La 8e Biennale de Design sera, sans conteste, l’événement majeur de ce début d’année. Si la pertinence de la Biennale n’est plus à faire, il semblait intéressant de faire le point sur différents dossiers et sujets avec sa directrice, Elsa Francès. Rencontre :
Quelle est la fréquentation habituelle d’une Biennale du Design ?
Nous accueillons environ et en moyenne 85 000 visiteurs, ce qui est une très bonne fréquentation si on compare ce résultat aux autres manifestations organisées autour du design dans le monde entier. Nous sommes donc très bien placés en termes de fréquentation.

D’où vient le public de la Biennale ?
Nous n’avions pas les outils pour mesurer précisément ces données jusqu’à présent. Nous allons mener ce genre d’étude sur cette nouvelle édition. Nous connaîtrons mieux la typologie de notre public.

Pour la première fois, la Biennale aura lieu au printemps…
Elle sera, en effet, à cheval sur l’hiver et le printemps.

Ce changement de date est-il exclusivement lié aux conditions climatiques ?
Sur la dernière édition, nous avions dû affronter une tempête de neige qui nous avait fait perdre beaucoup de public. Ce changement de date tient compte des conditions climatiques mais aussi de la durée, plus longue, des journées… Nous avons construit une Biennale très décentralisée, très territoriale : de fait, le public peut se rendre dans différents endroits de la cité ou dans l’agglomération. L’idée était donc de rendre plus agréable ces différents mouvements entre les différents lieux de la Biennale. Dès que la lumière apparaît et que les jours augmentent, la ville devient plus lumineuse, plus agréable et la découverte des expos le devient aussi. On se promène plus facilement quand il fait encore jour. Comme nous accueillons également beaucoup de publics scolaires se déplaçant en bus, il fallait aussi sécuriser ces transports plus délicats en cas de fort enneigement.

Ce changement de date a-t-il modifié l’organisation de l’événement ?
Pas réellement. J’espère que cela va simplifier notre organisation. On se pose moins de question sur le chauffage par exemple.

Pourquoi ne pas l’avoir fait avant ?
En fait, nous pensions depuis 2006 à ce changement. Il faut savoir qu’un tel déplacement de date nécessite de prendre un compte tout un tas de paramètres internes à la ville : vacances scolaires, programmation de festivals, disponibilités des lieux et des services, etc., mais aussi extérieurs : programmation internationale, vacances universitaires… Une fois qu’on a bien pris en compte toutes ces données, quelques rares dates se dégagent qu’il faut ensuite saisir. Nous avons vu cette petite fenêtre de tir que nous avons saisie.

Ce sera votre…
Quatrième Biennale.

Qu’est-ce qui a le plus changé depuis votre première Biennale ?
J’ai exposé, une première fois, en tant que professionnel en 2004 à la Biennale. Depuis cette date, ce qui a réellement changé, je crois, concerne notre position sur la question de la relation entre la prospective dans le design et le monde de l’entreprise : cela s’est imposé au cœur de nos dernières préoccupations. Ce n’était pas forcément le cas avant, pour cause. Aujourd’hui, c’est devenu son identité forte.

Cette capacité à prévoir et à anticiper… ?
Oui, cette capacité à proposer pour demain de nouveaux usages, de nouveaux produits… Il faut rappeler qu’au début, la Biennale émanait directement de l’École des Beaux-Arts de Saint-Étienne et son contenu en dépendait directement, il était question d’un état des lieux du design et de mettre en avant les relations internationales qu’entretenait l’école avec d’autres structures pédagogiques ou culturelles. Il était logique que les aspirations divergent. Aujourd’hui, l’École est toujours présente au sein de la Cité mais moins dans l’organisation de la Biennale. L’école présente d’ailleurs certaines expositions au sein de la Biennale. La Cité a donc des objectifs que l’école n’avait pas notamment dans la sensibilisation des acteurs économiques stéphanois. Nous devons donner des clés sur ce que peut apporter le design au développement économique local ou régional. Ce n’était pas le but de l’école.

L’articulation entre l’école, la cité et la Biennale est-elle parfaitement fluide ?
Il s’agit des mêmes équipes, situées dans le même bâtiment. Nous avons des moments de travail en commun très réguliers. La Biennale est un bon exemple car tous les services de la Cité du design travaillent à l’organisation de la Biennale. Sinon, ce serait impossible, tout simplement. Nous ne sommes que deux à travailler tout au long de l’année sur la Biennale. À l’école, ils sont en train d’organiser plusieurs événements majeurs qui se dérouleront durant la Biennale. C’est la même famille en quelque sorte.
Au départ, vous chapeautiez l’ensemble ?
Oui. Je dirigeais cet établissement public de coopération culturel, un EPCC qui s’appelle EPCC Cité du Design – Esadse qui recouvre les trois entités.

Il y a quelques mois, vous avez pris la décision de vous consacrer seulement à l’organisation de la Biennale… ?
Oui.

Pourquoi ?
Pour des raisons exclusivement d’ordre personnel.

Était-ce une forme d’incapacité à diriger l’ensemble ?
Je vous remercie d’être aussi direct (rires)

Je voulais parler d’incapacité structurelle à diriger un ensemble aussi diversifié et vaste…
Ah, d’accord… vous me rassurez… J’avais fait deux mandats consécutifs. Sur ce genre de poste, on fonctionne avec des mandats de trois ans en général. Après deux mandats successifs, j’ai proposé cette nouvelle organisation qui a été acceptée par la municipalité. Je n’ai plus envie de porter l’ensemble du projet. C’est un choix personnel. Ce sont des projets passionnants mais j’avais besoin de plus de disponibilité et de trouver un nouvel équilibre.

Une récente étude montrait que plus de 40 % des Stéphanois ont fréquenté la Cité ou la Biennale du Design…
Il faudrait savoir quelles ont été les questions réellement posées… Je ne vois pas très bien ce qu’on peut tirer de l’étude dont vous parlez. Après, 40 % est plutôt un bon résultat quantitativement parlant. Tout le monde n’étant pas intéressé par le design ni par l’art contemporain d’ailleurs.

Vous prônez une approche prospective du design, alors que le grand public en connaît plutôt ses effets marketing…
Vous voulez parler des questions de design produit ou de décoration peut-être. On aime bien relier le design aux évolutions de la société, c’est ce qui donne sens au design. Le design est une réponse à de nouveaux usages ou à l’amélioration de la vie quotidienne… La décoration en fait partie, nous ne la boudons pas. Cette édition parlera beaucoup d’esthétisme. Mais, parallèlement, nous revendiquons ce design sur la prospective et la recherche. La majorité des événements ayant trait au design se focalise, peut-être, sur la décoration ou le mobilier. Cette édition sera tout de même très orientée grand public puisque nous aurons des ateliers pour enfants en plein milieu de la Biennale grâce aux ateliers organisés par Matali Crasset, autour des robots notamment. Nous aurons également des expositions très accessibles à tous.

La Cité et la Biennale sont nées sous l’impulsion d’une précédente municipalité. À l’arrivée de l’équipe de Maurice Vincent, n’avez-vous pas ressenti une forme d’interrogation à votre sujet ?
Je crois que notre structure est largement portée et soutenue par le maire de Saint-Étienne… Peut-être y avait-il une interrogation sur ce qu’il convenait de faire de particulier avec cet outil… Très rapidement, le maire a souhaité orienter la Cité vers le domaine économique.

Un outil d’aide au développement des entreprises locales ?
C’est plus la fonction de la cité du design que de la Biennale à vrai dire. Des outils ont été néanmoins mis en place et sont très opérationnels. C’est de l’ordre du quotidien aujourd’hui.

Durant la Biennale, le public pourra découvrir 50 expositions ! C’est énorme…
Toutes les expositions ne sont pas portées par les mêmes personnes…

Comment se conçoit la thématique de chaque Biennale ?
Cette thématique arrive habituellement très tôt dans l’organisation, même s’il n’y a pas de règle à ce sujet. Les procédures évoluent avec chaque Biennale. Pour cette thématique, « L’empathie, ou l’expérience de l’autre », nous avons eu une réunion collective où chacun a apporté des thèmes et des envies. Dans l’ensemble des propositions, cette thématique est ressortie assez naturellement. La décision finale m’est revenue et elle a été validée par le conseil d’administration de la Biennale et par les élus.

Toutes les expositions s’articulent-elles autour de cette thématique ?
Celles que nous organisons sont directement en lien avec cette thématique, oui. Nous voyons avec chaque commissaire pour dégager ensuite un parti pris ou un propos autour de la thématique. Et pour les expositions que nous n’organisons pas directement, nous demandons à ce qu’il y ait un lien, plus ou moins fort, avec la thématique. Mais cela n’est pas une obligation non plus. Il y a plein de choses qui échappent au thème, il s’agit en fait d’une figure plus ou moins imposée. Elle l’est plus nous concernant, elle l’est un peu moins pour les autres expositions.
Notre société actuelle est-elle empathique ?
Il y a toujours au sein des sociétés des mouvements et des contre mouvements. Je crois que nous n’avons jamais autant parlé d’empathie que ces dernières années… Mais l’empathie n’est pas que de la sympathie, nous ne sommes pas forcément dans une relation positive. L’empathie est notre capacité à nous mettre à la place de l’autre et d’en ressentir ses émotions, reste après pour en faire quoi ?…Dans ce contexte mondial assez rude, où apparaissent de nombreux conflits en apparence idéologiques, se mettre à la place de l’autre nous éviterait certainement quelques problèmes. J’insiste sur le fait que l’empathie n’est pas obligatoirement une notion positive. C’est aussi ce qu’elle peut engendrer.

Le design n’est pas une discipline artistique. Elle est liée à un processus industriel. Notre réalité économique est peu empathique, non ?
Peut-être mais dans la conception des objets, il y a des démarches très fortes, paradoxalement, de co-conception avec l’utilisateur, de méthodologie participative, de co-élaboration avec les utilisateurs… qu’on retrouve notamment dans le secteur public. On découvrira de nombreuses expériences collectives qui permettent d’identifier ce besoin collectif. C’est bien une démarche empathique. Nous faisons face à ce monde contrasté avec d’un côté une réalité sociale plutôt rude et de l’autre des démarches collectives ou participatives à des micro-échelles.

Serait-ce un design social ?
Le design social existe, bien entendu, les Anglais travaillent beaucoup autour de cette question. L’empathie fait partie du travail d’un designer : concevoir un produit pour quelqu’un d’autre, si on ne se met pas à la place de cette personne, c’est dommage, non ? On pourrait passer à côté de certaines choses fondamentales, à moins que ce ne soit un parti pris du designer. Certains designers décident de se soustraire à cette empathie. On voit cela notamment dans le design très novateur pour lesquels s’inventent ensuite les besoins des utilisateurs. L’intérêt est d’arriver à présenter tout ce panel. La Biennale nous amène à nous poser des questions, de ne pas voir le design qu’à travers le design mais de parler de la société à travers le prisme du design.

Parlons un peu du visuel, qui a fait couler beaucoup d’encre…
Je trouve que l’intérêt du visuel se situe surtout dans son application iPhone, bien que je n’aie toujours pas d’iPhone d’ailleurs. Cette application, à travers les personnages, vous permet de vous géo-localiser de manière instantanée.

J’ai pensé, en les envoyant, au dessin animé « les Barbapapa » !…
Qu’y a – t-il de plus empathique que « les Barbapapa » en effet… Les « Barbapapa » prennent une forme particulière en fonction des besoins des personnages. Nous revendiquons aussi ce clin d’œil à un univers enfantin. Cela apporte aussi de la fraîcheur à la manifestation. La Biennale, c’est très important mais ce n’est pas non plus une chose grave.

Ce n’est pas une maladie…
Exactement. L’idée est que ces personnages inspirent de la sympathie et qu’elle contribue à apporter une dimension emphatique avec le visiteur et ceux qui utiliseront cette application iPhone. J’ai conscience qu’il s’agit d’un visuel assez radical et je comprends qu’on aime ou qu’on n’aime pas. Cela dépend des gens. J’insiste sur la fameuse application car je crois qu’on ne peut plus se permettre d’aller outre ces applications numériques et ces nouveaux modes de communication. Les personnages existent par cette application, cela faisait partie intégrante du projet présenté par Trafik, un studio graphique lyonnais. En fonction de votre géolocalisation, l’application vous permet de comprendre ce que vous allez pouvoir découvrir avec la mise en scène des deux personnages. C’est très ludique et grand public. On n’est en plein là-dedans avec la Biennale. On retrouvera cet univers sur le site internet ou le programme papier pour ceux qui n’ont pas d’iPhone.

Le Label Unesco, est-il important pour la ville ?
C’est particulièrement important, oui. Saint-Étienne a été admise par l’Unesco dans le réseau des villes créatives Design en 2010 pendant la précédente Biennale. Pour fêter cet événement, nous organisons une grosse exposition avec les autres villes créatives design. Chaque ville du réseau montrera la façon dont elle organise son fonctionnement avec les designers pour améliorer le quotidien urbain. L’idée est de montrer comment le designer joue ce rôle de médiateur qui peut être très utile dans la conception de l’espace urbain et public. Ce sera une exposition très importante pour nous, organisée par Josyane Franc et Laetitia Wolff.

Devant l’étendue de l’offre, le public devra faire des choix de visite…
C’est pour cela que nous proposons des visites et des parcours préétablis en fonction de thématiques. Tous les événements n’ont pas non plus la même importance.

Quels seront les événements qui marqueront ?
J’ai trop peu de recul pour répondre à cette question. J’ai le nez dedans depuis des semaines et des semaines… Cela dépend, je crois, des intérêts de chacun. On s’aperçoit que le public est assez hétérogène dans ses goûts et ses attentes. Donc chacun pourra découvrir au cours de la Biennale ce qu’il attend ou recherche. Tout le monde n’est pas marqué par la même chose. On ne passe pas deux heures à chaque expo. Après, certaines expositions perdurent au-delà de la Biennale. Ce sera le cas des expos au Musée d’Art et d’Industrie, du Musée d’Art Moderne, de la Platine… Certaines vont jusqu’à juin prochain ce qui laisse un peu de temps pour la découverte. On vient aussi à la Biennale pour rencontrer.

Y aura-t-il un salon de vente d’objets ?
Oui, nous aurons une grosse boutique de vente… Après, l’activité commerciale ne sera jamais le centre de la Biennale.

Quid de la dimension festive de la Biennale…
Elle est maintenue, oui, notamment dès la première soirée comme nous avions fait en 2008. Il y a aussi une soirée, un bal disco, organisé par l’Opéra Théâtre… Les thèmes sont très ouverts… Je parlais tout à l’heure des ateliers enfants qui seront très récréatifs. Nous avons une large plage d’accueil pour les scolaires. Il y aura également une soirée et une exposition proposée à Saint-Chamond, à Novaciéries autour de la cantine de rue, un témoignage sur tous les modes de restauration de rue. C’est très à la mode actuellement, les food-trucks… Nous verrons tout ce que nous pouvons trouver à travers le monde pour manger dans la rue avec une soirée-concert et repas. Ce sera une première pour la Biennale à Saint-Chamond, pour cela, mais aussi pour l’ensemble des lieux délocalisés, nous mettrons en place un système de navettes pour se déplacer.

Comment sait-on qu’une Biennale a été réussie ?
Nous avons différents outils pour mesurer la satisfaction des visiteurs, nous travaillons sur ce sujet avec différentes écoles. Nous avions déjà travaillé avec l’École de Commerce de Saint-Étienne. Cette année nous travaillerons sur ce sujet précis avec l’école d’Art et Culture de Lyon qui nous permettra de mesurer plus précisément le ressenti du public. Il y a aussi les retours de la presse, toujours aussi importants. Après, il y a les rencontres que je fais durant toute la quinzaine, les exposants, les professionnels, les visiteurs… Je connais bien les acteurs de notre profession, donc, très rapidement, je suis en mesure de connaître leur opinion à ce sujet.

Comment sentez-vous cette prochaine édition ?
Vous savez je suis quelqu’un de très superstitieux. Jusqu’à l’ouverture de la Biennale, je m’empêche de trop y penser ou de me projeter…

Une fois, la Biennale terminée ?
Une bonne cuite !

C’est-à-dire ?
J’entends une cuite psychologique, ce qui n’est pas forcément lié à l’alcool… À la fin de la Biennale, nous connaissons tous une espèce de vide psychologique, comme après une bonne cuite, oui. Un vide. On ne sait plus trop ce qui se passe. Ni où on en est… Vous savez, je fais les 18 jours non-stop, du matin jusqu’au soir ou la nuit, j’ai mon lit de camp à disposition, et du coup, après 18 jours en ébullition, il y a une forme de chute libre. On prend quelques jours de vacances et on repart sur la suite…

Qu’attendez-vous de cette 8e édition ?
J’attends qu’elle fasse ses preuves d’un point de vue de la relation avec les entreprises et du monde économique. C’est une demande forte qui nous est faite et nous devrons être à la hauteur. Nous avons monté un gros forum sur ce sujet qui devrait répondre aux nombreuses attentes des entreprises locales ou régionales.

Les chefs d’entreprise sont-ils réceptifs face à cette démarche ?
Oui, il me semble. Ce forum répond à de vraies attentes du monde économique. J’attends aussi que la Biennale apporte une certaine joie, un peu de folie et beaucoup d’imagination dans un environnement actuel plutôt morose. La Biennale est un moment durant lequel on réfléchit à des choses importantes pour la vie de tous les jours mais aussi où on se fait plaisir en découvrant de nouveaux objets ou des choses plus simples ou très belles. Il faut du plaisir, de la joie et un peu de légèreté. Nous espérons un peu de clémence de la part de la météo…

Plus d’infos :
http://www.biennale-design.com/