » et réalisateur de « Gainsbourg vie héroïque » bio pic réussi sur Serge Gainsbourg, sort un roman et non une bande dessinée, dans lequel il imagine le retour de Jacques Médecin dans sa ville natale, Nice. Niçois, Yoan Sfar assume son amour pour l’ancienne mairie de Nice, malgré toutes les casseroles que l’ancien maire RPR trimballait (détournement d’argent, fraude fiscale, fuite à l’étranger…). Précisons que le père de Yoan Sfar, André, était un proche de Jacques Médecin, il était conseiller municipal démissionnaire après l’entrée du Front National dans la majorité municipale. Dans ce roman, Yoan Sfar imagine Jacques Médecin bien vivant et décidé à reprendre la mairie de Nice. Rejeté par la droite, l’ancien maire se représente sous l’étiquette du front de gauche. On l’aura compris, Yoan Sfar a choisi le décalage et l’humour pour évoquer son attachement à sa ville natale.

Pour la promotion de ce roman, l’auteur est donc passé dans l’émission de France 5, « C’est à vous ». Après avoir abordé le souvenir de son père, Yoan Sfar évoque les caractéristiques particulières de Nice, « une ville terriblement raciste, il suffit d’écouter les souvenirs d’Abdelatif Kéchiche sur son enfance ». Plus tard, Yoan Sfar note qu’à Nice, « il est intéressé par la manière que l’on a de résoudre ce problème, sans aucun tabou et en finissant toujours à table. À Nice, les gens sont capables de dire de ces horreurs et de manger ensemble. Contrairement à Paris où mes amis de gauche ont souvent de belles paroles mais restent exclusivement entre eux… ». Et Yoan Sfar de poursuivre, « il suffit de voir la dernière cérémonie des Molières pour s’en persuader ». Devant la surprise de la journaliste de l’émission, le dessinateur précise son propos, « Vous n’avez pas constaté, durant la cérémonie, qu’il n’y avait pas un Noir pas un Arabe parmi les primés… ». Toujours aussi surprise, l’animatrice relance alors le dessinateur sur cette question, « Serait-ce les Molières de Blancs ? »… « Bien sûr. Le rôle des artistes, c’est d’être le miroir de leur pays, de représenter les gens qui sont dans le pays », répond Yoan Sfar. « Ces Molières très blancs avec un seul noir muet qui dans un sketch tripote les gens avec ses doigts, pour moi, ça, c’est Paris, Nice c’est différent », enchaîne Yoan Sfar. Fin de partie. Curieusement, rares sont les médias qui reprendront l’information, ils furent plus enclins à dénoncer la pâleur des Oscars américains. Pourtant, ce que souligne Yoan Sfar n’est que la stricte réalité du théâtre en France. D’ailleurs, dans son discours de remerciement, après avoir obtenu le Molière du meilleur comédien de théâtre public pour « Vue du pont », Charles Berling aura juste quelques secondes pour préciser « qu’il aimerait voir plus de Noirs et d’Arabes au théâtre ». Fermez le ban ! Charles Berling semble oublier qu’il dirige avec son frère Philippe le Théâtre Liberté depuis septembre 2011, scène nationale depuis décembre dernier. À ce titre, il n’est pas seulement un comédien réputé mais également un programmateur et un initiateur de projet. Or la saison écoulée du Théâtre Liberté n’est pas plus ouverte à la diversité que n’importe quelle autre scène nationale.

La plupart des grandes scènes nationales mettent en place des actions de médiation dans les quartiers dits favorisés. Ces grandes nationales touchent des subventions pour porter ces actions spécifiques vers les publics dits « empêchés ». Mais lorsqu’on regarde de plus près leur programmation, la diversité promise ou rêvée n’est qu’illusoire. Le cinéma français aura attendu la fin des années 90 pour laisser un peu d’espace aux comédiens ou réalisateurs issus de l’immigration. On songe à Roschdy Zem, Jamel Debbouze, Abdélatif Kéchiche ou plus récemment Tahar Rahim, Leïla Bekhti ou Reda Kateb. Nous sommes en 2015, la France voit naître la troisième génération issue de l’immigration, et le théâtre public français semble toujours peu intéressé par la question de la diversité non pas des publics mais de ses artisans. On pourra rétorquer qu’on trouve toujours très peu de femmes metteurs en scène ou directrice de scènes dramatiques nationales, et ce n’est pas faux. Paradoxalement, le théâtre n’est-il pas le lieu où on retrouve le plus grand nombre de gens se réclamant humanistes, de gauche ou ouverts sur le monde ? Dans les faits, le théâtre n’échappe pas à la règle de l’exercice du pouvoir concentré dans les mains d’une forme d’élite qui aime à se reproduire et surtout ne pas partager avantages. Nous sommes bien placés à Saint-Étienne pour mesurer l’omnipotence, passée certes, de certains artistes… Difficile, en effet, au-delà des belles paroles ou postures, de laisser sa place ou de mettre en place les mesures susceptibles d’aller à l’encontre de cette reproduction de classes.

Certains, conscients de cette injustice mais aussi des limites de cette imposture, ont décidé de se donner les moyens de changer les règles du jeu. C’est ce qu’a entrepris il y a deux ans Arnaud Meunier, directeur de la Comédie de Saint-Étienne, en créant en 2014 une classe préparatoire intégrée dans le cadre d’un programme intitulé « Égalité des chances », à destination des jeunes gens de 18 à 23 ans issus de la diversité culturelle, sociale et géographique en Auvergne Rhône-Alpes. L’idée, via cette classe préparatoire, est de préparer ces jeunes aux concours des douze écoles nationales supérieures d’art dramatique en France. Il y aura donc toujours une différence entre ceux qui disent et ceux qui font…