La République, voilà le mot qui tue ! En son nom, le législateur peut être capable de tout. Des lois liberticides jusqu’aux arrangements les plus ambigus avec la morale. Égalité, liberté, fraternité, triptyque d’une utopie portée en valeur absolue. La République qui garantit la solidarité, la fraternité et l’égalité, valeurs qui elles-mêmes garantissent la République. Je te tiens, tu me tiens par la barbichette… L’égalité des chances. La Gauche en fait son étendard moral, tandis que la droite promet à chacun la chance de réussite sociale à condition de sueur (et parfois de sang pour la nation, of course). C’est pourquoi d’Henri Guaino à Rachida Dati, de Max Gallo à Xavier Niel, tous les symboles d’une ascension sociale exemplaire unissent leurs chœurs pour chanter la gloire de l’école de la République, fille légitime du fameux rêve Républicain né ici-bas sur les cendres d’une révolution dont les valeurs sont aujourd’hui portées aux quatre coins du Globe, il y a plus de deux siècles déjà. Ah, l’école de la République. Cette belle et grande école à la française qui permet à chacun d’accéder à sa part de rêve, ou faute de mieux à une ascension sociale promise et quasi programmée.

Pourtant dans cet océan de belles pensées masturbatoires, quelques voix s’élevèrent pour dénoncer l’escroquerie. Dans les années 70, déjà Pierre Bourdieu mettait en lumière les défaillances du modèle éducatif national et pointait, au contraire, la permanence du déterminisme social. À quelques exceptions près, mais tout est question de dosage me direz-vous, vous ne serez que le fruit de votre milieu social et de votre éducation. On nous avait pourtant promis la fin de la lutte des classes avec la chute du mur de Berlin… Il y a quelque temps pourtant un livre avait déjà attiré notre attention sur cette belle escroquerie. Nous en avions parlé dans ces mêmes colonnes. Il s’agissait de l’ouvrage conçu par deux sociologues, Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot intitulé « Le président des riches » qui démontrait comment l’oligarchie française, une infime partie de la population, œuvrait dans le sillage du président N. Sarkozy afin de non seulement conforter son immense richesse mais aussi de barricader son territoire. L’ouvrage en question dénonçait moins le modèle de reproduction des élites que la volonté de ces mêmes élites à toujours plus s’engraisser sur le dos de la majorité, les classes populaires et moyennes.

De nouveau, un autre sociologue, Camille Peugny s’intéresse au fameux modèle français, censé favoriser l’égalité des chances. Maître de conférences à l’Université Paris-VIII, Camille Peugny s’intéresse plus particulièrement aux inégalités entre les générations et leurs conséquences politiques. Il a publié en 2009 un précédent ouvrage, « Le Déclassement », qui décrit l’expérience vécue par les générations nées dans les années 1960, confrontées à des trajectoires de déclassement social alors même que leur niveau d’éducation est sans précédent. Son nouveau livre, « Le destin au berceau  » aborde le thème des inégalités et de la reproduction sociale. Et son constat est désorientant ! En effet, selon le sociologue, la France de 2013 est loin d’être un paradis de la mobilité sociale et de l’égalité des chances. Ainsi, selon ses recherches, quelques années après la fin de leurs études, 70 % des enfants d’ouvriers exercent aujourd’hui un emploi d’ouvrier ou d’employé. À l’inverse, 70 % des enfants de cadres exercent un emploi d’encadrement. Depuis le début des années 1980, la reproduction des inégalités demeure forte. Mieux, elle n’a pas diminué, contrairement aux discours officiels. Seuls 30 % des enfants d’ouvriers connaissent une vraie promotion sociale. 50 % des enfants d’ouvriers aujourd’hui n’ont pas le baccalauréat et seul un sur cinq des bacheliers des enfants d’ouvriers obtient leur baccalauréat général, véritable sésame d’un cursus universitaire qualitatif (soit au final 1 sur 10 !). La France est l’un des pays de l’OCDE où l’origine sociale pèse le plus sur les résultats scolaires. Un dernier rapport de l’OCDE a également montré qu’entre 1995 et 2010, la France est le seul pays où le taux de scolarisation des 15-19 ans a baissé (de 89 % à 84 %)…

Une raison à cet échec de notre système éducatif, selon le sociologue : le mépris relatif dans lequel est tenu l’enseignement primaire et l’abandon par les pouvoirs publics des premiers cycles universitaires au profit du système des classes préparatoires et des grandes écoles. La France dépense 20 % de moins pour l’enseignement primaire que la moyenne des pays de l’OCDE et privilégie ses filières élitistes aux dépens de l’enseignement universitaire de masse. Il suffit de voir le coût par élève de classes préparatoires (plus de 13 000 euros) comparé à celui d’un étudiant à l’université (moins de 7 000 euros)… Pourtant n’importe quel instituteur vous le dira, tout se joue avant la dernière année de classe primaire, là où se construit le véritable socle de l’élève, là où interviennent le plus les conditions de suivi et d’implication du milieu social. Un enfant qui peine en classe primaire n’aura que très peu de chance de suivre une scolarité brillante. C’est là qu’il faut concentrer les moyens de l’Éducation Nationale dans un premier temps pour revoir, dans un second temps, la répartition des moyens dans l’enseignement supérieur. Mais, pour lutter contre ce déterminisme social, il faut avant tout le vouloir !