Après être passé par l’Ecole de la Comédie de Saint-Etienne à la fin des années 90, Johanny Bert crée le Théâtre de la Romette, une compagnie très rapidement remarquée par l’inventivité et l’originalité de ses créations. Depuis janvier 2012, J. Bert dirige le centre dramatique national de Montluçon, le Fracas. Sa dernière création, « De passage » sera présentée le vendredi 3 avril à 19h30 à l’Espace Culturel La Buire à L’Horme. Rencontre :

Votre univers théâtral a un lien très fort avec les marionnettes, les masques, le théâtre de l’objet… Dès votre début, vous sentiez déjà cette attirance pour ces formes théâtrales toujours un peu marginalisées ?

Je ne crois pas que ces formes théâtrales soient marginalisées. Et si elles le sont, auprès de qui ? Je crois que les spectateurs sont curieux de découvrir différentes formes de théâtre. Ce qui me semble important, c’est que cette forme soit au service d’un propos. La forme marionnettique telle que je l’utilise est un langage fragile, qui se réinvente sans arrêt au plateau et reste un outil pour l’acteur au service d’une dramaturgie. Je ne me définis pas comme un marionnettiste pour autant, mais plutôt comme un metteur en scène qui cherche dans son rapport au plateau à transcrire des corps transformés, à donner aux acteurs de nouveaux instruments de jeu qui deviennent des prothèses ou des prolongements de leurs sensations. C’est un langage visuel aussi dans lequel la dimension esthétique est fondamentale.

Pouvez-vous nous présenter cette pièce créée à l’automne dernier à Montluçon ?

Nous l’avons créé au Fracas à Montluçon après avoir fait des rencontres dans des classes et des répétitions ouvertes. « De passage » est un récit. Un homme est devant nous. Il nous décrit ce que nous ne voyons pas, ce que nous ne savons pas encore, ce qui est enfoui et que nous devons découvrir. Un secret. Celui que découvre un enfant de 9 ans. Un secret de famille. Le conteur est le personnage passeur et confident, il nous rend l’obscurité lumineuse et nous guide au fil d’une année rythmée par le passage des saisons et l’éclosion des fleurs.

« De Passage » est-ce une fable ?

Je dirai plutôt que c’est un conte d’aujourd’hui.

« De Passage » fait partie de ces textes qui m’ont donné envie de réunir dans une même salle de spectacle des jeunes spectateurs et leurs parents. C’est un texte qui propose une énigme théâtrale à résoudre en racontant avec sensibilité et responsabilité la fragilité de notre monde, de ce monde que les jeunes spectateurs découvrent et semblent pourtant déjà connaître et appréhender parfois bien mieux que nous.

La mise en scène apparaît très précise, voire très technique. Comment avez-vous travaillé cet aspect avec vos comédiens ?

L’équipe est constituée de quatre acteurs et deux techniciens et ils ont en effet, tous les six, une partition précise que nous avons construite au fur et à mesure des répétitions. Lorsque nous nous sommes retrouvés, nous avons débuté par des temps de recherches. Je n’avais jamais fait de théâtre d’ombres ou très peu dans certains spectacles, comme des tentatives pour des besoins spécifiques. C’est le texte qui m’a donné ce désir d’un rapport entre les mots et l’image en ombres. Une technique qui nous a permis de jouer avec les codes du cinéma (gros plans, plans serrés, etc.) tout en conservant l’aspect  » bricolé  » et empirique du théâtre. J’avais beaucoup de propositions mais tout s’est construit au fur et à mesure des répétitions en collaboration avec les deux plasticiennes et l’équipe du plateau. Des intuitions se mêlaient à des essais de matières en ombre. Comme dans un album jeunesse, je voulais jouer sur des contrepoints entre les mots et l’image. Parfois, c’est en accord et d’autres fois, l’image ment aux mots.

La pièce pose la question de la filiation et des liens au sein de la relation mère-enfant…

C’est un sujet que l’auteur, je trouve, traite avec délicatesse. Les enfants sont les princes curieux de notre monde, dévoreurs de découvertes multiples. L’obscurité aussi les intrigue, la tristesse aussi les attrape. Le théâtre peut fonder en eux des sentiments nouveaux pour mieux affronter la réalité et ressentir l’importance d’être vivant.

En quoi cette thématique de la filiation vous touche ?

Au-delà de la filiation, ce texte aborde la question de l’identité. Le spectacle s’inscrit dans un cycle de créations sur ce thème. Oui, la question de l’identité est importante pour moi. C’est un thème vaste qui me semble important. Dans la pièce, cet enfant va découvrir qui il est et va ainsi pouvoir affirmer son identité.

Cette pièce est destinée aux adultes comme au jeune public. Cela implique-t-il un schéma de mise en scène spécifique ?

Non, je ne crois pas. J’aime fabriquer des spectacles avec une équipe. Bien sûr nous avons une vigilance lorsque nous souhaitons que le spectacle soit accessible aux jeunes spectateurs. Cette vigilance n’est pas une autocensure mais au contraire une réflexion très libre et joyeuse.

Les spectateurs disposent de casque durant le spectacle, pourquoi ?

Cette envie est venue du texte. En effet, nous avons créé un dispositif sonore particulier qui permet à chaque spectateur d’avoir un casque audio et de pouvoir entendre au creux de son oreille, la voix du conteur, de créer des espaces sonores pour les personnages en ombre et ainsi de jouer avec le rapport intime et particulier, comme si l’histoire était racontée à chacun.

La pièce met en scène des marionnettes, du jeu d’ombres, des comédiens… Comment est né ce choix de scénographie ?

Dès la première lecture. Une intuition. Une première image. Le conteur dit au spectateur « tu peux voir dans le noir ». L’acteur au plateau est peut-être celui qui guide celui qui écoute dans un univers nouveau que le spectateur découvre. Voir dans le noir, c’est voir le secret, c’est connaître et découvrir.

Qu’attendiez-vous au fond de cette création ?

Drôle de question intéressante ! Je sais intimement pourquoi, à ce moment-là de ma vie, j’ai un désir pour un texte. Je sais que j’ai envie de transmettre ce texte et ce propos. C’est cela qui me guide. J’aime ce temps des répétitions avec l’équipe : le temps des questions, des doutes, des grands éclats de rire. Je ne suis jamais sûr de rien et pourtant j’aime ce sentiment complètement fou- quand on y pense -qu’un projet ai pu réunir une équipe pendant plusieurs mois. Et puis vient le moment/frisson où l’on ouvre la salle de spectacle pour la première fois pour montrer aux autres, aux curieux, aux amis et à beaucoup d’inconnus qui font confiance à un lieu, à une équipe, à un titre, à un sujet, à un visuel et découvrent pour la première fois un spectacle. C’est la deuxième partie de notre travail. Réajuster durant les représentations, préciser, assouplir, jouer et faire notre métier avec désir et engagement. Alors, si je dois attendre quelque chose d’une création ou de cette création, c’est peut-être de ressentir ce frémissement dans la salle durant le spectacle, d’entendre à la fin un enfant dire que ce n’était « pas si triste du tout »