Gautier Marchado, metteur en scène de la Compagnie Parole en acte, revient en novembre avec « Juste un été », d’après « Amour promis » d’Émile Clermont (éditions Grasset 1909), pièce qu’il a co-mise en scène avec Louis Bonnet. Une belle occasion pour revenir sur son travail, présenter cette nouvelle pièce et peut-être aussi réfléchir au processus de création, qui, s’il reste essentiel et passionnant, n’en demeure pas moins un long parcours du combattant.

Peux-tu présenter en quelques mots ta compagnie Parole en Acte ?

La création de la compagnie date de 2016. Cela a été pour moi la traduction concrète de ce désir de mise en scène que j’ai eu très tôt, comme une volonté de fabriquer, inventer, penser dans un espace qui me permet une grande liberté. Le désir aussi de fabriquer avec d’autres. C’est un projet que je porte aujourd’hui avec Delphine Basquin, chargée de production dans la compagnie. Pour moi c’est un espace où, à partir de mes intuitions artistiques, je peux aller à la rencontre de partenaires, d’habitants, d’associations, pour concrétiser mes projets. Nous travaillons avec des théâtres, avec l’éducation Nationale, avec des associations de cultures populaires, avec des groupes d’amateurs. Aujourd’hui la structure est au cœur d’un maillage fort qui se développe encore tous les jours. Rencontrer les gens par mon projet artistique, c’est cela qui m’anime.

Qu’est-ce qui t’intéresse, te touche de manière générale dans le spectacle vivant ?

Le désir de départ c’est l’immersion dans les textes, dans la langue des auteurs et autrices. La langue charrie avec elle une vision du monde, une pensée politique et poétique. C’est ce travail qui m’intéresse, en partant toujours du corps, du rythme, de la musicalité qui sont les façons dont la langue traverse le corps de l’acteur. Je fais un théâtre où la question du temps est omniprésente. Quand je travaille sur un texte ancien, ce n’est jamais avec un esprit de célébration, ni en disant au public « regardez, les choses n’ont pas changé ». Je crée des bulles d’immersion pour les spectateurs et spectatrices, des espaces de dépaysement, des pas de côté, construits à partir du passé mais qui vont volontiers vers l’anachronisme. Des espaces qui nous replacent dans une temporalité, une chronologie. J’ai besoin de cette ouverture, sinon le présent m’étouffe. Le présent, je le vis comme le temps de la lutte pour des valeurs, la lutte syndicale, politique. Au plateau c’est autre chose. Je fais la distinction entre les deux, et pour moi l’un ne va pas sans l’autre.

Y a-t-il un fil conducteur à tes différentes mises en scène ?

J’essaye de ne pas trop préméditer cela, mais je me rends compte au fil des projets que le thème de la violence sous toutes ses formes revient souvent. J’aime aussi travailler sur des personnages qui sont des symptômes de leur époque, en prise avec des enjeux qui les dépassent. Explorer ce qui agit en eux.

J’assume maintenant une certaine simplicité, une épure dans mes propositions. Le travail sur la prosodie prend de plus en plus de place aussi parce que je l’assume pleinement face aux interprètes. C’est très difficile de faire des choses simples sur scène, mais c’est souvent l’épure qui me touche le plus.

Être metteur en scène est difficile, notamment parce que pour qu’une pièce soit jouée, il faut beaucoup de temps. Vient ensuite la difficulté de trouver des lieux pour l’accueillir etc. Comment vois-tu ce métier aujourd’hui ?

Je crois que les créateurs et créatrices sont pris dans des injonctions contradictoires et aberrantes. L’obligation à la diffusion alors qu’il n’a jamais été aussi difficile de diffuser nos œuvres. Les schémas de développement d’une compagnie calquée sur un modèle expansionniste du monde de l’entreprise. Et à côté de cela les subventions publiques qui baissent ou stagnent (ce qui revient au même étant donné les hausses des coûts auxquels sont confrontées les structures). Ce qui coûte le plus cher en France dans la culture aujourd’hui, ce n’est pas la création, ce n’est pas l’humain, ce sont les théâtres en ordre de marche, c’est-à-dire les murs avant même qu’il y ait des artistes à l’intérieur. Comme partout quand il y a peu de moyens, cela crée une concentration des ressources et des rapports de force. Il faut faire de la pédagogie. Rappeler que les compagnies devraient être au centre et militer pour leur refinancement massif. La paupérisation des créateurs et créatrices est aujourd’hui criante.

Tout cela fait que si chacun n’invente pas sa propre manière de faire son métier, c’est impossible de continuer sans y laisser des plumes. J’essaye pour ma part de m’émanciper de certains diktats. Je mise d’abord sur la rencontre, sur les échanges, sur la façon dont mes créations créent du lien. Modestement je me concentre sur mes recherches en cherchant des espaces de beauté, de poésie. Et je me bats pour faire vivre mes équipes, qui rendent tout cela possible.

Tu présentes bientôt ta nouvelle création  » Juste un été » inspirée d’un livre d’Émile Clermont. Dans un premier temps que raconte-t-elle ?

C’est une adaptation libre que j’ai écrite à partir du roman « Amour Promis » d’Émile Clermont, auteur qui a fait ses études et qui a vécu à Saint-Etienne au début du XXe, présenté comme le successeur de Proust à son époque et aujourd’hui tombé dans l’oubli. Juste un été raconte les retrouvailles d’André et Hélène près de Rive-de-Gier, dans le domaine familial, à l’été 1914. Avec eux, Camille la femme de chambre d’Hélène assiste à cet été où plusieurs choses vont basculer : d’abord le monde entier, puisque la Première Guerre Mondiale se déclenche alors que personne n’a pris au sérieux les menaces préalables ; ensuite leur relation puisque plus le monde extérieur se durcit, plus la violence va s’immiscer entre Hélène et André faisant de leur rapport une relation d’emprise.

C’est une pièce que je co-mets en scène avec Louis Bonnet, ancien comédien permanent de la Comédie de Saint-Etienne. Ce projet est aussi la concrétisation d’un compagnonnage de plusieurs années avec lui.

Quelles sont tes sources d’inspirations ?

La période d’avant-guerre est bouillonnante : sur le plan artistique, les symbolistes ne sont pas loin. Ils ont voulu représenter le cauchemar et l’au-delà de la raison. Freud également est là qui théorise un territoire jamais exploré de l’homme et qui renfermerait des monstres. C’est aussi l’époque de l’apparition des mouvements pré-fascite : là aussi, plus il y a d’instabilité, plus les idéologies fascistes ressurgissent. Au cœur de tout cela, deux jeunes bourgeois voulant vivre une autre vie sont enfermés dans leur manoir. Ils croient être à l’abri de la violence mais elle est d’abord en eux, et cette violence va fondre sur Hélène. Comme beaucoup d’époques troubles et en manque de perspectives, les années d’avant-guerre voient ressurgir une misogynie très forte et décomplexée.

De quoi la pièce se veut-elle l’écho ?

À travers les trajectoires des personnages, il y a la question du désir et l’envie de changement. Il y a ce besoin de s’extirper des carcans, des schémas qu’on nous impose, et la grande vulnérabilité dans laquelle cela nous place. Dans cet univers en manque de perspective désirable, ce sont les fausses promesses qui menacent, les solutions faciles.

Les dates :

• 19 novembre 20h au Théâtre Municipal de Roanne

• 22 novembre 14h30 et 19h au Théâtre Roger Planchon

  à Saint-Chamond

• 27 novembre 20h, 28 novembre 14h et 20h, 29 novembre à

  14h et 20h au Chok Théâtre à Saint-Étienne

• Conférence d’Isabelle Lonvis Rome (ancienne Ministre

  à l’égalité homme femme) et Gautier Marchado

  le 20 novembre à 19h au Théâtre Municipal de Roanne

• Lecture spectacle « amour promis » d’Émile Clermont le

  26 novembre à 19h à la Médiathèque Tarentaize Saint-Étienne