Isabelle Kawka vient de publier son premier recueil de poésie « Et le feu de la terre brûle », aux éditions L’Harmattan. On découvre à travers son parcours, ses engagements, son amour pour l’Amérique Latine – son « continent de cœur et d’âme » – et son extrême sensibilité, une personne éveillée, lucide et connectée au monde dans ce qu’il a de plus sacré et merveilleux, mais aussi touchée par la réalité de ses contemporains. Ses poèmes expriment tout cela, avec le désir de le partager avec nous, pour que nous puissions, peut-être, aller nous aussi à sa rencontre, ainsi que les mondes qui l’habitent.

Peut-on connaître les grandes lignes de votre parcours ?

J’ai grandi à Saint-Victor-sur-Loire, entre formation musicale au Conservatoire de Saint-Étienne et cours de danse. Très vite, j’ai eu envie d’appréhender le mouvement du monde, voir ce qu’il y avait derrière les 7 collines. Après des études de sciences politiques et relations internationales, je me suis engagée dans la défense des droits humains et la gestion des conflits. L’Amérique latine a toujours constitué mon continent de cœur et d’âme ; j’ai donc très vite rejoint cette terre. Depuis quelques années, je vis en Colombie, où j’accompagne le processus de luttes populaires, construction de paix et réconciliation, en particulier auprès de femmes rurales et ex-combattantes. C’est à leur côté que ma conscience écologique et mes convictions féministes se sont consolidées.

Dans ce même temps, je me suis formée au théâtre des opprimés. En 2017, j’ai coécrit le spectacle de cirque-théâtre pour enfants « Une balade sans chaussette » avec la Compagnie Elefanto, présenté la même année au Festival d’Avignon. En 2022, j’ai réalisé un documentaire sur les ex-combattantes des FARC en Colombie et la question de la place des femmes dans les conflits armés. « Et le feu de la terre brûle » est mon premier ouvrage poétique.

Le rôle de l’art dans votre parcours et vos engagements est évident. Pourquoi ?

L’art c’est ce qui donne du sens à la vie, c’est ce qui reste lorsque tout s’effondre autour de nous. Dans nos systèmes actuels, très hiérarchisés et compétitifs, il est parfois difficile de s’exprimer, de donner de la place à nos émotions, à nos vulnérabilités et nos espoirs. Faire de l’art aujourd’hui, c’est pour moi revendiquer un geste politique, faire un pied de nez au rythme effréné et à l’homogénéisation qu’il nous est demandé d’adopter dans nos vies. Je suis convaincue que l’art est un vecteur imprescriptible de connexion entre les êtres, une manière de partager nos sensibilités et nos mondes intérieurs, pour imaginer ensemble une autre réalité.

Qu’est-ce qui vous a conduite à la poésie ?

Je suis entrée dans le monde des mots par une lecture boulimique de romans et d’essais, portée par une envie inquiète de comprendre les passions et les complexités humaines. La poésie est arrivée tardivement dans ce tableau. Les poèmes contemplatifs classiques appris à l’école m’ont toujours ennuyée. La révélation poétique s’est faite par la rencontre avec des auteurs et autrices latino-américains comme Neruda, Benedetti, Mistral, etc. – plus incisifs – et par un vécu intense sur les terres latino-américaines, en totale adéquation avec ma sensibilité.

La poésie est pour moi un langage musical, un au-delà des mots, permettant de laisser jaillir les émotions. Cet art ouvre des champs atrophiés et donne un espace au trop-plein qui m’habite. C’est une forme libre qui s’affranchit des codes narratifs pour exprimer ce qui me traverse.

La poésie a également cette force de réussir à nous connecter un peu plus à nous-même, à tout ce qui nous entoure, et pour quelques instants voir le monde autrement. J’appelle cela « le décentrement du regard ». Se laisser toucher au corps pour commencer à percevoir les choses différemment, se questionner, agir. En ce sens, la poésie est un véritable outil de réflexion, de guérison et de transformation.

Et le feu de la terre brûle est donc votre premier ouvrage. Peut-on en dire quelques mots ?

« Et le feu de la terre brûle », publié aux éditions L’Harmattan, est né de mon expérience en Colombie et de divers vécus sensibles aux confluences de ma culture française et de mon quotidien en Amérique latine. Il a été conçu comme un « don contre don », une manière de rendre au monde ce qui m’a été donné de vivre, sentir et penser ces dernières années.

Ces poèmes, c’est le cri habité d’une génération qui refuse de se conformer et qui s’interroge sur l’avenir. Ils reflètent les questionnements qui nous agitent aujourd’hui : l’engagement féministe, le patriarcat et ses violences, les conflits humains qui surgissent et persistent, la défense du vivant, les systèmes qui usent les corps et les liens, et l’urgence du collectif.

Le recueil – pensé comme un pont entre les continents – célèbre aussi la nature, les forêts, la liberté et la joie sourde qui se partage à plusieurs. Il constitue une invitation à nous relier, à vibrer autrement. Pour nous densifier un peu plus et retracer les contours de notre engagement, de notre humanité.

On vous retrouve en mars pour plusieurs événements ?

Mars et son Printemps des Poètes sont une bonne occasion pour venir écouter des textes qui réjouissent l’âme. Je serai pour cela à la Maison de la Poésie d’Avignon, Le Figuier Pourpre le 23 mars, dans le cadre d’un week-end de poésie latino-américaine pour une rencontre-lecture. Vous pourrez également me retrouver à la librairie Nos Madeleines de Proust à Saint-Just-Saint-Rambert le 30 mars pour l’événement « L’Aura des poètes » aux côtés d’autres artistes Rhônalpins.

Un mot pour conclure ?

Cette expression poétique trouvera continuité dans l’écriture d’un roman que j’aurai le plaisir de vous présenter bientôt.