Cela devait être la fête du football. À cause de quelques centaines de soi-disant supporters anglais et russes, le début de cet Euro 2016 a viré au cauchemar. On pourrait très simplement s’arrêter là et incriminer la dérive du football, ce sport catalyseur de toutes les haines. Cependant, celui qui souhaite mener une réflexion plus approfondie doit s’obliger à quelques constatations et analyses qui parfois aussi heurteront nos bonnes consciences. De toute évidence, chaque compétition européenne de football génère les mêmes violences. Que cela soit lors des confrontations entre les clubs, lors des coupes d’Europe notamment ou lors de ces rendez-vous qui convoquent les sélections nationales. Que ce soit au Portugal, en Belgique ou en Ukraine, tous les 4 ans, nous avons droit aux mêmes images honteuses, des fans avinés, souvent britanniques, allemands ou originaires de l’Europe de l’Est, s’affrontant gaiement après quelques litres pintes de bières absorbées. La nouveauté, pour cette édition 2016, tient dans l’apparition d’une nouvelle gamme dans la panoplie des Hooligans, celles de dizaines de jeunes Russes entraînés et organisés, venus directement de Russie en avion et sobres (au moins en apparence), avec l’unique ambition de se mesurer aux supporters anglais scotchés par le soleil du Sud. Nul doute que les autorités russes avaient pleinement conscience de la présence sur le territoire français de ses supporters d’un nouvel âge. Mais l’état des relations diplomatiques entre la Russie et la France est si déplorable, que, certainement, les autorités officielles russes ont vu d’un bon œil cette présence anachronique de touristes en mode « fight club ». Un mensonge par omission en quelque sorte. Cette résurgence de la géopolitique dans une compétition sportive n’est pas nouvelle et explique également l’affrontement direct entre supporters russes et anglais, les deux nations se vouant une amicale haine réciproque.

Mais tous les observateurs avisés auront été surpris par l’incompétence des autorités de l’UEFA et de l’État français à programmer la présence de supporters anglais sur le Vieux Port. Les images de 1998 opposants hooligans anglais, toujours aussi avinés, et jeunes provenant des quartiers marseillais, n’ont-elles pas été assez marquantes pour ces mêmes hautes autorités internationales n’envisagent pas un match retour entre ces deux parties ? Reprogrammer l’Angleterre au Vélodrome montre l’incompétence de l’UEFA et des autorités françaises. De la même façon, comment imaginer après tant d’expériences négatives cumulées, que l’UEFA et les nations organisatrices n’obligent pas un encadrement à la source de ces supporters dits « à risques ». Il est évident que sans la précieuse collaboration et participation des pays d’origine de ces hooligans dans l’encadrement de leurs déplacements, comme c’est le cas d’ailleurs pour les coupes d’Europe des clubs, on ne pourra plus imaginer de telles rencontres sans craindre des débordements de violence, qui, par la magie d’internet et des portables, s’organisent encore plus facilement. Les bénéfices que dégage chaque championnat d’Europe des nations devraient non pas aller dans les poches suisses des instances de l’UEFA mais contribuer à la mise en place de « cordons sanitaires préventifs ». Cependant, l’abolition des frontières européennes et des contrôles permet aussi l’infiltration de poignées mal intentionnées. Un autre mauvais coup de l’Europe…

On pourrait croire, à tort, que nous avons à faire là, dans chaque camp d’ailleurs, à de jeunes ou de moins jeunes hommes désœuvrés ou socialement déclassés. Au contraire, qu’ils soient Anglais, Allemands, Russes ou Polonais, ceux qui viennent lors de ces compétitions de foot avec la volonté de se confronter physiquement les uns aux autres jouissant la plupart du temps de situations professionnelles établies voire confortables. Il suffit de voir combien peut coûter un aller-retour entre Paris et Moscou pour comprendre que nous n’avons pas là à faire à des déclassés socialement. Non, il s’agit pour ces gens de vivre une véritable expérience de mise en danger, d’adrénaline et d’excitation, un comportement qui doit nous questionner sur la profonde nature humaine. Dans nos sociétés occidentales si calibrées, si convenues, si policées, certains éprouvent ainsi le besoin irrépressible de retrouver une forme de sauvagerie… Il y a 20 ans déjà, Chris Palahniuk écrivait « Fight Club », justement…

Enfin, comment imaginer que dans l’environnement que nous vivons en France, en Russie, en Ukraine ou en Angleterre, un environnement social de plus en plus cruel, un abandon généralisé des services publics et dégradation de l’Education Nationale, un environnement économique de plus en plus tendu où règnent compétition, coup bas et concurrence déloyale, un environnement politique détestable où les pouvoirs et les privilèges sont confisqués par une oligarchie qui se reproduit inlassablement et un environnement géopolitique toujours plus instable et injuste, que notre humanité puisse sortir indemne de cette implacable quadrature du cercle. Le football, parce qu’il reste le sport le plus populaire et le plus accessible au monde, n’est que le symptôme de nos sociétés qui, sans doute, atteignent leur point de rupture. Ce n’est pas tant le football qui est responsable de ce déchaînement de haine que les structures qui organisent le grand chaos dans lequel nous pataugeons au quotidien.