Le Festival Des Arts et des Cinés proposera 6 jours durant, du 17 au 25 mai prochains, des spectacles de danses, des performances de rue et des projections de films. Rencontre avec la fondatrice de la structure Stéla qui organise le festival, Anna Alexandre :

Un petit mot de présentation sur la structure « Stéla » ?
Stéla est une structure associative qui s’est donnée deux missions, celle d’accompagner les équipes artistiques professionnelles, principalement en danse, pour permettre le développement pérenne de leurs projets en leur apportant un conseil stratégique en matière de production, administration/gestion, management, communication et coopération internationale, et de proposer une programmation innovante et ouverte sur l’extérieur, avec pour axe artistique les liens entre danse et cinéma, notamment dans le cadre d’un temps fort sous forme d’un Festival engagé sur les questions d’accessibilité et de partage entre les publics.

Vous travaillez sur l’accompagnement des structures artistiques régionales. Dans quelles situations sont les compagnies et les artistes dans cet environnement de dénigrement de leur statut ?
Nous sommes à un moment décisif pour les artistes et tous ceux qui travaillent dans le secteur dit du spectacle vivant (danse, théâtre, musique). La situation se dégrade depuis longtemps déjà mais les professionnels français, malgré les manifestations de 2003 au moment des grands festivals d’été, se sont laissés un peu endormir… L’activité générale du secteur est en baisse à cause de la crise mais aussi de politiques de restriction budgétaire qui touchent de plein fouet et en premier lieu la culture. Résultat : des théâtres qui annulent au dernier moment tournées, festivals, des compagnies en grande difficulté et donc des artistes que courent le cachet pour survivre, prennent un deuxième boulot ou pire arrêtent leur activité de compagnie. C’est une situation grave, mais j’espère que de cette douloureuse situation, une vraie mutation va pouvoir s’amorcer pour rééquilibrer les forces entre théâtres et compagnies, programmateurs et artistes, institutions et programmations indépendantes.

Petit bilan des précédentes éditions du festival « desarts/descinés » ?
Je crois que l’on a engagé un dialogue avec le public qui s’affine au fur et à mesure. Le fait de proposer de la danse sous toutes ses formes dans l’espace public ou au sein de lieux de patrimoine comme le Musée de la Mine ou la Manufacture d’Armes (quartier créatif derrière la cité du design) nous permet de rencontrer des personnes qui n’ont jamais mis le pied dans un théâtre et qui pour autant découvrent là quelque chose qui les touche et leur donne envie d’aller plus loin. Le Festival a beaucoup grandi. De 4 jours de programmation nous sommes passés à 6 cette année. Notre équipe s’étoffe doucement, avec un groupe de bénévoles ultra-motivés au moment du Festival. Nous avons engagé un travail de collaboration avec de nombreuses structures du territoire au-delà de nos partenaires cinémas qui nous permettent de travailler en amont du Festival avec des publics très différents (jeunes, familles, personnes handicapées) justement pour tisser un lien durable avec eux, plus profond, mieux construit afin de les amener à ces rencontres « pas comme les autres » avec les artistes du Festival et leur travail. Et puis DesArts//DesCinés s’est engagé dès 2012 dans la Quinzaine « Une Ville en Partage ». Aujourd’hui la question de l’accessibilité est au cœur de nos préoccupations tant en termes d’organisation que de programmation.

Pourquoi cette volonté d’explorer exclusivement les liens entre danse et cinéma ?
C’est une volonté qui parle de notre histoire. D’abord, lorsque je suis arrivée à Saint-Étienne en 1996, Évelyne Guichard – aujourd’hui Présidente de Stéla – avait lancé en partenariat avec le Méliès alors dirigé par Alain Cramier une manifestation intitulée « Les matins du Cinéma et de la Danse ». Et puis, de mon côté, j’ai longtemps hésité entre danse et cinéma pour mon parcours professionnel. Quand j’ai fondé Stéla en 2009, j’ai demandé à Évelyne si elle était d’accord avec l’idée que nous relancions un projet Danse et Cinéma, avec des films et des rencontres, mais aussi des spectacles, des performances et des ateliers chorégraphiques… Et le Festival est né en 2011 ! Pour autant, si l’axe principal est bien les liens entre danse et cinéma, je crois que ce que nous présentons aux publics aborde des thèmes très différents comme l’identité, le handicap, les relations homme/femme, notre rapport à la ville, le respect de l’environnement… autant que questions au cœur de notre société actuelle, de notre quotidien. Le corps et l’image sont des vecteurs puissants pour faciliter les échanges. Alors voilà, DesArts//DesCinés, c’est un festival danse & cinéma, certes, mais aussi un festival engagé qui ne se prend pas au sérieux.

La chorégraphie a envahit jusqu’au cinéma d’action… Une heureuse reconnaissance ?
Hmmm… Je crois qu’en fait c’est juste un retour aux sources. En réalité si on parle de cinéma d’action, par exemple, l’heure de gloire du cinéma de kung-fu avec l’avènement de Bruce Lee dans les années 70 affirmait déjà un rapport au corps et à la danse. C’est lui qui a inspiré aujourd’hui les Tigre & Dragon, Kill Bill, Matrix qui ont fait dates dans l’histoire du Cinéma. Les films d’action actuels reprennent simplement ces codes, mais avec une technologie ultra-développée et communiquent sur cet aspect du travail des scènes. Une scène « chorégraphiée » s’entend aujourd’hui par une scène méticuleusement écrite, pour lesquelles les acteurs ont souvent suivi un coaching spécifique. Le travail du ralenti aussi pour faire de ces scènes des actions toujours plus percutantes me semble également être un facteur très esthétisant : on doit réfléchir le mouvement pour que son exécution soit parfaite et que le mouvement de la caméra le mette le plus possible en valeur. Parce que c’est ça la chorégraphie : écrire le mouvement dans le temps et l’espace !

Vous vous investissez beaucoup dans l’accessibilité pratique des spectacles aux personnes handicapées. Pourquoi cet intérêt ?
Tout d’abord c’est évidemment une question de rencontres et de parcours personnel. J’ai dans mon entourage un petit garçon qui a été atteint d’une grave maladie. Heureusement, aujourd’hui il va bien. Mais je me suis dit : comment à son âge le priver des découvertes qui font que l’on grandit et que l’on s’épanouit ? Comment avoir accès aux autres, à l’art, et à toutes ces choses qui nous nourrissent quand on est contraint par des problèmes de santé, de mobilité… ? Et puis j’ai passé un mois et demi en fauteuil il y a deux ans suite à plusieurs opérations. J’ai pu expérimenter aussi les obstacles permanents à la mobilité, l’autonomie, et donc l’accessibilité restreinte de toute une partie de la population aux choses élémentaires : se nourrir, se soigner, se loger, s’éduquer. On ne pouvait imaginer alors porter un projet qui ne se poserait pas la question de rendre accessible tout ce que développe DesArts//DesCinés aux personnes handicapées. Au-delà des mots ou d’une idée, il s’agit pour nous de développer une réflexion de fond avec les associations spécialisées pour travailler à la mise en œuvre de dispositifs adaptés à pérenniser dans le temps, non seulement pour permettre l’accès aux personnes handicapées, mais mieux, pour partager expériences et questionnements avec les « valides ».

Vous avez fait appel à la structure participative internet « kisskissbangbang » pour trouver d’autres sources de financement : résultat des courses ?
C’est encore en cours. Il s’agit de nous aider à cofinancer le travail engagé cette année au niveau de l’interprétation Français/Langue des Signes Française avec Fabienne Jacquy et la structure Dixit, ainsi que l’audiodescription réalisée en partenariat avec la structure Les Souffleurs de Mots dirigée par Juliette Soulat. Nous avons encore besoin de 1 600 euros et il nous reste jusqu’au 30 mai… Chaque euro compte, tout le monde peut contribuer à partir de 5 euros.

Plusieurs animations du festival sont en libre accès. Une volonté expresse de votre part ?
Dès lors où le Festival DesArts//DesCinés choisit d’investir principalement la rue, la gratuité est un corollaire. Rendre accessible à tous, faire découvrir, surprendre, partager de façon très simple, très directe, très informelle, c’est pour nous la clé pour tirer le fil et tisser ce lien avec les gens dont je parlais déjà au début. Et puis nous avons besoin de créer d’autres connexions entre les artistes, les œuvres et les publics.

Que pourra-t-on découvrir dans cette nouvelle édition du festival ?
Plusieurs thématiques seront abordées pour permettre au public de découvrir encore une fois différents artistes, différentes danses et différents films. Deux surprises en ouverture le samedi 17 avec le personnage fétiche du Festival, la Chaplinette qui prendra vie et se baladera entre Gare Châteaucreux et Place Jean Jaurès pour une performance danse et vidéo sur l’histoire de la danse au cinéma… une première made in Stéla ! Puis la Compagnie CIM avec des danseurs valides et handicapés présentera son spectacle de rue « Sobre Rodas » en début d’après midi. On voyagera dans le temps en soirée pour faire le lien entre hip-hop et claquettes à travers un hommage à Gene Kelly le samedi 17, puis nous irons en Argentine pour une journée Tango le dimanche 18. Pour la première fois, nous proposerons une journée jeunes publics et familles le mercredi 21 avec une jeune chorégraphe/vidéaste, Jean-Camille Goimard qui nous présentera une performance danse & longboard étonnante… Vendredi 23, ce sera la journée culte du Festival autour des 20 ans de Pulp Fiction avec le Flashmob DesArts//DesCinés Place Jean Jaurès, le film projeté au Méliès dans le cadre d’une soirée Pop Corn croisée avec MCDTS Freaks Productions complété par un after courts-métrages à Ciel ! Les Noctambules en partenariat également avec Kick Productions, suivi d’une nuit tarantinesque au Bul ! Samedi 24 nous présenterons la création chorégraphique et vidéo réalisée sur 2 ans avec des habitants valides et handicapés autour de la Mémoire de la Mine, sous la direction d’Ana Rita Barata et Pedro Sena Nunes, venus de Lisbonne avec la Compagnie CIM qui intègre danseurs valides et handicapés. Dimanche 25 nous clôturerons le Festival avec Odile Azagury, pionnière de la danse contemporaine par une performance et une vidéo danse autour de « Nuit et brouillard » sur le thème identité/survie au Bâtiment des H Sud la Manufacture d’Armes. Ouf !!

Est-ce simple d’inciter le public à se mobiliser et à être proactif ?
Quand on veut effectivement développer une relation de confiance avec le public, enrichie dans le temps pour être fidélisée et aboutir à une implication directe dans le cadre notamment de projet participatif, il faut du temps, de la patience. Nous menons un travail de fourmi pour rencontrer les associations, structures associatives et autres relais actifs du territoire pour faire passer la parole et entamer un dialogue avec leurs adhérents que l’on sensibilise progressivement à notre démarche autour de la danse et cinéma. C’est a été aussi notre façon de procéder avec nos partenaires culturels comme le Méliès, le France, la Cinémathèque ou encore Ciel ! Les Noctambules. Égrainer des projections/discussions, réfléchir ensemble à des programmations porteuses de sens pour nos projets respectifs, communiquer sur la durée. Tisser un lien durable avec le public prend du temps. L’impliquer dans des projets où les habitants du territoire sont eux-mêmes acteurs/danseurs est encore une étape que nous avons franchie certes, mais qui est à entretenir constamment pour préserver cette relation précieuse et fragile que nous construisons avec les publics.

L’intention de fête et de rencontre est importante pour vous. Était-ce une évidence ?
Oui car DesArts//DesCinés veut défendre aussi une idée simple mais pas toujours mise en avant : nous souhaitons organiser des temps forts conviviaux, « fun », ouverts à tous, en un mot « populaires », fondés sur une programmation de qualité mêlant des propositions artistiques pointues, innovantes à d’autres plus grand public, pour permettre un décloisonnement des genres artistiques et le croisement des publics comme des artistes. Le côté festif du Festival incite aussi au ralliement, au réjouissement collectif inhérent en réalité à la danse, art de la célébration du quotidien et du sacré s’il en est ! Et puis nous avons tellement besoin de ces bulles d’air et de joies partagées. Pour être à nouveau ensemble tout simplement.

Vous avez pour ambition de rayonner sur la région. Small is not beautiful ?
L’objectif là n’est pas de devenir un mastodonte à croissance exponentielle, mais plutôt d’entrer en résonance avec des équipes et des programmations qui partagent nos questionnements, nos valeurs notre engagement tant en matière d’exigence artistique que d’enracinement territorial. Et puis je suis convaincue que l’on est plus inventif, plus audacieux et plus fort quand on réfléchit à plusieurs. Travailler avec l’international est naturel pour moi depuis de nombreuses années et Stéla est co-fondatrice d’un réseau européen qui mutualise des temps de résidence artistique en Europe depuis 2010, avec 14 autres partenaires dans pas moins de 8 pays (www.studiotrade.org). Alors construire des passerelles en région est une prolongation naturelle et nécessaire pour créer d’autres dynamiques de croisements fertiles pour chacun.

Qu’attendez-vous, de la part du public et de vos partenaires sur cette édition 2014 (et sur les prochaines) ?
Confiance, fidélité, engagement, enthousiasme et ouverture d’esprit. Un vrai dialogue, une réflexion commune. Une volonté de construire pas seulement un événement lambda, mais bien un projet qui compte dans la vie de ce territoire et qui contribue à le faire avancer et rayonner. En cohérence avec les besoins et les contraintes de chacun.

Est-ce facile de faire vivre un tel festival ?
Rien n’est simple quand on s’engage sur un projet artistique et culturel citoyen ; c’est un travail de fond, une bataille de chaque instant. Une idée aussi d’une économie différente, plus juste, plus équilibrée qui ne doit pas juste reposer sur les fonds publics. Je crois que DesArts//DesCinés est un projet qui a une âme, qui s’encre dans le réel pour contribuer à amener du beau et du sens dans notre quotidien, et pas seulement le temps du festival… Il faut une conviction et une puissance de travail considérables. Mais nous n’en manquons pas. Alors, rejoignez-nous vite !