L’Assaut de la Menuiserie, galerie d’exposition stéphanoise et indépendante fête ses 20 ans. Rencontre avec quelques-unes de ses figures tutélaires :
Il y a 20 ans, vous avez créé l’Assaut de la Menuiserie. Quelles étaient vos ambitions à l’époque ?
Franck Lestard : Au départ, purement personnelles, on avait cet atelier, une ancienne menuiserie, qu’on occupait côté cour et il restait toute la partie côté rue dont on ne savait quoi faire… on a pensé ouvrir un kebab pour rentabiliser les mètres carrés mais il aurait fallu se laisser pousser la moustache… En tant que jeunes artistes, on avait déjà commencé à démarcher quelques galeries et vu le peu d’enthousiasme rencontré, on s’est dit qu’on allait utiliser le lieu qui donnait sur la rue pour montrer notre travail… C’est comme ça qu’est née l’association « L’Assaut de la Menuiserie »… autour d’ambitions personnelles avant tout, bassement égoïstes… Une fois la machine lancée, il fallait continuer, faire profiter de l’espace, alors on a invité d’autres artistes, d’abord des copains, puis des artistes dont le travail nous plaisait. On était plein de bouillon, la rage au ventre, on pensait refaire le monde et chambouler le paysage artistique stéphanois. Quand on a commencé, il n’y avait pas grand-chose, maintenant c’est encore pire… de là à y voir une relation de cause à effet !
20 ans plus tard, ont-elles été atteintes, ces ambitions ?
F.L. : En fait, je m’en fous. Je n’ai jamais pensé l’Assaut comme une entreprise avec des objectifs à atteindre. J’y ai trouvé mon compte la plupart du temps, j’y ai exposé, invité des artistes, j’ai rencontré toute sorte de gens, ça me va… L’important est de ne pas perdre de vue que ce lieu est une galerie, qu’il a une identité particulière, qu’il est reconnu comme tel dans le milieu de l’art contemporain, que sa ligne politique a toujours été de soutenir les artistes plasticiens en leur permettant d’exposer, de produire dans des conditions décentes. On est parti de rien, sans subvention, tous bénévoles… ça s’est fait petit à petit, jusqu’à aujourd’hui où tout est pris en charge par l’Assaut de la menuiserie, la communication, le logement, les défraiements, l’accueil, l’aide à l’installation, les frais de productions… Bref, une expo chez nous ne coûte rien à l’artiste, chose assez rare pour des structures de notre taille.
20 ans. Qu’est-ce qui a changé pour les artistes indépendants ces 20 dernières années ?
F.L. : Rien n’a changé. On est toujours au même point, les réseaux sont toujours aussi fermés… C’est difficile d’émerger si on n’a pas fait telle ou telle école, si on n’est pas parrainé, si on n’a pas de connaissance dans le milieu… Un peu comme partout, ça reste une histoire de classe sociale, le handicap est lourd quand on part d’en bas. Je connais pas mal d’artistes, dont des artistes reconnus, et très peu vivent de leur travail, la plupart ont un job à côté ou sont au RSA. À la différence des gens du spectacle, il n’existe pas de statut d’intermittent pour les plasticiens… Eux sont payés par les Assedic quand ils répètent, nous, on nous demande parfois de payer pour exposer, ça fait une différence…
Et qu’est-ce qui a changé pour l’association dans son fonctionnement ?
Wandrille Duruflé : Il y a depuis peu une salariée. Cela va permettre de soulager les membres bénévoles et de développer un travail de médiation notamment. Et pour ma part la volonté de poursuivre son développement vers un Centre d’Art car il n’y en a pas dans la Loire.
F. L : Le bureau a changé cette année…, dehors les vieux, place aux jeunes… Il commence à être plus facile de trouver un ordinateur dans l’atelier qu’un pinceau ou une visseuse …
Il y a 20 ans, vous sortiez tout juste de vos études. 20 ans plus tard, vous êtes devenus parents. Comment votre art a-t-il évolué au regard de ces métamorphoses ?
F. L : Ma nana n’en branle pas une dans la maison…, c’est moi qui me tape toute la smala, couche, activités extra-scolaires, bouffe, vaisselle et ménage…, ça me laisse peu de temps pour mon travail… Pour Wandrille, c’est l’inverse…
En 20 ans, vous avez été confronté à différentes municipalités, donc différentes politiques culturelles locales et couleurs politiques. Que ressort-il de ces confrontations ?
F. L : Au niveau local, ce n’est pas un problème d’étiquette mais de personnes. Les différentes confrontations furent cordiales et semblables avec quelques différences cependant. Sous M. Thiollière, c’était plus direct, frontal, avec M. Vincent sont arrivés de brillants interlocuteurs Lyonnais usant à merveille du Power Point et pour G.Perdriaux, je ne sais pas, je n’assiste plus aux réunions…
W.D : La question politique est importante car il est difficile d’exister sans soutien politique. Jusqu’ici nous avons eu une bonne écoute de la part des politiques même si de manière générale il y a un manque de concertations avec les associations qui sont expertes sur le terrain et qui sont forces de propositions.
Penses-tu que le public non averti connaît le travail et l’action de l’Assaut ?
W.D : C’est vrai que nous sommes bien présents et identifiés dans différents réseaux d’art contemporain et qu’au niveau local il est plus difficile de se faire connaître. Le public averti n’est pas non plus le plus présent. Nous souffrons notamment d’un manque d’intérêt de la part de critiques ou de journalistes. Si certains lieux ferment ce n’est pas uniquement à cause de questions politiques mais aussi et surtout le manque général de curiosité…
Que faudrait-il pour toucher plus encore ce public « non averti » ?
W.D : Plus de curiosité car nous sommes une structure ouverte dans la programmation et dans l’accueil des publics. Les artistes sont présents lors des vernissages ainsi qu’une médiatrice et différents supports (vidéo, textes) sont là pour expliquer la démarche de l’artiste. De manière générale, il est difficile de faire déplacer les gens quand ils ne connaissent pas les artistes. Nous faisons venir des artistes de l’étranger ou non stéphanois pour montrer ce qu’il se fait ailleurs dans différents types de médiums.
En quoi la révolution numérique a-t-elle impacté la création artistique ?
F.L : Comme dans tous les domaines, l’impact est énorme, mais c’est comme avec tous les nouveaux outils : le temps de la digestion…, et le superflu sera éjecté par les orifices habituels…
W.D : Forcement, oui sur les modes de productions. Nous avons présenté un artiste américain David Bowen l’année dernière qui proposait deux installations numériques…
Qu’en est-il aujourd’hui du paysage artistique stéphanois ?
W.D : Les jeunes diplômés d’art ne restent pas sur Sainté.
F.L : C’est vrai, la ville n’est pas très glamour, mais le tissu associatif est très présent, dans tous les domaines, on peut y voir du cinéma underground, de la danse, du théâtre, des concerts et des expos de qualité. Il y a une vraie vie culturelle ici… D’ailleurs, certains reviennent, on commence même à voir des Hypsters jouer à la pétanque place Jean Jaurès…, c’est dire…
Est-il concevable et souhaitable d’avoir 20 ans aujourd’hui à Saint-Étienne et de devenir plasticien ?
W.D : Il y a de bonnes conditions pour travailler, produire avec une bonne énergie qui rend cette ville si particulière mais il faut aussi aller voir ce qui se fait ailleurs…
F.L : La situation économique de la ville fait que les loyers sont peu chers, du coup on peut travailler dans des ateliers dignes de ce nom et vivre en centre-ville…, ça fait halluciner tous les artistes qui viennent de grandes villes françaises ou étrangères … Mais c’est vrai qu’il faut aussi tester ailleurs, pour éviter de sentir la naphtaline… Inévitablement, l’endroit où tu vis te nourrit. Je reviens de Nantes, la ville où il fait bon vivre… Bilan : on y voit plus de bermudas et plus de vélos, mais moins de rock’n’roll…
Les plasticiens ont toujours été les parents pauvres (absences de lieux ou de structures d’accompagnement …) de la création artistique. Est-ce toujours le cas ?
W.D : Oui c’est toujours le cas même s’il y a une prise de conscience de l’impact que cela peut avoir sur un territoire. Il n’en reste pas moins que plusieurs structures majeures ont fermé leurs portes ou fermeront leurs portes l’année prochaine (le CAP St-Fons notamment !). Encore une fois les bilans des lieux ne peuvent se mesurer sur des algorithmes ou sur des chiffres même si bien sûr ceux si doivent rendre des comptes car ils utilisent de l’argent public.
F.L : A l’ouest rien de nouveau… On nous saupoudre quelques résidences à droite à gauche, des interventions dans des écoles ou dans des quartiers sensibles. Pour croûter, certains d’artistes collaborent à ce cirque. Tout ça, c’est une parade, il serait plus simple d’accepter de rémunérer les artistes, ce qui se fait pour le spectacle vivant. Pour une expo, tout le monde est payé, les salariés de la structure, la secrétaire, les monteurs, l’imprimeur, le photographe, le traiteur qui a préparé les petits fours, la femme de ménage, mais pas l’artiste. Mine de rien, tout ce petit monde vit autour de ton travail sauf toi…Bizarrement personne l’entend, on trouve ça normal, il arrive même qu’on te demande de payer les amuse-gueules. Je n’accepte plus d’exposer si ça me coûte de l’argent…Une fois quelqu’un s’est plaint à mon galeriste. Il me proposait d’exposer dans sa structure, dans le sud de la France, je lui ai demandé quelles étaient les conditions d’exposition, s’il y avait des défraiements, des frais de transport, de productions… Il m’a trouvé vénal… J’ai un autre boulot, alimentaire, c’est donc un plaisir de les envoyer se faire foutre… Bon, soyons positifs, Il y a eu de belles initiatives, Local Line par exemple, ici à Saint Étienne, impulsé par la précédente municipalité, qui aurait pu devenir un vrai événement. Mais je ne sais pas ce que ça devient, ça n’a jamais été assumé jusqu’au bout. J’ai l’impression que les budgets ont dû être détournés sur autre chose, l’idée a dévié. Apparemment, ils trouvaient que ça tournait en rond dans le bocal…line…
Les institutions se retirent doucement mais sûrement, du financement de la création artistique. Quelle doit être la réaction des artistes ?
F.L : « Do it yourself »…
W.D : Il y a une réorganisation de distribution des subventions qui tend à financer et soutenir les grosses structures régionales. Pour nous ça ne change pas. Ça vient même d’augmenter avec la nouvelle municipalité car il n’y a quasi plus de lieux mais aussi cela vient renforcer la qualité de notre travail depuis quelques années.
Devant les œuvres de J. Koons, D. Hirst, H. Murakami et confrères…, tu gerbes ou tu bandes ?
F.L : Ni l’un ni l’autre… Dans l’imagerie populaire, il y a deux sortes d’artistes : le miteux, vivant chichement dans un deux-pièces, noyant son mal-être dans l’alcool, seul et refusant toute compromission, l’artiste incompris, que la bourgeoisie invite pour s’encanailler, une sorte de fou du roi, qui finira dans la misère, comme il se doit. C’est cette vision romantique, ringarde, que les écoles d’art essayent de casser. L’artiste fraîchement sorti des écoles est maintenant un vrai professionnel, designer plasticien, en phase avec le monde économique. Il occupe un open space, forme des collectifs, conçoit devant son computer, suit un protocole, fait fabriquer ses pièces par des techniciens et se doit de critiquer ce monde néolibéral, dont il n’est en fait que le produit, en proposant des alternatives soit écologiques soit sociologiques… Un rebelle en quelque sorte… C’est lui qui fascine maintenant, Koons et Hirst, sont des prototypes, l’idéal à atteindre… Le modèle, c’est le chef d’entreprise, avec un plan de carrière… l’artiste bohème aux ongles sales est un « has been »… Je t’avoue que ni l’un ni l’autre ne titille ma libido…il y a peut-être une place entre les deux, à côté… aaargh ! Voilà que je parle comme un centriste…
Que préparez-vous pour fêter dignement ces 20 ans de l’Assaut ?
Marie Mestre : Plutôt qu’une exposition, on va en faire deux. Elles se succéderont (la première en septembre, la deuxième en octobre). Elles sont basées sur le même principe : pendant cinq jours, 4 ou 5 artistes sont réunis dans l’espace de l’assaut de la menuiserie. Ils doivent créer une chose indéfinie ensemble. Une sorte de torture mentale quoi ! Pour l’instant chaque équipe communique par mails pour définir un cadre (pas trop serré).
Qui sont les artistes qui vont y participer ?
M.M : Pour la première session : Wandrille Duruflé, Klaas Koetje, Marie Mestre, Jean-Baptiste Sauvage ; pour la deuxième session : Bayrol Jimenez, Armand Lestard, Franck Lestard, Jérôme Mayer, Christophe Vailati.
Quelle sera la nature des travaux présenter ?
W.D : Une œuvre protéiforme puisque l’exposition est pensée par les artistes ayant des pratiques différentes.
Y aura-t-il des événements présentés (concert, apéro…) en parallèle ?
M.M : Rien en parallèle, tout est centré sur l’exposition et à l’Assaut de la menuiserie : Apéro les lundis, mardis, mercredis et jeudis de chaque semaine de production soit du 14 au 17 septembre pour la première session et du 5 au 8 octobre pour la deuxième. C’est l’occasion de voir l’œuvre en cours de production et d’échanger avec les artistes.
Et puis deux vernissages améliorés : les vendredis 18 septembre et 9 octobre.
W.D : Open apéro, ramène ta saucisse y’aura des nanas en bikini pour te la mettre dans le pain.
Les 9 artistes qui vont participer à cet événement, sont-ils des proches de l’association ?
W.D : Ils ont tous déjà exposés à l’Assaut et nous les avons choisis pour la qualité plastique de leur travail.
Avez-vous obtenu des moyens supplémentaires pour cet événement ?
W.D : Non pas spécialement mais on ne se plaint pas car au final on fait ça comme une expo normale, sauf que là, il y en a deux.
Quels sont vos objectifs pour cet événement précis ?
M.M : D’abord fêter ça. 20 ans d’existence en tant que lieu associatif d’art contemporain, c’est quand même pas mal de nos jours.
Ensuite, réunir tous ceux qui ont fait l’Assaut : les artistes, les bénévoles, les adhérents, les curieux, les aigris, les collectionneurs, tous ceux qui y ont mis les pieds et ceux qui ont prêté la main. Et enfin, tester un contexte de travail pour des artistes égoïstes par définition.
Comment vous voyez-vous, au sein de l’association, ces 20 prochaines années ?
W.D : En train de tenir le plancher de l’atelier qui s’effondre pour essayer de sauver ce qui est encore sauvable…
F.L : Il y a un nouveau bureau maintenant, c’est à eux de voir…
Et si tout ça était à refaire… Que feriez-vous différemment ou referiez-vous exactement ?
W.D : On a toujours réussi à travailler comme on voulait et à prendre du plaisir dans ce qu’on a fait donc je ne changerais rien !
Au fond, à part quelques soûleries mémorables, le jeu en valait-il vraiment la chandelle ?
W.D : Et une pancréatite pour certains… La culture c’est ce qui compte le plus donc oui ça en vaut la chandelle…
F.L : la chandelle n’est pas morte, le jeu continue…
SESSION 1
Production/montage : du lundi 14 au vendredi 18 septembre 2015
Vernissage : vendredi 18 septembre 2015 à 18 h 00
Exposition : du samedi 19 septembre au samedi 26 septembre 2015
ARTISTES :
Wandrille Duruflé www.wandrilledurufle.com
Klaas Koetje www.klaaskoetje.nl
Marie Mestre www.mariemestre.blogspot.fr
Jean-Baptiste Sauvage www.jb-sauvage.com
SESSION 2
Production/montage : du lundi 5 au vendredi 9 octobre 2015
Vernissage : vendredi 9 octobre 2015 à 18 h 00
Exposition : du samedi 10 octobre au samedi 17 octobre 2015
ARTISTES :
Bayrol Jimenez www.bayroljimenez.com
Armand Lestard www.armandlestard.com
Franck Lestard www.francklestard.fr
Jérôme Mayer www.jeromemayer.com
Christophe Vailati www.coxaplana.com/sectioncreation/vailati.html
Horaires d’ouverture
Production/montage : tous les soirs à partir de 18 h 00
Exposition : du mardi au vendredi de 15 h 00 à 19 h 00 et le samedi de 14 h 00 à 18 h 00
L’Assaut de la menuiserie : 09 73 12 72 43
11 rue Bourgneuf – 42000 Saint-Étienne
contact@lassautdelamenuiserie.com
www.lassautdelamenuiserie.com