Il y a tout d’abord la présence de Marco dont la voix vous accroche immédiatement. Viennent ensuite Sylvie, Xavier, Malid, Manon et Thierry, de jeunes adolescents de la région bordelaise, chacun son registre, son rythme, ses mots. Leurs interventions se suivent, se mêlent, se bousculent ; pas vraiment des dialogues, mais des flux de pensée ininterrompus, comme si l’auteur, Alain Julien Rudefoucauld qui a beaucoup écrit pour le théâtre, à la console son, ouvrait successivement les micros de chacun d’entre eux, chaque prise de parole commençant au milieu d’un mot, précédé de pointillés. Et s’interrompant tout aussi brutalement. Le texte de Rudefoucauld est d’une incroyable puissance, urgent, brûlant, rugueux, suggestif, entremêlant tout en même temps : la langue très contemporaine, celle de la rue et des marges, celle des invisibles, le son mêlé du quotidien, la barbarie de tous les jours, à vif, éblouissante de crudité et de brutalité.

À travers les destins croisés de ce « dernier contingent » d’adolescents cabossés, c’est toute la violence de notre temps qui résonne en filigrane, l’incapacité des services de l’État, l’impuissance de la justice, de la police, des éducateurs, sur lesquels tout le monde se défausse, la démission des parents, l’absence des pères, l’épuisement des mères, soumis à une société de plus en plus indifférente et inégalitaire, brûlée par l’étalage de l’argent, l’avidité dominante, sans projet collectif, amorale et vide de sens. Peu à peu, l’ensemble dessine un conte d’une beauté sombre, étouffante. Pour incarner ce texte remarqué dès sa parution en 2012, le metteur en scène Jacques Allaire a réuni une jeune et brillante distribution, de jeunes comédiens qui ont presque tous l’âge du rôle. Une épopée contemporaine tragique qui reste un témoignage sans concession sur notre jeunesse et la façon dont notre société la considère.

Théâtre J. Dasté – Comédie de Saint-Étienne

Du 1er au 3 mars à 20 h 30