Pour mesurer la portée du propos qui va suivre, il est nécessaire de réaliser l’expérience suivante : prenez n’importe quel humain de votre entourage, adulte, quelle que soit sa condition et poser lui ces deux questions : A-t-il déjà entendu parler de Bernard Henri Lévy ? Peut-il citer une œuvre de cet auteur ? Voilà donc un homme, Bernard Henri Lévy, devenu une marque, BHL à l’instar de DSK par exemple, qui se définit comme un intellectuel et dont aucun Français n’est susceptible de citer la moindre œuvre littéraire (ou cinématographique puisque monsieur s’est même essayé à la réalisation) ! Mais cet homme est capable, sur un simple coup de fil, de déclencher une guerre, comme il l’a fait en Libye avec le président Sarkozy. Faudra-t-il un jour qu’on mesure, au moins, les conséquences de l’assassinat programmé de M. Kadhafi et surtout de la désintégration totale d’un pays désormais plongé dans une anarchie de violence inouïe. En d’autres termes, je me suis toujours interrogé sur les raisons qui octroient à ce personnage, intéressé et partial, un tel pouvoir médiatique et politique sans avoir jamais créé la moindre œuvre intellectuelle ? Un tour de magie digne des plus grands prestidigitateurs…

En fait pour comprendre comment ce faussaire peut jouir d’une telle puissance de résonance, il faut remonter à la fin des années 50, lorsque l’entreprise familiale, la Becob, située de l’autre côté de la Méditerranée, en Algérie encore française, est florissante. Fondée en 1956, l’entreprise de la famille Lévy est devenue l’un des principaux importateurs de bois précieux, elle réalise 40 % de son chiffre d’affaires en Afrique. Mais au milieu des années 80, la Becod bat de l’aigle et est proche du dépôt de bilan. Bernard-Henri Lévy a toujours été impliqué dans la Becob depuis le début des années 1980. Il s’occupe d’abord de communication interne, puis siège très officiellement comme vice-président du conseil de surveillance, quelques années plus tard. Entre deux livres, Bernard-Henri Lévy fait office de conseiller de son patron de père. Au début des années 80, les Socialistes prennent le pouvoir et, conscient de l’émergence médiatique de la seconde génération de l’immigration, le Parti Socialiste imagine « SOS Racisme » pour tuer dans l’œuf toute velléité d’émancipation de la part de cette jeunesse, une association dont BHL sera le parrain moral et médiatique. BHL profite donc de ses relations auprès de Pierre Bérégovoy, puis plus tard d’Édouard Balladur, pour obtenir notamment de l’État un prêt participatif de 40 millions de francs octroyé par le Crédit National, banque gérée par le Trésor et dirigée par Jean-Claude Trichet. L’opération est même validée par François Mitterrand, himself. En 2005, il fera cette étonnante confession à L’Express, « j’ai mis à contribution, à l’époque, le pouvoir non seulement mitterrandien mais chiraquien ! Et en plus je l’assume ! Votre père est victime de quelque chose qui ressemble à une injustice ou à une cabale. Vous avez le moyen de plaider sa cause et de l’épauler. Est-ce qu’il y a une raison au monde qui peut vous l’interdire ? » Comme systématiquement, le pseudo-philosophe se place sur le terrain moral, tout en face n’est qu’injustice, complot, cabale. Lui, bien sûr, est du côté du droit et de la vertu. Il est du côté de ceux qui ont immensément souffert même si enfant d’Algérie, sa famille aura été épargnée par l’horreur Nazie.

À la fin des années 90, le magazine « Entrevue » décide d’envoyer une équipe enquêter sur la Becob. Les journalistes d’Entrevue arrivent en plein conflit social ! En Côte d’Ivoire, les travailleurs locaux se plaignent des retards de salaires et leurs banderoles dénoncent des conditions de travail « esclavagistes ». Au final, l’article sur l’écrivain-forestier ne paraîtra jamais. Le lendemain, Hervé Hauss, le rédacteur en chef du magazine, vient trouver les fameux reporters : « Désolé, les gars, mais on ne peut pas publier cette enquête. BHL s’est plaint auprès d’Arnaud Lagardère. Et Arnaud a mis son veto. Oubliez tout. » Que cachent donc de si gênant les affaires de la Becob pour conduire l’écrivain à se mobiliser ainsi pour interdire toute enquête à ce sujet ? Comme par hasard, quelque temps avant l’enquête avortée d’Entrevue, l’écrivain vient juste de revendre l’entreprise familiale à François Pinault. Un tour de passe-passe qui permet à l’écrivain de toucher plusieurs dizaines de millions d’euros (l’entreprise est alors valorisée à hauteur de 800 millions de francs) pour une entreprise au bord du dépôt de bilan. À cette époque, F. Pinault est en quête de respectabilité, l’homme d’affaires est soupçonné d’avoir fréquenté dans sa jeunesse quelques personnalités issues de l’extrême droite et dans l’optique de ses futures affaires (Pinault deviendra le N° 1 du Luxe !), veut se racheter une virginité médiatique… Qui donc mieux que BHL peut lui offrir ce blanc-seing ? Avec BHL, F. Pinault entre de plain-pied dans le monde de la culture (il sera propriétaire de la Fnac) et des médias…

Voilà comment un pseudo-intellectuel devenu millionnaire ayant fait fortune sur le commerce du bois précieux Africain et l’exploitation d’une main-d’œuvre locale corvéable à souhait, a su jouer de l’histoire, des réseaux et de son influence pour devenir un personnage intouchable de notre paysage contemporain, sans jamais en avoir la dimension ni la dignité. Fort, tout de même !!!