Quelques mots pour vous présenter ?

Je suis metteur en scène, fondateur et directeur du Théâtre Libre à Saint-Étienne. Je suis également le porteur du Projet LUM (Lieu Unique Métropolitain), un Pôle artistique et culturel en centre-ville.

Quel est votre état d’esprit aujourd’hui ?

Face à un événement sans précédent, je suis troublé, inquiet, mais aussi curieux et très inspiré par la nécessité qui se fait jour d’un monde autre. Les deux derniers siècles sont à la fois l’apogée et la fin d’une civilisation basée depuis l’origine sur le pouvoir pyramidal. Tout un chacun peut mesurer chaque jour, l’ampleur et la barbarie de cette idéologie de l’argent ; en érodant peu à peu le principe de service public, elle a mis notre santé et nos forces vives en péril. Mais, nous redécouvrons en même temps la vitalité des principes de solidarité et de résistance par l’attitude brave, sans calcul et sans compter leur peine et leur fatigue, des personnels de santé ainsi que de toutes les personnes indispensables à notre survie. Peut-être alors, sommes-nous en capacité de changer notre monde. Pour peu que, après le danger écarté, (du moins celui-là et provisoirement), nous trouvions le courage de nous mettre en marche pour en fonder les bases.

La culture est fortement impactée par les mesures de confinement. Quelle incidence pour vous ?

C’est la possibilité de penser et d’agir autrement la vie du spectacle vivant, de l’art et de la culture. Nous étions engagés dans ce combat. Voilà une occasion unique de mettre en perspective le nouveau rôle de l’artiste citoyen, des lieux d’imaginaire, d’innovation et d’informations. Pour que la culture prenne une place plus essentielle dans nos sociétés, nous nous engageons dans de nouveaux espaces de réflexions, de décisions, même là où on ne nous attend pas. C’est une tâche énorme à accomplir, nous sommes dans l’obligation de nous unir et de nous allier aux autres forces sociales et économiques pour ensemble agir à l’émergence de ce « monde nouveau ».

Qu’espérez-vous et redoutez-vous après ?

J’espère que nous saurons faire mentir l’histoire et que nous ne retomberons pas dans nos anciennes habitudes. Ces pertes ne sont pas les nôtres, nous n’en sommes pas les artisans mais les victimes, donc, une autre économie s’impose. Et puisque vous parlez d’espoir, je ferai abstraction pour vous de mon pessimisme : convaincu que nous sommes par essence lâche et peureux, je pense que nous avons aussi la capacité de nous transcender. Je crains que nous nous relâchions trop tôt ! Je redoute qu’une seconde vague ne se répande. Je redoute par-dessus tout ces dirigeants de grands pays dont l’attitude et les décisions peuvent nous conduire au chaos.

Des idées pour s’occuper ?

Tournons-nous vers notre bibliothèque et nous découvrirons des livres que nous avions oubliés ou même ignorés, écoutons de temps à autre avec délectation de la musique, cherchons et trouvons, c’est facile, les films que nous avons toujours voulu voir, un peu de sport, un peu de gastronomie, et un peu de jeux avec les enfants… bref, faites-vous plaisir en restant chez vous. Mais aussi, rejoignons les mouvements qui se mettent en place pour les théâtres privés, dont beaucoup sont menacés de disparaître. Nous avons ouvert SaintéCulture sur les réseaux sociaux : un financement participatif citoyen, pour que chacun puisse apporter son soutien au lieu qu’il souhaite. Et tout cela, pour faire prendre conscience à chacun, que l’art et la culture ont besoin d’être massivement soutenus, comme la recherche, l’enseignement, la santé bref, le service public.

Que vous manque-t-il le plus et que ferez-vous en premier dès le confinement terminé ?

Ma définition de la liberté c’est l’art de gérer les contraintes, je suis libre ! Donc, je suis en vie, ma femme aussi et c’est magnifique. Le reste, les manques, ça se gère ! La première fois que nous retournerons au Théâtre, j’irai… à pied.

Un mot, un message pour conclure ?

Le vrai danger, c’est maintenant. Notre fatigue et notre hâte de retrouver une vie « normale » font que le relâchement est en train de se faire. Maîtrisons-nous et restons encore un peu chez nous, ne serait-ce que par respect de tous ceux qui nous aident, au péril de leur santé, voire de leurs vies, à passer ce cap. Soyons prêts à une dure mais magnifique nouvelle aventure humaine.