Le dernier spectacle de Michel Boujenah, « Ma vie rêvée », présentée à Montrond-les-Bains dans le cadre de la saison culturelle, s’inscrit dans la ligne de ses autres productions depuis « Albert » en 1980. Soit plus de 35 ans de carrière toute de même… Dans ce nouveau spectacle tendre et drôle, on croisera les mêmes personnages truculents à qui Michel Boujenah prête les facettes de sa propre personnalité. Dans cette rencontre, l’humoriste évoquera également l’actualité et réaffirmera son attachement à la démocratie et à la France. Rencontre :

Le spectacle s’appelle « Ma vie rêvée ». Comment est-elle, votre vraie vie ?

Ma vie est formidable parce que je l’ai rêvée. Elle est formidable parce que je me suis inventé ma vie. Je pense que la force du rêve est très importante dans nos vies. Martin Luther King a dit « I have a dream ». C’est une phrase qui est restée dans l’histoire. C’est important de rêver et de raconter des histoires qui font rêver, des histoires impossibles. Mon travail, c’est d’inventer des histoires, de rendre crédibles des trucs qui ne le sont pas. Par exemple, je raconte dans le spectacle que ma mère a fait une connerie en nous aimant comme elle nous a aimés. C’est vrai, elle était tellement inquiète pour nous que nous étions inquiets de son inquiétude.

Dans ce spectacle vous abordez des thèmes du quotidien. Le rêve, c’est ça aussi ?

Quand je raconte « Ma Vie rêvée », je dis des choses que je n’ai pas entendues dans ma « vraie vie ». Quand je raconte que le soleil me parlait quand j’étais petit ou quand j’évoque mes premières histoires d’amour d’adolescent, ce n’est pas comme ça que ça s’est réellement passé. Dans le spectacle, je dis à la première fille que je rencontre : je suis amoureux d’être amoureux de toi. Je ne l’ai pas vécu ça, c’est imaginaire. Ce qui me plaît, c’est d’inventer des histoires à partir de la vérité et de les transformer. C’est une manière de réinventer le récit, de réinventer la réalité. Ce que je préfère au monde, c’est la fiction. Je préfère les films inventés. C’est pour ça par exemple que j’adore le cinéma de Tim Burton. Mais j’aime bien les documentaires aussi, quand ce sont de vrais documentaires bien sûr !

En dehors de la scène et du théâtre, vous travaillez toujours pour le cinéma ?

Pendant que je jouais « Ma vie rêvée », j’ai tourné l’été dernier mon troisième film intitulé « Cœur en braille » que je me mets donc en scène et dans lequel les deux héros sont des enfants. J’ai également d’autres projets pour le cinéma et je rêve de rejouer une pièce de théâtre avec d’autres acteurs, mais encore faut-il que je trouve la bonne pièce… Pour « Cœur en braille », une personne anonyme m’a envoyé un livre et m’a demandé si je pouvais en faire un film. Ce que j’ai fait après plus de 8 ans de travail auprès d’enfants qui combattent leur handicap.

Quel regard portez-vous sur l’actualité ?

Vous savez, à la fin de mon spectacle je dis « je ne veux pas quitter la scène, je ne veux pas retourner dans la vraie vie ». Dans « Ma Vie rêvée », c’est moi qui dis ce que je veux. Par exemple, je raconte que la plus belle femme du monde est folle de mon corps. En vrai, je ne suis pas sûr que cela soit le cas. Dans « Ma Vie rêvée », c’est moi qui décide si on meurt ou si on ne meurt pas. Chez moi sur scène, on ne meurt pas quand on va dans un musée… C’est sûr que ce qui se passe en ce moment intervient dans ce que je dis sur scène. On vit un moment très dur, avec une crise économique très violente, avec le terrorisme qui nous a touchés, qui nous touche et qui nous touchera certainement encore. On ne peut pas faire semblant que ça n’existe pas. On peut rire de tout, mais pas n’importe comment. Plus le sujet est compliqué, plus la manière d’en rire doit être fine.

Vous avez dit « il faut du talent pour faire de l’humour »…

Oui oui, bien sûr, beaucoup plus que pour faire pleurer. Écoute, pour moi il y a Dieu puis il y a les humoristes, les gens qui font rire, qui sont juste en dessous. C’est la chose la plus incroyable, la plus merveilleuse du monde de faire rire, mais de rire aussi. Plus le sujet est profond, plus le rire est beau.

Dans ce spectacle, vous jouez un bègue. Pourquoi ?

Je parle effectivement d’un bègue. Il y a longtemps, je travaillais avec les enfants, j’ai eu notamment un élève bègue pendant 2 ans qui m’a beaucoup touché. J’étais avec eux pour parler de théâtre. Ce qui m’intéressait, c’était leur langage de la cour pas le langage du cours. Au bout de deux séances, j’ai arrêté de parler, je les ai écoutés pendant 8 ans. À l’époque j’avais 20 ans, ils en avaient 12. Quand j’ai écrit ce spectacle, j’ai repensé à eux, à ces enfants. J’ai voulu rendre hommage aux bègues, pas me moquer d’eux. Le bègue explique au public pourquoi c’est un avantage d’être bègue. Les bègues ont tellement du mal à sortir les mots qu’ils y réfléchissent bien avant, ça évite de dire n’importe quoi. D’ailleurs, il y en a beaucoup qui devraient bégayer avant de parler. Le handicap me parle, car jusqu’à 15/16 ans j’ai zozoté, j’avais donc un accent tunisien et je zozotais, autant vous dire qu’on s’est bien moqué de moi. Je me sens donc un peu comme ces enfants. Ça me touche de voir des élèves à moi venir me voir à mes spectacles. Quand je serai très vieux, je recommencerai à travailler avec des jeunes même si cela nécessite beaucoup d’énergie.

Vous avez des rituels avant les spectacles ?

J’adore jouer. Je joue avec mon iPhone, je joue au Pictionary. Je joue tout le temps même avant les spectacles : fléchettes, jeux avec des mots, car j’adore les mots. En ce moment, je joue surtout au poker même si je ne mise pas plus de 5 euros. Avant un spectacle, j’ai besoin de jouer. Vous voyez je suis bavard. Quand j’arrête de parler, ça continue dans ma tête. Il faut que je trouve des dérivatifs pour arrêter de penser. Ce n’est pas que je suis très intelligent ou pas. Ça, on s’en fout. Je suis malade, je suis fou, je n’arrête pas de réfléchir, de travailler. Pour que je m’arrête de réfléchir, il faut que je joue. Je joue au tennis : quand je joue au tennis je ne pense plus à rien, seulement à la balle et à essayer de la toucher. Je pêche aussi et même si c’est très réflexif, je ne pense qu’au poisson. Mais si vous saviez à quel point je pêche mal ! Enfin, j’ai besoin du jeu pour oublier.

Comment écrivez-vous vos spectacles ?

Je n’écris pas forcément comme tout le monde, j’écris debout en marchant et en jouant. J’écris pour ne pas oublier. Quand je passe au geste de l’écriture réelle avec un papier, un crayon, un ordinateur, c’est que je connais tout mon texte déjà. Je rentre dans l’invention. Pour écrire, j’ai besoin de jouer la comédie. Quand j’écris un film, je joue toutes les scènes et après je les écris. Avec le temps, il m’est arrivé de trouver du texte en écrivant, mais c’est rare. Moi je ne trouve pas les images en écrivant.

Comment expliquez-vous votre longévité ?

Je pense qu’il n’y a pas de recettes dans ce métier si ce n’est travailler beaucoup, être sincère, ne pas se trahir, ne pas essayer d’être ce que l’on n’est pas, être généreux, avoir envie de partager avec les autres. Un Auvergnat qui monte à Paris ne doit pas essayer de ressembler aux Parisiens. Il ne doit pas penser qu’il part avec un handicap. Il ne faut jamais oublier ses racines. On ne peut pas savoir où l’on va si on ne sait pas d’où l’on vient. Personnellement, j’ai quand même eu beaucoup de chances dans la vie. Je ne peux pas vraiment l’expliquer, car le bonheur on ne l’explique pas on en profite alors que la tristesse, on essaye d’en parler. Je ne fais pas ce métier pour durer, je le fais car si je ne le fais pas, je suis malheureux. Le succès n’est pas mon premier objectif. Mon succès c’est quand j’ai bien travaillé.

Que pensez-vous de la nouvelle génération ?

C’est très compliqué de faire une généralité, chaque artiste est différent. Il faut se méfier du succès à tout prix. Le rire est devenu une industrie. L’autre danger, c’est que le jeu s’est beaucoup appauvri avec le stand-up venu des États-Unis. À 25 ans, il y en a qui monte sur scène en jean et basket pour raconter leur vie, faire leur mémoire, il y a un problème. Alex Lutz par exemple ne fait pas ça, il invente. Le danger c’est le manque de futur qu’il y a là-dedans. Maintenant, il n’y a que la « vanne » qui compte. Ce qui me frappe, c’est le manque de mobilisation des jeunes humoristes sur les sujets d’actualités. Je ne suis pas un humoriste politique, mais quand même. On a l’impression qu’ils sont frileux vis-à-vis de ça.

Le public n’a-t-il pas envie justement d’entendre autre chose que cette réalité ?

Le danger du divertissement c’est de se détourner de la réalité. Il faut rire du monde. Il faut avoir de l’humour pour l’affronter. Ça n’est pas si simple que ça. Prenez l’exemple de Coluche quand il parlait de la misère, de la police…

Les gens n’étaient-ils justement pas plus politisés ?

L’abstention est grandissante…Je pense que c’est justement très inquiétant. La démobilisation des gens est grave. Les artistes ne sont pas les moteurs de la société, ce sont les miroirs. L’époque a les artistes qu’elle mérite. L’époque fabrique des artistes qui lui ressemblent. Ce n’est pas les artistes qui changent le monde. Les Guignols ont essayé un peu de dénoncer tout ça. Pour moi, les plus forts ce sont les mecs du Petit Journal, ils tapent fort, ils ne font pas que rire. Ce n’est pas des humoristes, c’est des descripteurs, des provocateurs. Il y a beaucoup d’intelligence et beaucoup de justesse. On est dans un bashing systématique des hommes politiques alors qu’il n’y a pas que des mauvais en politique. Il y a des gens qui y croient. On est en train d’oublier que la démocratie est une chose magnifique. On ne s’en rend pas compte. On ne vit pas sous une dictature en France. Je ne veux pas vivre dans un pays où on tape les journalistes. Je n’ai rien contre les journalistes. Je n’aime juste pas les journalistes qui disent ne pas avoir d’opinion. Souvent leurs questions sont orientées. J’avoue que le FN me fait peur, ils ne sont pas si différents des gens qu’ils critiquent. Regardez ce qui s’est passé le 1er mai dernier, avec Bruno Gollnisch qui harangue un journaliste, ce n’est pas beau à voir. Je ne sais pas si vous vous souvenez comment les Femens ont été expulsées du balcon, mais ça fait peur. J’ai vu des images hyper choquantes. Ça m’a rappelé des images du passé… Je suis super malheureux de voir les gens qui ne votent pas. C’est comme s’ils oubliaient à quel point on vit dans un pays génial. Il faut essayer de motiver les abstentionnistes. On devrait envoyer les abstentionnistes en Corée du Nord. À leur retour, ils voteraient trois fois par jour. Malgré tout, je trouve qu’en France on est très gâté. J’ai honte, je pense aux chômeurs en fin de droits, je ne peux pas m’empêcher de ne pas y penser. Malgré ça, je pense qu’on est gâté.