Le musée d’Allard, à Montbrison, se trouve dans un ancien hôtel particulier. Entre cour et jardin. Il offre à travers plus de deux siècles de collections son regard sur la nature, l’art et l’enfance. Aujourd’hui, trois thèmes majeurs structurent les présentations du musée : les sciences naturelles, le monde de l’enfance et la section « Beaux-Arts » avec des fonds anciens et des expositions temporaires régulières présentant essentiellement des œuvres du 19e et du début du 20e siècle. C’est justement à l’occasion de l’exposition temporaire « [IN]visible, la mort animale » que nous avons rencontré Laurence Paris, directrice de ce musée et l’un des artistes exposant, Ghyslain Bertholon.

 

Laurence Paris : Vous êtes directrice de plusieurs établissements. Peut-on dire quelques mots sur chacun ?

Pour être précise je suis directrice de trois musées. Le musée d’Allard à Montbrison, qui présente les collections d’histoire naturelle de Jean Baptiste d’Allard ainsi qu’une exposition de jouets retraçant notamment l’épopée industrielle de l’entreprise Gégé. Le musée propose également deux expositions temporaires annuelles pour élargir son champ thématique. Le musée des civilisations – Daniel Pouget, à Saint-Just-Saint-Rambert, présente quant à lui, 10 000 objets en majorité extra-européens. Venir au musée c’est faire un voyage à travers le monde ! Et je dirige l’écomusée d’Usson en Forez, dans un site magnifique avec une muséographie très contemporaine, le musée présente 1500 m2 d’expositions permanentes et temporaires. L’écomusée raconte le monde paysan, la vie quotidienne, les contes et légendes du Forez.

 

Ghyslain Bertholon : A Saint-Étienne on connaît les œuvres de Ghyslain Bertholon, mais on ne connaît pas forcément l’artiste ! Quelques mots de présentation également ?

Comme beaucoup, c’est par les études que je suis arrivé à Sainté. Je cherchais une école qui pourrait m’offrir du temps pour expérimenter et réfléchir en toute liberté. À l’époque, j’étais autant attiré par l’art que par la musique ou le théâtre. J’ai choisi l’école des beaux-arts de Saint-Étienne pour l’excellence de son enseignement et ai très rapidement travaillé avec Jean-François Gavoty qui est devenu mon directeur de recherches et plus important encore, mon ami. Ce réseau d’amitiés qui a commencé à se tisser à cette époque a largement contribué à faire de moi un artiste Made in Sainté !

Dès ma sortie de l’école, j’ai rejoint l’atelier de conception urbaine (un groupe de jeunes diplômés des écoles stéphanoises en art, design et architecture) sous la houlette de l’urbaniste Jean-Pierre Charbonneau. Grâce à lui, j’ai pu très vite proposer des œuvres dans l’espace public. C’est aussi à Saint-Étienne que j’ai eu ma première exposition personnelle. C’était en 2005 avec François Barré comme commissaire d’exposition.

 

GB : Pour aller plus loin, comment décririez-vous votre travail ?

Mon travail en général consiste à produire du sens. Je ne prétends à rien d’autre. J’essaie de proposer des œuvres susceptibles d’éveiller chez le regardeur une émotion, un sentiment quel qu’il soit. À partir de là, chacun est libre d’entrer dans la réflexion et de commencer à s’interroger sur le sens des œuvres s’il en a le temps, l’envie, la curiosité.

Que ce soit dans un centre d’art, un musée ou dans la rue, il s’agit donc de propositions faites à un public. Propositions que chacun est libre d’interpréter comme bon lui semble en fonction de son histoire, de ses connaissances, de son âge ou simplement de son humeur du jour !

 

LP : Comment est né ce projet d’exposition ?

Une des thématiques forte du musée à travers ces collections de taxidermie est le rapport de l’homme à l’animal. Cette relation se joue aussi dans la mort. Aujourd’hui, la vie citadine, éloignée de la chasse et des élevages, a rendu la mort animale invisible. Le lien affectif, voire amoureux, que nous tissons aujourd’hui avec nos animaux domestiques redéfinit en profondeur notre rapport symbolique et matériel aux animaux ainsi qu’à leur mort. Alors qu’elle est largement cachée, la mort animale soulève des réactions de plus en plus exacerbées. Pourtant l’animal reste une ressource naturelle dans nos sociétés. D’où le titre [IN]visible, la mort animale.

 

LP : Un projet dans l’ère du temps puisqu’on s’interroge de plus en plus sur la souffrance animale. Mais la gageure, c’est d’y intégrer l’art contemporain ?

L’art contemporain nous permet de nous aventurer sur des chemins de réflexion plus en prise avec l’actualité. La confrontation des collections patrimoniales avec des œuvres contemporaines me semble nécessaire. Le musée est certes « un temple du savoir » où nous conservons rigoureusement des collections, il doit être également un espace de découvertes et d’échanges.

Dans le cas présent, les artistes apportent un regard singulier sur les questions éthiques et sociétales que soulève la mort animale dans notre société à l’heure où les problématiques environnementales s’imposent à nous.

 

LP : D’avoir mis en base line « la mort animale » était peut-être risqué ?

Mais il s’agit bien du thème de l’exposition et nous ne voulons pas tromper les visiteurs ! Dans le contexte particulier de la crise sanitaire les gens ont peut-être envie de plus de légèreté, pourtant l’exposition est loin d’être morbide, pour preuve les œuvres de Ghyslain ne manquent pas d’humour ni d’irrévérence. Loin de vaines polémiques et de tout manichéisme, nous avons voulu par cette exposition susciter des questionnements, une réflexion ; le musée a pour tâche de proposer un « calme examen » de la question animale dans notre société.

 

LP : Du coup, qu’allons-nous découvrir dans cette exposition ?

Du spécimen naturalisé à vocation scientifique, aux vêtements de mode en passant par des objets du quotidien et l’alimentation carnée, l’exposition donne à voir toute la diversité des relations que l’Homme entretient avec les animaux sauvages ou domestiqués. De nombreuses représentations artistiques, scènes de chasse, nature-mortes appuient le propos. Les œuvres des artistes contemporains Ghyslain BERTHOLON, Nicolas RUBINSTEIN, Alain POUILLET, Valérie BELIN, André HAMPARTZOUMIAN, Jean DIEUZAIDE questionnent avec dérision, humour ou provocation notre rapport aux animaux jusque dans leur mort afin de transformer la société et ses pratiques.

 

LP : Est-elle conseillée à tous les publics ?

Bien sûr à tout âge on peut s’interroger et apprendre ! Pour nos jeunes visiteurs des ateliers créatifs sont proposés dans le cadre scolaire mais aussi pour lors des vacances pour les familles.

 

GB : Comment aborde-t-on un sujet comme celui-ci ?

Une partie de mon travail interroge la relation que nous, animaux humains, entretenons avec la nature en général et les animaux en particulier. J’ai débuté ces recherches il y a une vingtaine d’années, à une époque où le fait d’évoquer la fin des énergies fossiles ou d’interroger sur le bien-être animal n’était pas vraiment au centre des préoccupations médiatiques.

Aborder un sujet comme celui de la mort animal est paradoxalement plus facile aujourd’hui. Les lignes ont énormément bougé ces dernières années. Et si l’on peut regretter la lenteur du processus et la frilosité de certains décideurs (politiques ou économiques) une véritable conscience écologique citoyenne est née au niveau mondial. C’est à chacun d’agir, même modestement, à son niveau et avec ses moyens, pour que se développe cette prise de conscience.

Pour revenir sur le sujet de l’exposition il s’agit, comme l’a dit Laurence, de montrer ce que nos sociétés occidentales tentent désespérément de rendre invisible. Cette mort animale qui emplit les rayons de nos supermarchés, est consciencieusement cachée au regard des consommateurs que nous sommes. Il est judicieux, je pense, de s’interroger sur le phénomène. L’exposition ne prétend pas apporter de réponses mais propose des pistes de réflexion autour de ce thème sans rien occulter de l’ambiguïté des relations que nous entretenons avec les autres animaux qui nous offrent leurs vies pour nous nourrir, nous vêtir, nous divertir…

 

GB : L’artiste peut-il être aussi un messager, quelqu’un qui peut sensibiliser notamment les plus jeunes ?

C’est son rôle, je crois. À quoi bon produire des images ou objets qui s’ajouteront aux images et objets si ce n’est pour tenter de produire du sens ? L’industrie et la publicité saturent déjà nos vies d’images et objets ! Les artistes sont là pour proposer autre chose : tenter de faire sens en offrant des œuvres comme des ouvroirs de réflexion potentielle.

Concernant les plus jeunes, ils s’avèrent bien souvent les plus désinhibés, posent les questions qui font mouche et proposent des interprétations pleines de bon sens. D’ailleurs j’en profite pour redire, qu’il n’y a ni mauvaise question, ni fausse interprétation. Chaque œuvre contient ce que l’on y met. J’y place, quant à moi, mes préoccupations artistiques et nombre de références aux maîtres du passé, mais la petite histoire que chaque spectateur se raconte, participe de l’existence même de l’œuvre.

Pour revenir au jeune public, je suis persuadé que l’on peut parler de choses sérieuses et profondes avec un certain décalage dans l’absurde. Désespérément optimiste, j’ai du mal à me départir d’une forme d’humour que l’on retrouve dans certaines de mes œuvres. Cette approche peut offrir une porte d’entrée aux plus jeunes et je m’en réjouis.

 

LP : L’exposition donne également lieu à des débats, des médiations ?

Oui toutes nos expositions sont accompagnées d’une programmation culturelle, le prochain débat sera avec Ghyslain le 6 février 2022 et ne manquera ni d’enthousiasme ni de passion !

 

LP : La suite du programme en 2022 ?

Le musée participe à la fête du livre jeunesse de Montbrison en exposant deux illustratrices Marion Janin et Laëticia Devernay du 18 mars au 6 juin 2022. Ensuite nous poursuivrons avec une exposition artistique des œuvres de Reine Mazoyer, artistes aux multiples facettes, originaires de Montbrison. Cette exposition donnera lieu à un partenariat avec la médiathèque de Saint-Étienne à qui Reine Mazoyer a confié les archives de son mari, Robert Mazoyer, avec lequel elle a collaboré en tant que décoratrice de certains films.

 

GB : Et vous, quels sont les projets à venir ?

Et bien me reposer un peu ! Disons le temps des fêtes de fin d’année.

Après l’arrêt brutal des manifestations culturelles en raison des contraintes sanitaires imposées par la pandémie en 2020, tout a repris avec force et vigueur et j’ai été présent dans une vingtaine d’expositions en France et à l’étranger en  2021 ! Heureux et épuisé. J’adore cette sensation !

Ceci dit, je suis en train de préparer ma participation à la nouvelle édition de Lille 3000 où Fabrice Bousteau, le rédac’chef de beaux-arts magazine, m’a convié. Dans la foulée, la Ville de Lille m’a commandé une sculpture pour l’espace public et je prépare aussi une œuvre pour la Ville de Saint-Étienne. Je vous en dirais plus en temps et en heure mais ce dernier projet me ravit car il se développe en bonne intelligence avec des urbanistes, architectes, paysagistes et écologues pour un rendu au printemps 2023.

À suivre…

 

LP : Un mot pour conclure ?

Je souhaite une belle année culturelle aux lecteurs de l’Agenda Stéphanois, des découvertes, des moments de partage et d’échanges en toute sérénité !

 

GB : Un mot pour conclure également ?

Un petit mot de conclusion pour remercier Laurence et Sandrine du Musée d’Allard pour cette exposition et pour inviter tout un chacun à user et à abuser de l’offre large et diversifiée proposée les musées, galeries, théâtres, cinémas, associations culturelles de tout poil.

Enfin un petit mot pour remercier toute l’équipe de l’Agenda Stéphanois pour sa fidélité aux créatrices et créateurs de la région.

Très belle année 2022 à toutes et à tous.