Après avoir visité cette nouvelle exposition du Musée d’Art Moderne de Saint-Étienne Métropole, nous avons souhaité poser quelques questions à Charlotte Laubard, la commissaire. En effet, cette exposition est passionnante. Elle a su, il nous semble, restituer toutes les problématiques intrinsèques à ces artistes formés à « l’école de la vie ». Raymonde Arcier, Marcel Bascoulard, Ben, Irma Blank, Alighiero Boetti, Christian Boltanski, Sophie Calle, Maurizio Cattelan, Ferdinand Cheval, Robert Filliou, Seydou Keïta, Yves Klein, Judith Scott… 44 artistes et plus de 200 œuvres qui ont en commun d’avoir bousculé nos conceptions de l’art.

Un petit mot pour vous présenter ?

Je suis historienne de l’art et commissaire d’exposition. Mon parcours m’a amenée à travailler dans différentes institutions internationales. Avant d’atterrir à Genève à la tête du Département d’arts visuels de la Haute Ecole d’Art et de Design où j’enseigne aussi, j’ai dirigé le CAPC musée d’art contemporain de Bordeaux pendant 7 ans.

Quel a été le déclencheur de ce projet d’exposition ?

J’ai toujours été intéressée par ce que produisent les gens que ce soit au sein des sphères officielles de l’art ou en marge, avec les pratiques amateurs, l’art brut, ou encore plus récemment sur internet et les réseaux sociaux. La capacité des personnes à être créatives est quelque chose qui me fascine. Du coup, avec cette exposition j’ai souhaité me pencher plus précisément sur les ressorts de la créativité, en essayant de comprendre comment certaines personnes sans formation artistique arrivent à concevoir des chefs-d’œuvre. C’est là le point de départ de l’énigme dont il est question dans cette exposition et que j’essaye de résoudre.

Comment avez-vous sélectionné vos œuvres et artistes ? Y avait-il un cahier des charges ?

Je n’avais pas l’envie de faire une exposition de célébration des meilleurs autodidactes, on serait resté à la surface des choses. Je voulais me pencher concrètement sur ce qu’un apprentissage par soi-même produit . C’est-à-dire quels seraient ces gestes et ces méthodes hétérogènes et empiriques qui amènent un créateur ou une créatrice à formuler quelque chose de novateur, sans avoir forcément les clés pour s’en rendre compte. On ausculte le milieu dans lequel le travail naît , les épisodes biographiques déterminant dans le passage à l’acte et les choix de modes d’expression, l’importance des expériences quotidiennes, des relations que chacun tisse avec son environnement.

Votre scénographie s’articule autour de plusieurs axes. Cosmogonie, autofictions etc. De quoi s’agit-il ?

Je me suis appuyée sur les analyses des sciences de l’éducation sur l’autodidaxie, soit l’action d’apprendre par soi-même. Parmi les différentes caractéristiques que j’ai relevées et mises en écho avec des pratiques artistiques, il y a cet irrépressible besoin de sortir de l’anonymat et de parler de soi, toujours sur un mode enjolivé, voire fictionnel, jusqu’à se créer parfois des mondes imaginaires dans lesquels on est le protagoniste principal.

Finalement qu’est-ce qu’un autodidacte et quelle est sa singularité dans le monde de l’art ?

En fait l’exposition démystifie la figure de l’autodidacte en montrant qu’on n’apprend jamais seul mais toujours avec. La création prend corps dans un réseau dense d’interactions avec des personnes et des entités très diverses par nature. Dans l’acte de création, la rencontre avec un objet, un matériau, un paysage peut être aussi importante qu’avec une personne ou un livre.

Un mot pour conclure ?

Comme l’exposition présente des autodidactes aux provenances très diverses avec des artistes bruts ou outsiders présentés à côté d’artistes des avant-gardes ou encore avec d’autres provenant de destinations plus lointaines, ces juxtapositions peuvent paraître assez ébouriffantes au premier abord. Mais j’espère que les fils que je tisse permettent de réfléchir à la question de la création artistique sous un jour nouveau.

CATALOGUE L’énigme autodidacte – The self-taught enigma

Cet essais de Charlotte Laubard, Hélène Bézille, Lynne Cooke et Christophe Kihm, contient des notices pour chacun des 44 artistes exposés rédigées par Marie Applagnat, Arthur Dayras, Alexandre Quoi et Elsa Vettier. Bilingue français – anglais. Coédition avec avec les Éditions Snoeck. 340 pages de pur plaisir !

© Vue de l’exposition – Photo : C. Cauvet/MAMC+