Le concert annuel de l’association Free Mômes, qui agi en direction des enfants défavorisés, se déroulera le samedi 6 octobre prochain au Firmament (Firminy) avec, en tête d’affiche, le groupe Les Ogres de Barback que nous avons rencontré :

Avez-vous conscience d’être une exception dans le paysage musical français ?
Nous sommes plutôt conscients que notre démarche est pour le moment presque unique… On entend souvent, ces dernières années, le terme « 360 degrés » pour évoquer le fait de gérer tous les domaines liés au travail de l’artiste, nous, nous en sommes à 1440 degrés sur tous les tenants de notre carrière, et vraiment, notre envie d’avancer est toujours aussi présente.

On dit souvent que le travail en famille peut être très périlleux. Depuis  plus de 15 ans, vous prouvez l’inverse. Comment vous y prenez-vous ?
On s’entendait bien à la base. Beaucoup nous disent que s’ils faisaient un groupe avec leurs frères et sœurs… ils s’entre-tueraient ! Nous avons appris à différencier les moments sur scène, en studio, dans un camion, à la maison… La vie familiale reste la même, on part en vacances ensemble, on se voit aux fêtes familiales… Une vraie famille, quoi.

Vous faites de la musique, vous voyagez, rencontrez des gens bien, élevez des enfants. Une vie rêvée dans un monde de brutes ?
On a eu cette réflexion, un jour, enfin un soir. Alors que nous sortions notre deuxième album, que les concerts et les ventes de disques se passaient bien pour un groupe de notre niveau, que quelques maisons de disques commençaient à s’intéresser à nous, nous avons questionné notre philosophie de ce métier : était-il important de vendre vite, beaucoup, plein et de devenir très connus… ou notre envie était-elle juste de vivre de notre musique le plus longtemps possible, en se respectant et en respectant les oreilles attentives à notre travail ! La réponse fut simple.

Ce rêve, pourtant, vous l’avez construit par vous-mêmes, une fierté ?
La plus grande de notre vie (excepté les dizaines d’enfants que nous avons, depuis, eus)… Imaginez : 11 personnes qui vivent de nos chansons depuis plus de dix ans!!!

Avec Tryo, Manu Chao et quelques autres moins célèbres peut-être, vous véhiculez une autre façon et de faire et de vivre de la musique. C’est donc encore possible ?
Ça l’a toujours été. Les troubadours, les saltimbanques, les voyageurs de la musique ont toujours été présents… Je me souviens d’un festival où nous allions plus petits avec nos parents, à Angervilliers sous chapiteau. Il n’y avait que des artistes peu ou pas connus du grand public, ils mettaient tous 10-0 à n’importe quelle soirée télé ! Car ils avaient de la bouteille, du talent…

Vous avez créé votre propre label. Une condition indispensable à cette liberté ?
Oui. Notre association pour gérer les tournées, puis notre label, puis nos éditions… Et bientôt une chaîne de fast-food appelé « barback-burger » ! Non, je plaisante.

Grâce à un réseau de diffusion et de distribution alternatif, vous parvenez à toucher un public très large. Comment s’y prendre sans se perdre ?
Ce fut difficile au début, surtout pour la distribution. Il a fallu que l’on fasse nos preuves pour que les gens du métier nous prennent au sérieux. Après deux bonnes années à expliquer notre démarche, les disquaires nous ont ré ouvert leurs rayons, les programmateurs leurs salles, etc…
Nous avons maintenant un bon réseau, et des personnes qui nous font confiance dans le métier. Il reste, bien sûr, quelques réticences comme, par exemple, les grosses radios (même certaines du service public !) qui nous ferment leur porte… Mais ce n’est pas grave, l’important c’est que notre public soit toujours là à chaque rendez-vous, sortie de disque ou nouveau spectacle. Et s’ils sont de plus en plus nombreux, c’est encore mieux. Et c’est le cas !

Irfan s’est ouvert aussi à d’autres groupes pour devenir un label non exclusif. Comment s’est passée cette transition ?
Nous proposons une distribution aux groupes ayant un disque prêt mais non distribué. L’idée est de leur faire profiter de notre réseau de disquaires. Malheureusement, avec la crise du disque et les gros disquaires qui réduisent leurs rayons d’année en année, c’est de plus en plus difficile de les placer …

En devenant pères et mères, vous avez fait évoluer votre musique. Ce qui n’est pas forcément le cas de tous les musiciens. Pourquoi cette volonté de toucher « un autre public » ?
Nous avions en effet quelques chansons pour enfants. En devenant parents, l’idée nous est venue de les enregistrer. Mais, comme souvent avec nous, ce qui devait être un petit projet est vite devenu énorme, avec plein d’invités, un conte, un livre… Eh oui, tous les amis à qui nous en parlions étaient très motivés pour y participer, quelle chance !!

Cette démarche aurait pu déconcerter votre public initial. Qu’en a-t-il été ?
On ne savait pas comment allait réagir notre public… Mais avec les invités que nous avions (Tryo, Pierre Perret…), il y en avait pour tout le monde. Et ceux qui nous écoutent, du coup, mettent ce disque à leurs enfants (pour les longs trajets en voiture…)

Le premier album des aventures de Pitt’Ocha s’est vendu à près de 100 000 exemplaires. Vous attendiez-vous à ce succès ?
Non !! Au contraire, on nous avait dit qu’un disque pour enfants ne se vendrait pas. Comme quoi, dans ce métier, il n’y a pas de règles.

Comment ce double répertoire existe-t-il de manière cohérente sur scène ?
Sur scène, Pitt Ocha n’existe pas vraiment. Il nous est arrivé de jouer une ou deux chansons, comme ça au milieu de notre répertoire habituel mais c’est tout. On a dans un coin de notre tête de le monter un jour en spectacle…

Pitt Ocha se rend cette fois-ci au « pays des milles collines », au Rwanda. Pourquoi le Rwanda ?
Nous avons découvert ce pays en 2004, lors d’un voyage avec « Clowns sans frontière » et c’est naturellement que l’on a voulu que Pitt Ocha se rende là-bas. C’est un grand voyageur! C’était aussi pour nous une manière de rendre hommage aux rescapés du génocide.

Vos origines sont également arméniennes. Faut-il voir un lien entre le Rwanda et l’Arménie, deux pays confrontés au génocide ?
Non, c’est un peu un hasard, mais il est sûr que nous parlons surtout des pays (et des habitants) qui n’ont pas une histoire joyeuse. Cela est venu lors de notre premier « vrai » voyage, en 98 en Bosnie. Pour un festival à Mostar, une ville ravagée par la guerre. Ça nous a marqués. Et maintenant on s’intéresse beaucoup à l’Histoire.

Lors de vos voyages, concrètement, que faites-vous de vos enfants (et accessoirement de vos familles) ?
Nous sommes tous avec des compagnons et compagnes qui peuvent s’occuper des enfants lorsque nous ne sommes pas là. Mais les laisser trop longtemps est douloureux pour tout le monde, alors, maintenant, on s’organise pour ne jamais partir trop longtemps.

Vous dites que votre public n’est pas encore concerné par l’évolution numérique. Mais jusqu’à quand ?
En fait si, notre public « jeune » télécharge beaucoup. Heureusement, nous avons quand même une base solide de public qui préfère acheter et qui attache (comme nous) de l’importance à l’objet qu’il achète. Cela nous permet de continuer à faire des disques et à rester indépendants. Mais c’est de plus en plus difficile. Par contre le public, certes, achète moins de disques, mais il est toujours présent dans les salles de concerts et ça c’est le plus important.

Comment voyez-vous l’avenir de votre métier justement ?
Nous pensons que la base de notre métier est le spectacle vivant, la scène. C’est ce que nous avons toujours fait. Maintenant, des gros artistes (qui vivaient sur leurs ventes de disques et qui voient celles-ci en chute libre) sont obligés de refaire des concerts pour gagner de l’argent. On trouve cela plutôt drôle… et positif finalement. Même si nous sommes conscients qu’il faudra trouver une solution à tout cela, et que celle-ci n’a rien à voir avec Hadopi !

Votre dernier album est sorti au printemps dernier. Pouvez-nous nous en parler un peu ?
Nous avons voulu retrouver notre esprit « acoustique » qu’on a un peu mis de côté sur l’album précédent. Avec des chansons arrangées très simplement, comme on a pu les jouer sur scène pendant toute l’année dernière, sans fioritures et pas trop chargées. Évidemment, on a voulu aussi avoir un morceau avec des invités (ça on ne peut pas s’en empêcher!). On retrouve une chanson avec plusieurs chanteurs, et avec des langues différentes (occitan, wolof, rom, espagnol, et arménien). Ce disque est encore une fois très tourné vers le voyage….d’où son titre (« Comment je suis devenu voyageur »), titre également de la première chanson. Au niveau instrumental, il y a quelques nouveautés (graile, duduk, harmonica, percus…) qu’on pourra je pense, retrouver sur scène. Il y a aussi un duo avec un ami rencontré récemment: Akli D. La petite surprise, c’est l’arrivée de notre petit frère Léo (sur deux morceaux), qui s’est mis à la batterie !

Après plus de 15 ans de vie en groupe, 1500 concerts, une bonne dizaine d’albums, comment renouvelle-t-on la flamme ?
Avec toujours plus de projets farfelus, et qui demandent toujours plus d’imagination….C’est vrai qu’on ne se contente pas juste de sortir un disque de temps en temps, de jouer nos nouvelles chansons sur scène, et c’est tout. On essaie toujours de présenter quelque chose d’orignal sur scène, en changeant radicalement d’une année à l’autre (spectacle imposant, ou petit concert rock’n’roll, au niveau des salles aussi, assises, debout, festivals, chapiteaux, petits théâtres, etc. On n’a pas de limite non plus au niveau de la sortie des disques (en gros dès qu’on a quinze chansons, on sort un disque ! Ce qui fait un rythme assez effréné…). Et puis il y a les projets particuliers, type « Pitt Ocha » ou les lives et DVD… En fait on est bien occupés…ce qui nous permet de ne jamais nous ennuyer.

Quels sont vos prochains projets ?
On a bien envie de continuer l’aventure « Pitt Ocha », avec donc un troisième opus. Et puis, bien sûr, les voyages qui vont avec ! On pense aussi à fêter dignement nos 20 ans (en 2014) !

Keith Richards vient de sortir une biographie qui dénigre quelque peu Mick Jagger, après plus de 40 ans de vie de groupe. À quand la vôtre ?
On a commencé à écrire un peu nos souvenirs tous les quatre… Peut-être qu’un jour on éditera un petit livre avec tout ça… au moins pour nous et nos enfants, on verra !

Un dernier mot ?
Girafe !