On retrouve Laurent Fréchuret sur la mise en scène de « Les Pêcheurs de perles » de Georges Bizet à l’Opéra de Saint-Étienne. Il a fait appel pour l’accompagner, entre autres, à Bruno de Lavenère, scénographe, et à Franck Chalendard, artiste peintre stéphanois. Cet opéra, devenu un classique du répertoire, est particulièrement apprécié des mélomanes. Il devrait donc nous réjouir à plus d’un titre. Histoire, musique, solistes, chœur, invitent le spectateur, comme le dit Laurent, à « regarder avec ses oreilles, à plonger dans ses lointains intérieurs, à développer son rêve personnel ».

Tu es metteur en scène d’un opéra de Georges Bizet « Les pêcheurs de perles ». Peut-on dire deux mots sur cet opéra ?

Les pêcheurs de perles nous raconte l’histoire de deux amis, Zurga et Nadir, si loin, si proches, amoureux d’une même femme, Leila, et nous plonge au cœur d’une longue nuit grande ouverte aux émois, aux élans humains. Une histoire de mémoire trouée, de serments trahis, d’amitié et d’amour dévoilés, du passé revenu de loin, plus fort que jamais.

Ces figures écartelées essayent, parmi les ombres, de devenir des individus, d’user de leur libre arbitre au milieu de la force, de la foule, incarnées par le chœur, véritable personnage que ce peuple des pêcheurs soumit aux lois, à la tradition, aux superstitions, priant les sombres divinités.

Cet opéra fut composé en trois mois en 1863, par un jeune homme de vingt-cinq ans qui voyagea loin en imagination. Si la partition est une perle de la mémoire musicale, le livret peut sembler fragile pour qui prendrait à la lettre cette fable au parfum exotique désuet. Nous y verrons plutôt un mystérieux matériau, un conte organique, une histoire écrite avec le langage et la logique des rêves, plein d’analogies, où l’étrangeté des situations tourmente des personnages en quête de lumière.

Comment as-tu abordé ce projet ?

Par l’écoute gourmande et obsessionnelle de la musique. En m’immergeant dans la beauté prégnante de ces mélodies, les leitmotivs, les ruptures et les contrastes créateurs d’images, de visages, de corps, d’espaces.

Quelques questions émergent ici : Quels pêcheurs sommes-nous aujourd’hui ? À quelle perle rêvons-nous ? À quel amour, quelle amitié, avons-nous renoncé ? À quel pouvoir, à quels Dieux faisons-nous allégeance ? Quel serment avons-nous trahi ? Quelle part de nous-même avons-nous enterrée ? À quel sacrifice sommes-nous prêts ?

Cela a fait surgir le désir de construire un lieu onirique, un espace hybride conjuguant le baraquement des pêcheurs, la « salle des pendus » des mineurs, le cinéma de fortune des désœuvrés, l’asile des égarés, le refuge des exilés et la grotte du premier peintre.

Ce lieu sera le théâtre de l’attente, de l’intime rêverie, du refoulé, des cauchemars et des songes sensuels, de l’orage et de l’incendie, et finalement celui où s’ouvrira une petite porte, une brèche dans la catastrophe.

Nous sommes en pleines répétitions à l’heure qu’il est, et nous essayons d’inventer une chambre d’échos pour partager la musique, pour recueillir les voix, pour inviter le spectateur à « regarder avec ses oreilles », à plonger dans ses lointains intérieurs, à développer son rêve personnel.

Peut-on dire que c’est une approche très différente du théâtre ?

L’Opéra, c’est du théâtre musical. Ici on dirige à deux, avec un chef d’orchestre. J’aime ce dialogue. Et la partition est un chemin de fer, les rails sur lequel inventer et faire circuler un train théâtral. Sans jamais oublier que les voix sont les véritables héroïnes.

Cette production de l’Opéra de Saint-Étienne fait appel à de nombreux talents Stéphanois. Tu es également entouré de Bruno de Lavenère, scénographe, et Franck Chalendard, artiste peintre. Un mot sur eux ?

Les talents (stéphanois ou autres !) de Bruno de Lavenère (scénographie et costumes), de Laurent Castaingt (lumières) sont ceux d’artisans rares, qui savent dialoguer, inventer ensemble. Le metteur en scène que je suis est admiratif des camarades que le hasard m’a fait rencontrer dans cette aventure : Le chef Guillaume Tourniaire, les quatre solistes conjuguant l’art du chant et du jeu d’acteur, et toute l’équipe soudée artistiquement et humainement autour du projet de faire entendre et de partager ce chef-d’œuvre lyrique avec le plus grand nombre de spectateurs. J’aime depuis longtemps le travail du peintre Franck Chalendard, je l’ai invité à habiter l’espace de cet opéra, comme un rêveur traçant des sorts sur la paroi d’une caverne contemporaine. L’art total qu’est l’opéra dégage une énergie collective enthousiasmante. La solitude n’a pas d’avenir.

Quels sont tes projets à venir ?

Continuer à lire, rêver, écrire, résister par le plaisir, mettre en jeu de nouvelles histoires dans un théâtre, un opéra, une salle de classe, un appartement, une fabrique théâtrale…

Un mot pour conclure ?

J’aimerais très bientôt vous parler de BELLEVUE – lieu d’inventions artistiques partagé – que ma compagnie Le Théâtre de l’Incendie aménage et animera à Saint-Étienne dès le mois de mai. Ouverture à suivre avec joie !