Originaire de Jérusalem et formé à la Julliard School de New York, David Greilsammer est un pianiste virtuose de renommée internationale. D. Greilsammer est actuellement en résidence, depuis le début de cette saison culturelle, à l’Opéra Théâtre de Saint-Etienne et se produira notamment pour un concert intitulé « Amériques » dans le cadre du prochain Festival Nouveau Siècle. Rencontre :

Vous êtes né à Jérusalem : est-ce une ville musicale ?
Pour moi, Jérusalem est une ville qui représente la rencontre entre les cultures. C’est une ville dans laquelle il y a un mélange étonnant de religions, racines, cultures, traditions et donc, musiques. En grandissant à Jérusalem, on est tout le temps à l’écoute de différents styles de musiques : entre musiques religieuses, folkloriques, orientales, occidentales, classiques, populaires, modernes…

Vous avez poursuivi vos études à la célèbre « Juilliard School » de New York. Qu’a-t-elle de spéciale, cette école si réputée ?
Il me semble que tout d’abord c’est une question de tradition – depuis plus de 100 ans, la Juilliard School réussit à maintenir cette réputation de la meilleure école de musique au monde. Elle réussit à le faire notamment grâce à des professeurs extraordinaires qui offrent une éducation musicale exemplaire à leurs élèves. C’est pour cela qu’une grande partie des solistes les plus célèbres d’aujourd’hui sont issus de la Juilliard School, comme les violonistes Perlman ou Zukerman. Les examens d’entrée sont très difficiles et La Juilliard School n’accepte qu’environ 5 % des candidats qui souhaitent y étudier chaque année…

Vous avez suivi une formation de pianiste mais aussi de chef d’orchestre. Les deux carrières sont-elles compatibles à terme ?
Je pense que oui, car elles sont complémentaires. En tant que pianiste, je suis amené à faire un travail très individuel et solitaire – entre le piano et la partition. En tant que pianiste, je dois consacrer presque tout mon temps à l’instrument, à sa technique, sa sonorité, ses phrasés, etc. Mais en tant que chef d’orchestre, le parcours est différent : je suis constamment entouré d’un groupe, je travaille avec d’autres musiciens, je crée des synergies avec les personnes qui sont autour de moi. Je dois construire un univers avec les autres musiciens et non seul. La musique évolue grâce à la force du groupe, son dynamisme, son engagement, son implication.

Comment définiriez-vous votre style de jeu ?
Dans mon travail de musicien, j’essaie toujours de prendre des risques et d’essayer des nouvelles choses. J’aime ouvrir de nouvelles portes musicales et aller vers l’inconnu. Même si la plupart du temps, je joue des œuvres « classiques » qui ont été écrites dans le passé, j’essaie de leur offrir un regard actuel, ancré dans le présent et dans notre monde d’aujourd’hui. Je dirais donc que mon style est assez aventureux…

Vous avez eu l’occasion de jouer, en l’espace d’une seule journée, l’intégrale des Sonates pour Piano de Mozart. Que retenez-vous de cette performance ?
C’était pour moi un moment incroyable ! Ce « marathon » commençait à 10 heures du matin et se terminait à 22 heures. En une journée, j’avais parcouru toutes les sonates de ce grand compositeur que j’admire tant ! À titre personnel, cette expérience était importante car je rêvais depuis longtemps de jouer toutes ces sonates les unes après les autres, afin d’offrir au public une réelle continuité entre toutes ces pièces qui retracent la vie entière de Mozart. Il y a des liens passionnants entre certaines sonates et c’était l’occasion de mettre ces liens en lumière. De plus, j’adore les marathons en général et c’était passionnant de pouvoir donner un concert qui commence le matin et se termine le soir !

Mozart, est-il le compositeur absolu ?
Il y a une chose qui est spéciale chez Mozart, au-delà du fait qu’il soit l’un des plus grands compositeurs de l’histoire : dans sa musique, il y a toujours cette sensation de fraternité, d’amitié et de grâce. Même dans les œuvres les plus tragiques, la musique de Mozart offre de l’espoir et de la lumière. Mozart avait un amour fou pour la vie et cela s’entend dans chacune des notes de sa musique.

En concert, vous donnez des programmes qui présentent des alliances audacieuses, comme Scarlatti et Cage, ou comme dans le prochain concert « Amériques » dans lequel des compositeurs américains seront alliés à des compositeurs du baroque. Pourquoi ce goût de la confrontation ?
L’une des choses qui me tient le plus à cœur en tant que musicien, c’est la possibilité de créer des passerelles entre des mondes lointains. Je pense que cela est réellement notre responsabilité en tant qu’artistes – construire des ponts musicaux entre des univers différents. J’aime créer un dialogue entre des musiques, des styles, des époques et des compositeurs. J’ai l’impression parfois que la plus belle chose qui puisse se produire c’est la rencontre inattendue entre deux mondes.

Que pouvez-vous nous dire du Festival Nouveau Siècle dans lequel vous jouerez votre récital « Amériques » ?
Je suis heureux de participer à ce festival consacré à la musique américaine tout d’abord car j’estime être en partie de culture américaine — j’ai vécu à New York presque dix ans ! Lors des dernières années, j’ai joué et dirigé beaucoup de musiques américaines de styles différents – classiques, folkloriques et contemporaines. C’est toujours un bonheur de revenir à la musique américaine car elle est riche en rythmes insolites, couleurs explosives et mélodies majestueuses. C’est toujours un voyage !

Vous avez la particularité d’aborder différents types de musique (baroque, classique, contemporaine), alors que certains pianistes préfèrent se « spécialiser ». D’où vous vient cette polyvalence ?
Il me semble qu’être un artiste ne devrait pas vouloir dire être un « spécialiste ». Être un artiste c’est être curieux, chercher l’inconnu, se mettre en danger et aller toujours plus loin, etc. En se « spécialisant » on fait tout le contraire. On reste dans une zone de confort et on n’essaie pas de changer les choses. Je ne dis pas qu’il faut tout jouer et tout essayer, mais je pense qu’en tant que musicien, il faut avoir de nos jours une culture vaste qui s’étend de la musique baroque à la musique contemporaine en passant par d’autres styles musicaux que le classique.

Dans le cadre du Festival Piano Passion, vous proposerez une soirée autour de Scarlatti et Cage : que pouvez-vous nous dire de ces deux compositeurs ?
À la base, ce sont deux compositeurs qui sont à l’opposé l’un de l’autre : l’un est italien de l’époque baroque et l’autre est américain de l’avant-garde new-yorkaise ! Mais j’ai découvert qu’en les confrontant, des liens ahurissants se dévoilent, des liens dont on n’aurait jamais pu deviner l’existence. C’est pour cela que j’alterne entre les sonates de ces deux compositeurs sans aucune interruption, pendant soixante minutes. C’est un vrai voyage musical entre deux planètes qui n’étaient pas destinées à se rencontrer, mais qui – par la force du destin – se sont croisées et ont décidé de dialoguer…

Vous êtes actuellement en résidence à l’Opéra Théâtre de Saint-Étienne : que vous procure cette résidence ?
Tout d’abord, une résidence donne à un musicien la possibilité de créer un lien profond avec le public. Normalement, on donne un concert et on repart le lendemain tandis que, grâce à la résidence, j’ai la possibilité d’établir une vraie relation de proximité avec les auditeurs. De plus, ce qui extraordinaire avec cette résidence à St Étienne, c’est que j’ai également la possibilité de travailler sur une longue période avec les musiciens de l’orchestre de l’opéra, en tant que soliste, chambriste ou chef d’orchestre. Ainsi, nous apprenons à nous connaître et nous établissons une relation musicale forte. Cette résidence est aussi l’occasion d’offrir des concerts pour le jeune public, une chose que j’adore faire et qui me semble indispensable. J’aime aller à la rencontre des élèves et des étudiants car c’est l’occasion d’échanger avec eux et de discuter de musique, d’art et de la vie, etc. C’est toujours un moment fascinant pour moi.

Le hasard a voulu que votre arrière-grand-père naisse à Saint-Étienne : que représente cette ville pour vous qui ne cessez de voyager ?
Vous pouvez vous imaginer que lorsque j’ai donné mon premier concert à St Étienne, dans le cadre du concert d’ouverture de saison de l’Opéra Théâtre en septembre dernier, j’étais très ému. Le fait de savoir que mon arrière-grand-père, que je n’ai jamais connu, était né et avait grandi dans cette ville, représentait pour moi quelque chose de féerique. Pendant que je jouais mon concerto de Mozart avec l’orchestre, je ne pouvais pas m’empêcher de me demander ce que mon arrière-grand-père aurait ressenti s’il avait été présent dans la salle.

En fin de saison, vous dirigerez l‘Orchestre de Saint-Étienne, ce sera un plaisir particulier ?
Bien sûr ! J’aime beaucoup l’orchestre de Saint-Étienne et à chaque fois que j’ai joué avec lui j’ai éprouvé un immense plaisir. Les musiciens sont d’un professionnalisme exemplaire et sont passionnés, dynamiques et engagés. Le fait de pouvoir travailler avec l’ensemble des musiciens en tant que chef d’orchestre sera certainement une expérience forte, d’autant plus que pour ce concert nous avons un superbe programme dans lequel je jouerai et dirigerai des concertos pour piano de Mozart et Beethoven… J’ai vraiment hâte d’y être !

Que pensez-vous de l’initiative de Daniel Barenboïm à la tête du West-Eastern Divan Orchestra ?
Toute initiative qui peut aider à rapprocher les peuples est importante. C’est très inspirant de voir un orchestre dans lequel jouent ensemble des musiciens israéliens et arabes et je suis convaincu que ce genre d’initiative peut contribuer à nous rapprocher un peu plus de la paix. Nous espérons tous que cette paix arrivera un jour, mais il faut que les dirigeants et les politiques se réveillent !

Quel genre de musique écoutez-vous au quotidien ?
Un peu de tout ! Jazz, classique, pop, world, rock, etc. D’ailleurs, mon frère Michaël est un violoniste qui joue et chante de la pop, du rock, de la musique celtique et du reggae ! Cela nous arrive de donner ensemble des spectacles mêlant pop, world music et classique…