Pour ses premiers pas dans l’arène politique, Marc Chassaubéné, nouvel adjoint à la culture de la ville de Saint-Étienne, s’attendait isans doute à une intronisation plus douce et moins polémique. L’affaire de l’Opéra Théâtre de Saint-Étienne a propulsé le nouvel adjoint à la culture au centre de l’attention médiatique locale et parfois nationale. Rencontre :

Vous venez de la société civile, du monde de l’édition plus exactement, d’où provient votre engagement politique à Saint-Étienne ?
Je ne suis pas un homme politique, je viens en effet de la société civile. En fait, tout démarre de la rencontre avec Gaël Perdriau, c’est lui qui m’a convaincu de m’engager politiquement à ses côtés. Nous nous sommes rencontrés dans le cadre de mes précédentes fonctions, je souhaitais alors connaître les positions de ce futur candidat à la mairie et j’avais à cœur d’entendre son projet. Durant cette rencontre, j’ai pu, à mon tour, lui exposer ma vision des choses sur la vie culturelle stéphanoise. Ça s’est tout de suite très bien passé entre nous ! Nous avons échangé nos visions respectives qui apparaissaient complémentaires. Puis, nous nous sommes revus régulièrement jusqu’à ce qu’il me propose de faire partie de son projet, sans même connaître la vraie nature de mes propres orientations politiques que nous n’avions même pas abordée : seul l’intéressait mon engagement culturel. C’est cet aspect qui m’a plu.

Le Petit Bulletin, créé à Grenoble puis à Lyon et que vous dirigiez à Saint-Étienne, présuppose une orientation politique plutôt « à gauche » ?
On ne peut pas nier cet ancrage, disons-le, mais c’est surtout lié au fait que le support soit impliqué dans la culture, qui, de fait, est souvent associée aux idées de gauche… Cependant, le Petit Bulletin a toujours su respecter la liberté politique de chacun.

Ne pouvait-on pas supposer également chez vous une sensibilité de gauche… ?
Je ne suis pas partisan d’un point de vue politique farouchement marqué. Mon père est de gauche, ma mère plutôt de droite, et dans notre famille, la confrontation politique a toujours fait partie du débat. La politique, chez nous, passait obligatoirement par le débat et l’échange. J’ai été éduqué dans cet esprit d’ouverture politique par des parents engagés politiquement. Ce qui a toujours prévalu chez eux et chez moi, c’est la sincérité de la démarche. À partir du moment où l’on fait les choses en toute sincérité, on a moins de chance de se tromper, on ne peut pas se tromper…

L’enfer n’est-il pas semé de bonnes intentions ?
C’est vrai, oui. On peut se tromper de bonne foi, je crois.

Vous êtes graphiste de formation. D’où vient votre intérêt pour la culture ?
Mon intérêt pour la culture vient de cette éducation, j’ai toujours évolué dans le milieu culturel… Il n’y a pas eu un fait marquant mais j’ai été musicien et comédien amateur, j’ai touché un peu à tout et j’ai ensuite créé un magazine culturel presque naturellement…

Le maire a été intéressé par votre vision culturelle de la vie stéphanoise : quelle est-elle précisément ?
Je crois tout d’abord que la ville n’a rien à gagner à se positionner en opposition ou en concurrence à la ville de Lyon. Avec Gaël Perdriau, nous avons beaucoup parlé de l’identité de la culture stéphanoise, une identité spécifique à faire valoir. Évidemment, nous n’avons pas les moyens de mettre des millions d’euros dans une manifestation culturelle, il nous faut obligatoirement être créatif et surprenant. La culture stéphanoise doit s’appuyer sur un tissu associatif dense et très efficace. Elle doit bien sûr favoriser l’émergence et la création tout en s’adossant également aux grandes institutions culturelles. Il faut que nous soyons capables de mettre en avant ces atouts de créativité et d’émergence plutôt que de vouloir miser sur de gros événements coûteux. Depuis toujours, la ville de Saint-Étienne a su faire preuve de créativité, pas uniquement dans le domaine culturel d’ailleurs. Il nous faut renouer avec cette créativité.

La précédente mairie ne mettait-elle pas assez en avant ce tissu associatif, l’émergence et cette créativité ?
Je ne suis pas Stéphanois d’origine, je peux donc apporter un point de vue extérieur et, on ne peut que constater que Saint-Étienne est une ville paradoxale. On se rend compte que les gens ici sont fiers d’être Stéphanois et que parallèlement, ils développent une forme de sentiment d’infériorité par rapport à d’autres.

N’est-ce pas un cliché ?
C’est peut-être un cliché qui se vérifie cependant sur le terrain tous les jours. Je vous parlais de la densité de la vie associative stéphanoise et je trouve que cette activité associative n’est pas assez relayée par la ville. En matière d’émergence, le Fil a été créé pour la musique, je trouve que, même si des améliorations peuvent être apportées, le système fonctionne bien globalement. Il faut que dans l’ensemble de l’activité culturelle, un porteur de projet qu’il soit comédien, musicien, plasticien, puisse trouver un pôle référent pouvant l’accompagner dans la mise en place de son projet jusqu’à la professionnalisation de son activité.

Serait-ce ce complexe d’infériorité qui fait que la majorité des institutions culturelles stéphanoises d’envergure est dirigée par des « non Stéphanois » ?
Il y a peut-être un peu de ça, oui et il me semble que cela s’avère encore plus vrai avec l’ancien mandat durant lequel on a vu beaucoup de gens de l’extérieur débarquer… Je pense que certaines personnes ont tendance à penser qu’on ne pourrait pas trouver des gens compétents ici à Saint-Étienne et cela me terrorise parce que c’est faux. Après, l’ouverture de certains postes se fait, et c’est normal, sur l’ensemble du territoire national, mais nous avons tout ce qu’il faut ici.

Vous êtes issu de la société civile, cependant, malgré tout, vous vous êtes adossé à un parti politique, celui du maire. Comment cela s’est passé concrètement ?
Ce qui m’a plu et au final convaincu, c’est que la liste qu’a portée Gaël a toujours été marquée par l’ouverture politique justement. J’ai longtemps hésité, c’est vrai. Mais, plus nous échangions avec Gaël Perdriau, plus nos visions pour cette ville se rapprochaient. Nous n’avons jamais parlé de politique pure avec lui. Vous avez dans l’équipe de Gaël des gens qui viennent d’un peu partout…

Il n’y a quand même pas des gens de gauche qui s’ignorent… ?
Certains, je vous fais une confidence, ont même voté pour François Hollande ! Je trouve ça bien, Gaël a eu ce respect, celui de prendre ses colistiers pour leurs compétences et non pas pour leurs idées politiques. C’est ce qui m’a séduit.

Deux mois plus tard, vous êtes toujours sous le charme ?
Tout à fait, nous pouvons toujours échanger librement avec lui. Le dénominateur commun de notre équipe reste l’amélioration de la ville. Forcément, on se retrouve sur l’ensemble des points.

G. Perdriau a l’image de quelqu’un d’accessible et de simple. Est-ce encore le cas ?
Je vous le confirme. Je peux avoir son avis directement au besoin. Après, il fait totalement confiance à son équipe, ce qui veut dire que nous avons tous carte blanche sur nos activités respectives. On demande bien sûr une validation, mais nous n’avons aucune ingérence supérieure ou extérieure. On nous fait confiance, et si on a besoin d’aide, cette aide nous est apportée.

Est-il réellement intéressé par la culture ?
G. Perdriau apporte une grande importance à la culture, c’est une évidence. Il a toujours fait preuve d’une grande curiosité culturelle.

Dans toutes municipalités, l’impulsion doit venir du plus haut niveau. C’est donc le cas ici ?
Tout à fait. G. Perdriau croit beaucoup en nos projets, ce fut l’une des conditions de mon engagement d’ailleurs.

Vous n’avez pas encore 30 ans. Est-ce un avantage ou un inconvénient ?
Cela pourrait être un inconvénient parfois, mais cela l’est rarement… C’est aussi l’une des grandes qualités de Gaël, celle d’avoir su miser sur la jeunesse. Pour lui, la compétence n’est pas incompatible avec la jeunesse et il en a apporté la preuve. En France, on aurait tendance à penser l’inverse. Quant à moi, je ne fais pas spécialement attention à ça. Je ne suis pas le seul dans l’équipe à avoir moins de 30 ans. Il a su placer une vraie confiance dans la jeunesse. D’ailleurs, je crois que pour mon poste, la culture, la jeunesse est plutôt un avantage, je crois… d’autant qu’ici, nous avons la chance d’avoir beaucoup de jeunes artistes. On peut se parler d’égal à égal en terme de génération.

Quels sont donc vos grands projets pour votre mandature ?
Je voudrais commencer par le conseil consultatif des arts et de la culture. L’idée serait de ne plus prendre de grandes décisions culturelles sans l’avis de ce conseil consultatif. Je crois qu’aujourd’hui toute grande décision ne peut plus être prise par une seule personne omnipotente. Il faut absolument travailler autour d’un avis collectif. Ce projet va démarrer rapidement. Nous nous interrogeons actuellement sur le périmètre qu’aurait ce conseil consultatif. Doit-on l’ouvrir à l’ensemble des acteurs culturels, doit-on plutôt le limiter quel que soit le niveau…?

L’idée serait de prendre des avis de gens représentatifs ?
Oui et surtout d’en tenir compte.

Sur quel type de décision ? La délocalisation de la Comédie, par exemple ?
C’est l’exemple type, en effet, nous aurions consulté ce conseil pour ce type de choix qui engage la culture de la ville pour les décennies à venir. On ne peut plus prendre ce genre de décision de manière unilatérale. Il faut que le fonctionnement de ce conseil soit très factuel, que chacun puisse avancer ses propres arguments sans rentrer dans des considérations politiques ou personnelles. L’idée est d’agir uniquement pour le bien de la ville. Ce conseil pourrait également émettre un avis sur la création d’un festival, autre exemple…

Il se réunirait tous les 2 ou 3 mois ?
Je crois qu’une réunion par trimestre serait un bon tempo. C’est ce qu’il nous reste à définir.
Qui composerait ce conseil ? Des gens issus des associations, des artistes, des gens de la société civile… ?
C’est ce à quoi nous travaillons précisément, la définition de son contenu et de son périmètre d’action.

Ne serait-ce pas l’idée d’une démocratie participative chère à Ségolène Royal ?
Il y a un peu de ça, oui. Parfois, les idées sont bonnes à prendre d’où qu’elles viennent.

Un autre grand projet ?
Celui du remplacement de la Comédie de Saint-Étienne qui n’avait pas été envisagé par l’ancienne municipalité…

Il y avait bien l’idée d’en faire un lieu dédié aux associations…?
Dès le début de notre campagne, nous avions annoncé l’idée de la création d’un grand pôle du spectacle vivant dans les anciens locaux de la Comédie. Comme par hasard, quelque temps après, l’ancienne équipe avait repris cette idée au travers de cette idée de pôle du spectacle… Tout cela m’avait un peu agacé…

Quel sera ce pôle ?
L’idée est d’accompagner les compagnies de spectacles vivants en phase d’émergence.

En reprenant un peu l’idée de « saison découverte » ?
Un peu, oui mais en beaucoup plus structuré. L’objectif sera de rassembler dans un même lieu toutes les compétences, humaines, matérielles, financières et techniques, utiles aux compagnies émergentes en voie de professionnalisation. Nous aurons à disposition deux salles modulables, une grande et une plus petite, des espaces de répétition. Bref, tout un dispositif visant à concentrer et à mutualiser les moyens techniques et humains. Les compagnies s’engageraient à travers des conventions allant de 6 mois à 2 ans, renouvelables une fois, et seraient accompagnées (matériel, technique, communication…) dans tous ces domaines jusqu’à une première professionnalisation.

Ce pôle suppose néanmoins quelques engagements financiers de la part de la mairie…
Une équipe doit être composée et financée mais grâce à une mutualisation des moyens, cette équipe ne coûtera guère plus chère que ce qui se passe actuellement.

Quand ce pôle sera-t-il effectif ?
Il sera en place dès que la Comédie aura déménagé, c’est-à-dire courant 2016.

En même temps, la Comédie déménage pour de bonnes raisons, de vétustés notamment…
Bien sûr, il faudra prévoir quelques travaux… Certains aménagements seront à faire, c’est ce que nous programmons aujourd’hui. Nous prévoyons même un fonctionnement hors les murs de ce pôle culturel sans attendre le déménagement de la Comédie.

Il me semble que durant la campagne, vous aviez parlé de la création d’un nouveau festival ?
Oui, un festival de la création émergente qui est déjà initié par la Comédie notamment.

C’est-à-dire ?
L’idée sera de consacrer, sur une durée restant à déterminer, un festival autour de tous les projets artistiques émergents, avec un focus important sur le numérique, le grand axe de ce mandat, en essayant d’anticiper sur l’avenir du spectacle vivant à travers la révolution du numérique. Ce festival pluridisciplinaire impliquerait l’ensemble des institutions stéphanoises, petites et grandes, et sera porté sur la jeune création.

Quand la première édition de ce festival sera-t-elle présentée ?
L’idée serait de débuter au printemps ou à l’été prochain, dans le meilleur des cas, encore faut-il trouver une bonne date qui tienne compte bien évidemment de l’ensemble des manifestations existantes. Ce festival devra être un facteur d’attractivité fort et ne pas concurrencer ce qui existe déjà…

L’ancienne municipalité avait émis l’idée d’une biennale des arts qui n’aura jamais été créée… En sera-t-il de même pour ce festival ?
Faute d’idée et de financement, je crois… Non, parce que des choses existent déjà, comme je le disais, et que certains acteurs comme la Comédie sont déjà engagés dans cette voie, il nous faudra accompagner et développer cette dynamique existante.

Qu’est-ce qui, selon vous, fait défaut à la vie culturelle stéphanoise ?
Ce qui manque le plus, souvent, c’est l’écoute… Nous parlions du pôle du spectacle vivant, nous voulons également créer durant ce mandat, un grand pôle autour des arts plastiques. Une réflexion doit être engagée sur le devenir de l’École des Beaux-Arts et donc de la Serre des Beaux-Arts. L’idée n’est pas de cumuler des pôles, ici ou là, mais d’offrir une écoute à tous les artistes porteurs de projets. On s’aperçoit que les réponses sont souvent les mêmes quels que soient les projets. Donc, il nous faut mutualiser nos moyens pour répondre immédiatement à ces demandes artistiques.

Je reformule ma question : que manque-t’il encore à l’offre culturelle stéphanoise ?
Je crois que l’offre globale est d’excellente tenue mais toutes les thématiques culturelles ne bénéficient pas de la même visibilité. En matière d’arts plastiques notamment, la plupart des jeunes créateurs manquent cruellement de visibilité, c’est le cas aussi pour les jeunes designers. Toutes les thématiques artistiques ne sont pas traitées de la même manière et c’est dommageable pour l’ensemble de la vie culturelle. Il nous faut travailler sur ce rééquilibrage. La musique est très bien portée mais il faut travailler, par exemple, sur l’émergence des groupes qui tarde à se concrétiser. Autre exemple, nous ne sommes toujours pas capables de professionnaliser nos danseurs…

Serait-ce propre à Saint-Étienne ou la conséquence d’un désengagement conjugué de l’État sur certaines questions culturelles ?
Vous avez raison, tout n’est pas la faute de la ville de Saint-Étienne, c’est évident. Nous ne sommes pas aidés par le désengagement de l’État, c’est vrai. Il nous faut trouver d’autres clés…

La ville aura-t-elle les moyens de trouver ces clés ?
Je crois beaucoup à la mutualisation des moyens et des énergies. Quand on veut faire les choses, on y arrive toujours. J’y crois fermement pour notre ville. Nous avons la chance ici d’avoir des gens disponibles et ouverts, alors allons-y, travaillons tous ensemble et nous y arriverons.

Ce serait avant tout une question de volonté ?
Je le crois, oui. En acceptant le dialogue entre institutions, en mutualisant les moyens, nous pourrons faire bouger les choses. On le voit par exemple dans le secteur du cinéma qui se bouge beaucoup. Les choses peuvent se faire si on le veut ardemment.

On l’aura compris, vous miserez sur l’émergence, la création, la mutualisation des moyens, la valorisation des savoir-faire, de l’identité stéphanoise… Pas de grands projets culturels coûteux durant la nouvelle mandature ?
Nous aurons l’énorme chantier de la Comédie à gérer, tout de même… Après, d’un point de vue des infrastructures, je crois que nous pourrons proposer une offre assez large et assez pertinente. Il y aura la création de ce pôle du spectacle vivant qui mobilisera également pas mal de ressources.

Votre rôle, en tant qu’adjoint, vous ouvre à des sollicitations incessantes. Comment percevez-vous ces sollicitations ?
C’est vrai qu’on ne mesure toujours pas cet aspect de la fonction. En fait, le plus difficile est de faire le tri dans toutes ces sollicitations entre celles qui sont honnêtes et sincères et les autres qui le sont moins. La difficulté serait de rater, dans ce grand nombre de sollicitations, une offre sincère et pertinente. C’est humain et il me faut apprendre à gérer tout ça.
Certains acteurs culturels s’étaient engagés durant la campagne avec l’ancienne équipe, ont-ils à craindre pour leurs structures ?
En ce qui me concerne, non. Je n’ai aucune considération politique à priori dans ma démarche, je ne fonctionne pas comme ça…

Certains ont pourtant évoqué une chasse aux sorcières au sujet de l’Opéra… L’affaire de l’Opéra est sortie il y a maintenant plusieurs semaines. Avec le recul, a-t-elle été gérée de la meilleure des façons ?
Nous n’avions pas le choix, nous ne pouvions faire autrement. Nous avons choisi la seule façon possible et peut-être y a-t-il eu des problèmes de communication, je vous l’accorde. Je regrette l’utilisation politique de cette affaire.

Pouvait-il en être autrement ?
Certainement pas, mais c’est regrettable car il n’y a absolument rien de politique dans cette histoire. Mais c’est le « jeu » politique. À aucun moment nous avons pris la décision de suspendre neuf personnes de manière inconsidérée.

Cette suspension reste un acte fort…
Dans un premier temps, il convient de rappeler que nous ne sommes pas à l’origine de la révélation de ces dysfonctionnements. Ces révélations proviennent des services mêmes de l’Opéra. Dès notre arrivée, on nous a présenté une note de service qui existait déjà sous la majorité précédente, faisant état de différents dysfonctionnements au sein même de l’Opéra Théâtre. Cette note était classée « confidentielle ». Nous avons pris la décision de la rendre publique car, selon nous, il ne pouvait en être autrement s’agissant de structures publiques. Il y a deux sujets principaux dans cette affaire et la presse s’est concentrée sur un seul point, le déficit financier…

Estimé à un million d’euros…
Oui. Mais ce qui a motivé la suspension des neuf personnes n’est pas le déficit financier que nous avons découvert mais les deux autres dysfonctionnements alarmants.
Vous avez même évoqué un « danger de mort », ce n’est pas rien !
Les termes ne sont pas de moi et bien ceux qui étaient reportés dans cette note.

J’ai lu, ensuite, les déclarations d’une syndicaliste de l’Opéra, faisant preuve de plus de mesure…
Je vais vous répondre. Revenons cependant à la note des services qui faisait état de « danger de mort immédiat ». Ces termes sont écrits noir sur blanc dans cette note que nous avons découvert à notre arrivée. Ce danger technique immédiat nous a été présenté tel quel, au maire et à moi-même. La note mentionnait également la fermeture nécessaire, pour travaux, de l’Opéra Théâtre d’octobre à décembre 2014. Si le danger de mort est immédiat, il n’y a aucune question à se poser, il faut fermer immédiatement !

Ce danger de mort immédiat était-il réel ?
C’est l’interrogation que nous avons eue d’autant que la note faisait état également du déficit d’un million d’euros, non pas pour une seule année mais trois années successives. Ce déficit n’étant pas alors d’un seul million mais d’environ trois millions sur les trois dernières années. En 2012, le dépassement budgétaire flirte avec les 900 000 euros, en 2013, nous faisions face au même dépassement, la ville votant un budget supplémentaire pour subvenir au manque et en 2014, on s’orientait vers ce même déficit qui, cumulé, avoisine les 3 millions d’euros. Nous avons donc constaté sur les 3 derniers exercices, un dépassement approchant les 3 millions d’euros pour l’Opéra Théâtre dont le budget s’élève annuellement à environ 7,5 millions d’euros. C’est énorme ! Surtout lorsqu’on explique au personnel qu’on ne peut pérenniser leur poste…

L’ancienne équipe parle de chiffres et de déficit largement inférieurs…
Elle fait état d’un déficit de 400 000 euros sur le dernier exercice et se concentre uniquement sur les pertes de subventions pour expliquer le déficit. Argument non valable, car ces baisses n’étaient pas nouvelles et elles auraient dû être anticipées. Ces dépassements successifs laissent supposer que soit les budgets présentés initialement n’étaient pas sincères et adaptés à la structure, soit ils n’étaient pas respectés par la direction. Mais ce n’est pas à nous de juger, l’enquête diligentée nous le dira. Je reviens sur la note dont je parlais, tout part de là en effet : elle expliquait que la coïncidence était très heureuse entre la fermeture de l’Opéra Théâtre d’octobre à décembre et le déficit financier à combler, c’était écrit tel quel : la fermeture de l’Opéra allait permettre d’éviter ce déficit ! Dès lors, la suspicion de tentative de dissimulation par une exagération des travaux nous a paru évidente.
Cette note fait donc état de « danger de mort immédiat », de déficit cumulés et de travaux qui allaient permettre de boucher un déficit…
Elle fait clairement le lien entre tout ça, oui.

Cette note des services est-elle devenue publique ?
Oui.

L’ancien maire ne dit pas tout à fait la même chose…
Il suffit de lire la note qui mentionne également un troisième dysfonctionnement au sujet de gestion du personnel au sein de l’Opéra et de l’orchestre symphonique de Saint-Étienne. Outre cette note qui alertait sur ces problèmes de gestion des ressources humaines dès notre arrivée, nous avons reçu trois pétitions, de même teneur, et quatre délégations de personnels qui nous ont tous fait état de pression sur le personnel de la part de cadres de l’institution, des pressions qui découleraient même sur des tentatives de suicide. À partir de là et malgré la position partisane et non sincère de l’opposition, nous ne pouvions qu’agir. Nous ne pouvions faire autrement. En tant qu’élus, lorsqu’on nous rapporte des problèmes aussi graves au sein d’une institution municipale, nous sommes dans l’obligation de réagir. Le problème budgétaire n’était pas le plus urgent, il n’aurait été question que d’insuffisance professionnelle, mais ces notions de « mis en danger mortel » et de « tentative de suicide », nous ont poussé à procéder à la suspension des personnes concernées. Il y avait donc un danger physique dénoncé et admis et un danger moral et psychologique. En terme juridique, nous n’avions d’autres choix que d’agir comme nous l’avons fait. L’avocat de la ville, qui est resté le même que celui de l’ancienne équipe d’ailleurs, a validé le bien-fondé de notre démarche. Dans la mesure où le danger physique et moral est immédiat, nous sommes dans l’obligation de soustraire les personnels en question de leur environnement, d’où la suspension.

N’avez-vous pas été manipulé par les syndicats ? Ce qui ne serait pas la première fois…
C’est une possibilité mais ce n’est pas à nous d’en juger, l’enquête le dira.

Était-ce nécessaire de suspendre neuf personnes dont le chef d’orchestre ?
Notre décision n’a pas été subjective et elle n’a pas revêtu de dimension de sanction.

Mais elle a été considérée comme telle…
Grâce au travail de l’opposition, car en prétendant défendre ces personnes, l’opposition n’a fait qu’augmenter la pression et la suspicion médiatique qui les concernaient. À aucun moment nous avons cherché une quelconque médiatisation de cette affaire. La médiatisation n’est pas de notre fait. Nous avons voulu préserver ces personnes. Certaines des neuf personnes suspendues étaient directement mises en cause dans la note dont je parlais, les pétitions et les délégations de personnel. Nous avons suspendu les personnes faisant partie du comité de direction. Nous avons agi en fonction des responsabilités présumées et dorénavant ce n’est plus à nous de désigner les responsables de cette situation, l’enquête devra le faire. Nous avons reçu ces neuf personnes, elles ont été interrogées sur l’ensemble des points décrits dans la note, et après ces auditions, nous avons décidé d’en réintégrer quatre qui ont eu un comportement exemplaire. Elles se sont expliquées quant à leur fonction et leur implication. Elles n’étaient en rien responsables des problèmes constatés. Ces quatre personnes ont été réintégrées immédiatement sans aucun problème. Nous les avons accompagnées dans leur réintégration et aujourd’hui elles ont toute notre confiance. En revanche, d’autres n’ont pas souhaité s’expliquer…

En avaient-elles le droit ?
Oui, tout à fait. Mais cette décision a enclenché une enquête administrative pour déterminer leur niveau de responsabilité… D’autres se sont expliqués mais à notre avis d’une manière trop vague ou trop floue. L’enquête diligentée nous permettra de mieux cibler leur responsabilité.

Arrive entre-temps, la tribune de Michel Thiollière qui dénonce la suspension inadmissible de Laurent Campellone, chef d’orchestre…
M. Thiollière n’est pas du tout neutre dans cette affaire, au contraire même, il est très intéressé ! Je suis très dur envers lui ! Je dis clairement que sa position est irresponsable. Des délégués de l’orchestre se sont exprimés et ont fait part de la pression extraordinaire qu’ils subissaient de la part de L. Campellone. Il y a visiblement un conflit général entre l’orchestre et son directeur musical.

Tous les grands chefs d’orchestre sont un peu tyranniques… C’est le propre de l’exigence, non ?
Peut-être… Serait-ce normal ?

Peut-être pas mais c’est ainsi, Toscanini était un véritable tyran…
Ce n’est pas à nous de tirer les conclusions car si réellement des tentatives de suicide ont découlé de cette gestion, nous sommes bien au-delà de la simple exigence musicale. C’est ce que nous disent les délégués de l’orchestre qui nous ont fait part d’une situation dramatique. Nous sommes dans des faits graves et l’enquête nous permettra de clarifier les comportements de chacun. Nous ne sommes plus dans des considérations uniquement artistiques, je peux vous l’affirmer. On ne juge pas l’artiste ni son exigence artistique… À partir du moment où l’on constate une pression directe et exagérée sur des personnels, nous sommes dans l’obligation d’agir et de soustraire ces personnels à ces risques encourus. Face à ces risques supposés, nous avons décidé de rester dans l’ordre légal des choses et notre démarche a été pleinement validée par nos services juridiques et les avocats que nous avons consultés. Nous ne pouvions faire autrement.

Quel était l’intérêt de M. Thiollière de rentrer dans la polémique ?
Je crois que sa position est uniquement politique et personnelle… Il a dit qu’il n’avait pas compris pourquoi Gaël s’était présenté « à sa place ». Il avait d’autres ambitions pour lui ! Ses positions sont égocentriques, il me semble. Elles ne servent pas la ville, en tout cas. Elles marquent une grave frustration, je n’en doute pas. Quel genre d’élu prend ce genre de position ? Nous défendons l’intérêt public et l’intérêt des personnes. Uniquement.

Quand tomberont les conclusions de l’enquête ?
Assez rapidement. Le délai maximum est de 4 mois et court jusqu’à fin août. Nous allons tout faire pour raccourcir ces délais, pour le bien de tout le monde. Nous ne pouvons laisser traîner ces situations. Si d’autres personnes doivent être réintégrées, elles doivent l’être le plus rapidement possible.

Si l’enquête révèle que tout a été exagéré ?
Un audit technique vient d’être réalisé et il signifie clairement qu’il n’y a pas de danger de mort immédiat. Ce ne sont que des résultats préliminaires. Les conclusions s’orientent, du coup, vers une tentative de dissimulation pour masquer le déficit budgétaire. Si c’est effectivement le cas, c’est très grave. Visiblement, il n’y avait aucun danger immédiat poussant à la fermeture de l’Opéra Théâtre. Alors, j’ai bien peur qu’on arrive à la conclusion d’une tentative de simulation pas très sincère…

Si elle avait été réélue, l’ancienne municipalité aurait donc fermé l’Opéra Théâtre d’octobre à décembre pour dissimuler un nouveau déficit ?
C’était même acté. C’était la solution qu’on nous a proposée et qu’on a refusé. Nous avons diligenté une enquête avant.

L’affaire a pris de l’ampleur à cause notamment d’une autre affaire, le limogeage express d’A. Sefsaf à la tête du théâtre de Roanne…
Les médias ont confondu les deux affaires en parlant de chasse aux sorcières. Même si je peux comprendre que la situation d’A. Sefsaf en tant que directeur de théâtre et de comédien pouvait poser problème, je ne soutiens pas sa révocation brutale. Le conflit d’intérêts supposé aurait pu être évité, il me semble…

La raison du licenciement tient plus à un contrat antidaté qu’au conflit d’intérêts, il me semble…
Je ne peux me prononcer sur cette affaire dont je ne connais ni les tenants ni les aboutissants, mais je ne peux que rejeter l’amalgame qui a été fait au sujet des deux dossiers. Ce sont deux affaires complètement différentes. Nous concernant, et ce n’est pas rien, nous sommes relativement soutenus par les syndicats. Je constate que la presse a peu changé ses angles d’attaque depuis… Les faits sont avérés et graves. Nous nous concentrons uniquement sur le fond des dossiers, nos décisions ne sont pas motivées par des questions politiques ou personnelles mais uniquement par des notions de droit. Nous avons essayé de gérer ces affaires de la manière la plus factuelle possible. Nous allons d’ailleurs rédiger un courrier à A. Filipetti, la ministre de la Culture, pour bien lui expliquer l’ensemble de l’affaire.

Durant la campagne, G. Perdriau n’a pas été tendre avec l’Opéra…
On entre là dans des considérations artistiques différentes… Je pense que G.Perdriau soulevait la question de l’identité stéphanoise dans la saison en cours de l’Opéra…

Certains aiment à penser qu’il y a une forme d’« acharnement » autour de l’Opéra ?
Je vois ce que vous voulez dire mais concernant ce dossier il faudrait remonter encore plus loin dans l’histoire et prendre en considération les récentes déclarations de Daniel Bizeray, ancien directeur de l’Opéra et de Bruno Messina, un temps déclaré à la succession de D.Bizeray. Leurs positions permettent de mieux appréhender le climat qui entourait l’Opéra (les deux évoquent un climat interne pour le moins pesant et hostile – N.D.L.R.)… C’est là que les problèmes ont débuté et que certains partenaires financiers se sont démis. Les dysfonctionnements dénoncés par Bizeray et Messina n’étaient pas que supposés, semble-t-il.

G. Perdriau reprochait à M. Vincent d’avoir mis en avant les histoires d’emprunts toxiques, dévalorisant de fait l’image de la ville. Ne serait-ce pas la même chose avec cette affaire ?
Communiquer sur un dysfonctionnement me paraît normal. En revanche, sur-communiquer sur des dysfonctionnements, ça ne l’est pas. Je le répète, à aucun moment nous n’avons souhaité sur-communiquer sur cette affaire. La médiatisation n’est pas de notre fait, je la regrette au plus haut point. Aujourd’hui, nous sommes dans l’obligation de répondre aux attaques de l’opposition qui a su très bien envenimer la situation. Je souhaite que l’enquête suive son cours, que les responsabilités de chacun soient clairement mises à jour, puis qu’on entre rapidement dans une nouvelle phase de construction avec toutes les équipes de l’Opéra. Les personnels de l’Opéra sont aussi dans cette attente.

Cet entretien a été réalisé le 26 mai dernier. Entre-Temps, Éric Blanc de la Naulte a été nommé directeur par intérim de l’Opéra Théâtre. Voici donc la réaction, le 6 juin, de Marc Chassaubéné à cette nomination :

Quid de la nomination d’Éric Blanc de la Naulte ?
Il ne s’agit pas tant d’une nomination, je parlerais plutôt d’un remplacement, d’une sorte d’intérim et d’une situation d’urgence à gérer. Le gros avantage d’Éric Blanc de la Naulte est sa connaissance parfaite de la maison.

Quel sera son rôle précis ?
Il agira en tant que directeur intérimaire jusqu’aux conclusions de l’enquête qui a été diligentée. La prochaine saison de l’opéra a été particulièrement mal préparée, notamment en ce qui concerne tout ce qui touche aux contrats. Son rôle premier sera de finaliser cet aspect des choses dans l’urgence. Veiller à la bonne contractualisation de l’ensemble de la saison. À ce jour, rien ou presque, n’a été encore contractualisé. Il aura également un rôle d’accompagnement jusqu’à la fin de l’enquête.

N’est-ce pas un retour en arrière, il a occupé le rôle de directeur général et administratif de l’Opéra Théâtre dans le passé ?
Il s’agit plutôt de renouer avec une forme de continuité… Il est intéressant, en effet, de constater qu’Éric Blanc de la Naulte a été licencié par l’ancienne municipalité, avec laquelle il a été en conflit ouvert, parce que justement il a dénoncé les dysfonctionnements que nous constatons actuellement. Son jugement, à l’époque, était pertinent, on s’en rend bien compte aujourd’hui !