Le Festival « La rue des Artistes » projette la ville de Saint-Chamond sous les projecteurs de la fête et de la musique quatre jours durant. Rencontre avec Jean François KLUFTS, président de l’association ATOUT MONDE qui a créé et qui organise le festival :

On connaît les festivals musicaux et ceux qui proposent des spectacles d’art de la rue. « La rue des artistes » mixte art de la rue et musique. Comment s’est initié ce curieux mélange ?
À la création de l’association ATOUT MONDE en 1996, nous avions dans l’idée de mettre en place un projet phare qui permettrait à notre ville d’avoir une identité culturelle qui la démarquerait. Nous souhaitions surtout mettre les habitants au centre de ce projet afin qu’ils se réapproprient l’espace urbain. Notre volonté était aussi d’inviter des artistes plasticiens créant dans la rue. Cependant, ils ne pouvaient pas occuper seuls tout cet espace, d’où l’idée d’apporter un plus avec des spectacles de rue. À cette époque, dans notre région, ce mode d’expression était très, très peu répandu. Nous avions comme référence Aurillac qui existe depuis 1986. N’oublions pas aussi la musique, qui vient clore une journée de spectacles. La première année, nous invitions donc des musiciens régionaux. Au fil des années, le projet évolue : certaines années, on mettra davantage des artistes plasticiens, une autre, les arts circassiens. Tout cela a conduit à la mixité du festival. À travers ces actions, ATOUT MONDE plaide pour la démocratisation de la culture. Notre volonté est de permettre aux publics d’approcher de plus près un artiste (musiciens, plasticiens…) Car, il n’est pas donné à tout le monde de se rendre dans une salle d’exposition ou une salle de concert ou même à Aurillac. Cette année nous avons donné carte blanche aux jeunes de l’atelier graph de l’Espace Pablo Neruda afin qu’ils réalisent la décoration des abords et du site du festival. Cette création leur a demandé six mois de travail.

Quelles seront les vraies nouveautés ou surprises de cette édition 2014 ?
Pour la ou les surprises, il faudra venir sinon ce n’est plus une surprise ! Pour être plus sérieux, chaque édition du festival est une surprise en soi. En effet, la programmation est unique. Ce n’est pas une programmation classique qui se produit dans tous les coins de France et de Navarre. Les artistes viennent se produire à La Rue des Artistes parce que derrière cette programmation il y a un projet, des humains. Alors certes nous programmons des « têtes d’affiches », mais pas quand elles sont en haut de la vague. Elles ne viennent pas de sortir un album, elles viennent parce qu’elles adhèrent au projet. Les surprises de chaque édition, ce sont aussi les coups de cœur, les découvertes, donc les prises de risques comme cette année Nawel, Scarecrow et Sound Box. C’est aussi depuis plusieurs années un espace dédié aux familles avec un espace jeux, un espace détente (pour les petits) un petit coin de paradis ou ils peuvent avec leurs parents faire une pause. Et pour cette édition, deux spectacles leur seront réservés « Un bateau » de la compagnie Rêveries Mobiles (spectacle à partir de 2 ans) et « D’rôles de ballons » présenté par Mademoizelle M.

L’idée de « La rue des artistes » réside dans la mixité, le mélange et la découverte… Curieusement, le temps est au repli communautaire et à la paranoïa. Comment vivez-vous ce paradoxe ?
Pour l’association Atout Monde, ce n’est pas un paradoxe, c’est une évidence. L’association existe pour que ce mélange et cette mixité existent. En 1996, « les merveilles d’un soir » ont été lancées. Ce projet servait à présenter différentes cultures, ainsi nous avons « visité » la Turquie, le Maghreb, la Silice, la Jamaïque… Lors de ces soirées, il y avait un sacré mélange et c’était bien. Aujourd’hui, on le retrouve pendant le festival, et c’est toujours aussi agréable, magique ! De nos jours, chacun monte l’autre contre l’autre. Le travail fait dans les quartiers est là pour prouver que le vivre ensemble est possible. En 2013, nous avons conduit un projet qui a rassemblé les structures socioculturelles de Saint-Chamond (centre social et culturel de Lavieu et de Saint Julien en Jarez, l’espace Pablo Neruda), l’école de musique municipale et la Maîtrise de la Loire, le point commun de départ c’était la musique et le chant du groupe Kaluwo. Autour de ce projet de départ, des rencontres ont eu lieu, des échanges, des découvertes et l’apprentissage de l’écoute de l’autre. C’est un projet extraordinaire qui a fait vibrer tous ces enfants et leurs encadrants pendant plus de 6 mois et ils en ont encore des frissons et n’espèrent qu’une chose, revivre une telle expérience. Ce sont les petites rivières qui font les grands fleuves. Toutes ces petites rivières sont nécessaires afin d’éviter la montée de l’intolérance, de l’insécurité, de l’extrémisme : ça fait froid dans le dos quand certaines villes basculent dans une extrémité, il n’y a pas si longtemps que ça le monde a été secoué par le fascisme, il ne faut pas l’oublier, nous n’avons pas envie de vivre une époque similaire. Non, car nous croyons en l’humain.

Derrière le festival, on trouve l’association Atout Monde, elle-même portée par une belle utopie… Parlez-nous de cette utopie « réaliste » ?
Nous allons revenir à la création de l’association ATOUT MONDE, de la vision et de la mission qu’elle s’est fixée afin de rendre la culture accessible à tous, de permettre à la population de sortir de sa consommation passive pour devenir un acteur actif dans la vie de sa cité. C’était (c’est) un sacré défit perpétuel. Pour y parvenir, nous avons structuré l’association, au départ chaque quartier était représenté par un ou plusieurs habitants, de tous milieux, de toutes conditions (ouvriers, étudiants, profession libérale, chômeurs…). Ce mélange permet le brassage d’idées, de points de vue. Aujourd’hui, cette volonté est toujours aussi vivace et nous rassemblons des énergies venues de tous les coins de la région Rhône-Alpes Auvergne. Car plus on est de fous, plus on rit ! Nous misons nos interventions, nos actions sur les enfants et les jeunes, car plus on leur apporte de la matière, éveille leur curiosité, plus demain ils seront des jeunes adultes dynamiques et ouverts sur le monde. C’est pourquoi, chaque année, dans le cadre de la politique de la ville, nous mettons en place des partenariats avec les structures socioculturelles afin de leur proposer des actions en direction de leur public et des habitants des quartiers. Ces projets sont initiés en amont du festival La Rue des Artistes qui peut présenter, ainsi, en fonction du projet, en ouverture une création unique et originale avec comme acteurs principaux les habitants (en 2012 Artistes d’ici, Artistes d’ailleurs). Cette année, la Ville aux étoiles rassemble trois centres socioculturels (Izieux/le Creux, Saint Julien en Jarez, Lavieu/centre-ville et l’Espace Pablo Neruda). Pendant les vacances scolaires, les enfants de ces structures ont participé à des initiations aux arts du cirque (plus de 400 enfants âgés de 3 à 12 ans). Les plus motivés d’entre eux ont travaillé, lors des vacances de Pâques, un spectacle qui sera présenté sous le chapiteau de cirque. A partir du 19 mai et jusqu’au 15 juin, le chapiteau de cirque va sillonner les 4 quartiers de Saint-Chamond. Ce qui va permettre à plus de 750 enfants (scolaires) de venir jouer les artistes. En soirées, carte blanche est donnée aux structures partenaires afin de proposer des animations (cinéma, concerts, débat, repas) ; un fil rouge en 2014, les mardis du cinéma sous le chapiteau. À chaque fois, le sourire des habitants et des enfants nous motive pour l’année prochaine, d’où cette utopie réaliste.

Quelles sont les particularités de ce festival ?
Ce festival a la particularité d’être né d’un projet. Quand on a créé l’association en 1996, on avait dans l’idée de créer une action qui donnerait une identité à la ville ; Comme Angoulême a son festival de la BD, Avignon son festival de théâtre, Vienne son festival de Jazz… Pour y parvenir, nous avons procédé par étapes. La première, nous avons fait connaître l’association en mettant en place différents projets (la Nuit Atout Monde, Merveilles d’un soir…). Nous avons vite été repérés pour notre sens de l’organisation sérieuse et professionnelle, de la communication, par la qualité artistique et la place donnée aux habitants. Cette étape franchie, nous avons pris notre bâton de pèlerin et nous sommes allés à la rencontre des financeurs (privés, dans un premier temps, puis publics). Aujourd’hui, le festival La Rue de artistes, ce sont 12 000 spectateurs, une programmation qui n’existe nulle part ailleurs. Certes, on ne surfe pas sur la vague car ce qui nous intéresse c’est de faire venir des artistes, certes, connus mais pas ceux qui font le tour de France des festivals. Alors, oui, cette année nous programmons Zebda et nous en sommes très fiers d’une part parce que nous admirons leur parcours et leurs prises de position mais aussi parce que les festivaliers assisteront à leur concert pour 5 euros. Une large place est donnée aux jeunes talents de la région Rhône-Alpes et d’ailleurs, parce qu’il est important que ces jeunes artistes puissent se produire sur des scènes pros et qu’ils soient mis en avant comme tout autre artiste.
Une autre particularité, l’organisation du festival : 70 bénévoles mobilisés depuis plusieurs mois, réunis régulièrement pour concocter chaque édition. Leur parole, leurs idées sont prises en compte. Ils viennent d’ici et d’ailleurs, ils sont de tous bords, de tous milieux, de toutes conditions ; ils sont séduits par la démocratie ambiante qui règne au sein de l’association. Ils sont tous animés par cette même volonté faire de chaque édition un moment d’une grande intensité riche en rencontres, en échanges. Je les remercie très, très, sincèrement pour leur extrême générosité. Enfin, un petit mot concernant nos artistes en herbe, qui sous l’œil vigilant et attentif de leurs maîtres d’école, créent chaque année une exposition de chats à ciel ouvert visible dans les lieux stratégiques de notre ville. Chapeau bas, quel beau travail !

Pendant 4 jours, le centre-ville de Saint-Chamond est dans vos mains. Quelles sont les principales difficultés auxquelles vous êtes confrontés durant ces 4 jours ?
Aucune, non je ne rigole pas ! Aucune parce que tout le monde (commerçants, habitants, automobilistes, cyclistes, piétons…) joue le jeu. Mais un gros travail en amont est réalisé, ce n’est pas toujours simple, l’essentiel est que chacun comprenne que cette manifestation est organisée pour le bien de TOUS, pour l’intérêt général de notre commune et de notre département.

Les temps sont rudes pour la culture, le sont-ils et le seront-ils pour La Rue des Artistes ?
Ah qui le dites-vous ma brave dame !
Avant de répondre à cette question, je voudrais ici rendre hommage à l’ensemble des intermittents du spectacle, sans eux aucune animation culturelle ne pourrait exister. Les temps sont rudes pour la culture et, ce n’est pas d’aujourd’hui ! Alors qu’on sait que la culture c’est 3 % du PIB, elle emploie 750 000 personnes. Je n’arrive pas à comprendre pourquoi les politiques n’en tiennent pas compte. En ce qui concerne le festival La Rue des Artistes, c’est un festival qui est ancré, certes, mais c’est vrai qu’on n’est pas à l’abri qu’une institution décide de ne plus le financer. L’État se désengage, modifie ses orientations et les collectivités territoriales sont contraintes d’en faire autant. En ce qui concerne la ville de Saint-Chamond, la nouvelle équipe municipale s’installe, a priori pas de changement en 2014 et dans les 6 prochains mois nous allons redéfinir nos objectifs dans le cadre de la convention qui nous lie avec la Municipalité. Pour cette édition, nous ne sommes pas inquiets mais nous sommes sur le qui-vive. Alors nous avons revu nos sources de financement pour se tourner vers le mécénat. En 2013, l’association ATOUT MONDE a été reconnue d’intérêt général. On a commencé une campagne pour 2014 qui a porté ses fruits puisque 8 mécènes ont rejoint le festival.