Peu d’entre nous connaissent Neill Blomkamp. Ce réalisateur d’origine sud-africaine a réalisé en 2009 l’excellent « District 9 ». Ce film décrit les problèmes d’intégration de la ville de Johannesburg face à sa population immigrée et extra-terrestre. De manière très subtile, le jeune réalisateur évoquait le problème racial de son pays d’origine tout en renversant les stéréotypes raciaux. « District 9 » fera un véritable carton dans le monde entier (avec 210 millions de $ de recettes pour un budget de 30 millions de $). Quatre ans plus tard, bénéficiant de moyens beaucoup plus importants, Neill Blomkamp réalise « Elysium » avec Matt Damon et Jodie Foster, un blockbuster d’une intelligence rare. Le film se déroule en 2154, dans un monde où il existe deux catégories de personnes, les très riches, qui vivent sur la parfaite station spatiale crée par les hommes baptisée Elysium, et les autres, ceux qui vivent sur la Terre devenue surpeuplée et ruinée. La population de la Terre tente désespérément d’échapper aux crimes et à la pauvreté qui ne cessent de se propager. Et à quoi rêvent les habitants de la planète Terre ? Parvenir à rejoindre Elysium. Vous voyez où je veux en venir…

Le quotidien que décrit « Elysium » est, à quelques approximations près, exactement le nôtre, celui que nous connaissons tous : La guerre dans différents foyers de la planète, la barbarie à quelques heures d’avion seulement de notre salon, la propagation anarchique et successive de différents virus (Sida, Ebola…), l’assèchement des ressources naturelles de la planète, la pollution généralisée de nos sous-sols, de nos terres, de notre air et la séparation clairement affichée entre une élite et le reste de la population. Deux chiffres effarants ont immergé ces dernières semaines : 82 familles les plus riches de la planète possèdent plus que la moitié la plus pauvre de notre planète. Et 1 % des plus riches de la planète possèdent plus que 99 % du reste de la planète. Il y a désormais une double oligarchie qui domine le monde. La première, les ultra-riches, une centaine de personnes seulement, qui possèdent pratiquement la moitié de la richesse de la planète et la seconde, les très riches, 70 millions de personnes, environ, qui possèdent plus que tout le reste de la planète. Et tout le jeu de ces oligarques super-puissants étant de faire croire au reste de la population qu’elle pourra un jour, c’est le fondement même du « rêve américain », intégrer le second cercle très fermé de la fortune.

Nous ne sommes malheureusement plus dans le domaine du virtuel, du cinéma ou du divertissement, il s’agit bien de notre réalité, de celle qui chaque soir se répand sur nos différents écrans de télévision ou ordinateurs. Il fut un temps où cette oligarchie prenait soin de ne pas laisser filtrer de telles informations. Il fut un temps où l’ignorance et l’indifférence pouvaient être avancées mais sûr de son fait, sûr de son pouvoir, sûr de son arrogance, sûr de sa suffisance. Cette oligarchie n’éprouve aucune crainte ni aucune limite. Désormais, l’information peut être propagée car cette oligarchie ne craint plus personne. Comment cette ahurissante réalité peut-elle être acceptée ? Comment 99 % de la population peut admettre cette terrible injustice ? D’une part parce que la vérité est manipulée, la vérité n’est pas forcément celle qui nous est montrée, d’autre part parce que cette oligarchie a su organiser les moyens hypothétiques d’une forme de loterie, laissant croire au reste de la population la possibilité, un jour, d’intégrer le cercle des initiés. Qu’on ne se trompe pas, il ne s’agit pas ici de véhiculer la thèse d’un éventuel complot à l’échelle mondiale, il s’agit tout simplement de décrire la situation telle qu’elle est aujourd’hui.

Cette victoire est celle d’un système, le système ultra-libéral qui aura, au cours du siècle dernier, achevé toutes les autres formes de résistances. Résistances politiques, sociales ou philosophiques. Désormais, nos philosophes plaident pour les guerres préventives, nos grands penseurs vendent le choc des civilisations et nos médias manipulent quotidiennement une population dont l’intelligence, la réflexion et l’humanité sont mises à mal par un quotidien sans cesse plus cruel, plus démoralisant. Preuve ultime de notre reddition : Ils sont même parvenus à nous faire accepter de financer les études de nos enfants, de financer la santé (n’est-ce pas le rôle des mutuelles ?), de privatiser le savoir, la culture, les divertissements. Mais comme si cela ne suffisait pas, il est devenu essentiel pour le système, et par conséquent, le marché, que la peur soit au centre de nos préoccupations. Le sentiment de l’insécurité au quotidien, la peur de l’étranger et de l’immigré, la crainte et bientôt la haine du musulman. Car dans cet état de fébrilité généralisée, nous sommes corvéables à souhait, nous n’hésiterons plus à nous endetter sans cesse, cet endettement étant la chaîne qui fera de nous, à jamais, les esclaves de ce système. La nature a horreur du vide. Durant la seconde partie du 20e, les idéologies et les croyances n’ont su résister à un égoïsme émergeant et à une soif effrénée de surconsommation. La jouissance immédiate et unilatérale est alors devenue la règle. Les publicitaires ont su retourner nos cerveaux pour nous transformer en homo-consummérus. Aujourd’hui, la peur d’être relégué en division inférieure nous pousse à accepter les injustices de ce système. Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, nos enfants ne seront pas plus riches, plus épanouis, plus instruits, plus cultivés, plus robustes, plus sains que nous. Enfin, sauf les enfants de ceux qui font partie de ces fameux 1 %.