Nous avons eu l’occasion d’échanger avec Daniel Kawka, musicien, directeur musical et artistique (entre autres) connu des Stéphanois à travers notamment l’EOC qu’il a dirigé plusieurs années durant, pour la sortie de son livre « Ose! une poétique de l’orchestre » aux éditions EST – Samuel Tastet. Ce livre co-écrit avec Thierry Kawka et David Christoffel propose les visions croisées d’un chef d’orchestre, d’un compositeur-musicologue et d’un chargé de production concernant leur expérience au sein de l’orchestre Ose! .
« Les considérations proposées explorent l’intimité et l’aura de l’orchestre Ose!, soit 150 musicien.nes et solistes dans une aventure musicale et humaine hors norme. Entre récits et réflexions, le présent ouvrage donne voix aux artistes et témoigne de la trajectoire sans pareil de ce projet symphonique collectif… et propose des voies inédites pour repenser l’engagement musical aujourd’hui et « faire orchestre » ». Daniel Kawka
Pour les Stéphanois qui ne connaissent pas Daniel Kawka, pouvez-vous vous présenter ?
Musicien, chef d’orchestre, saisi par la beauté, la force, le magnétisme du son. D’Hendrix à Wagner, de la scène à l’opéra, de la guitare à l’orchestre, en passant par le conservatoire et l’université, mon parcours artistique n’a été et n’est fait que de rencontres, de musique, d’œuvres, de créations, d’aventures humaines, d’échanges et d’expériences territoriales et internationales, de passions partagées.
Lorsqu’on regarde ce parcours, on observe des influences littéraires, musicales, voire scientifiques… Créer est-il pour vous un champ transdisciplinaire ?
L’art est riche et composite. Le son appelle l’acoustique, l’œuvre l’écriture et le symbole, l’opéra, la scène et le verbe. Aussi la littérature tient-elle une place importante dans ma vie artistique. Ma thèse, jadis dédiée au compositeur français Albert Roussel, délivrait un doctorat d’histoire et de littérature. L’opéra que je pratique depuis plus de vingt ans repose sur les grands textes, pensons à Verdi, Berlioz et Shakespeare, aux grandes mythologies nordiques et latines avec Wagner et Strauss notamment, et sur ce maillage où les mots prennent sens, révélés, magnifiés par le chant, par le jeu d’interprètes/acteurs, théâtralisés. Ce terme transdisciplinarité me plaît tant l’art des sons se nourrit d’affects, de sensations, de modèles extra-musicaux.
Vous avez dirigé de nombreux orchestres dont l’EOC et OSE. Comment ces expériences vous ont-elles marquées, jusqu’à, finalement, l’idée d’en faire un livre ?
Quatre-vingt-dix orchestres en effet, mais le livre, Ose! une poétique de l’orchestre ne porte que sur une expérience, celle de Ose!, tout en relatant des moments forts avec l’EOC. Ces deux expériences ont été marquantes, parce que l’une l’autre se sont inscrites dans la durée : deux très grandes décennies pour l’une, l’EOC, une décennie pour l’autre. La première est placée sous le signe de la création. Avec une équipe de musiciennes, musiciens magnifiques, investis, nous avons parcouru un siècle de musique, rencontré une communauté de compositeurs, voyagé, enregistré, senti battre le pouls du monde. Vous évoquez les sciences, nous travaillions avec les plus prégnantes technologies de diffusion et d’interaction avec les outils informatiques en relation étroite avec le GRAME notamment. L’aboutissement fût l’enregistrement de BPartita de Philippe Manoury en 2021 où en co-production avec l’IRCAM la machine dialoguait en temps réel avec le soliste et l’ensemble.
Ose! a ouvert d’autres passionnantes aventures, dans l’alchimie de l’orchestre, au cœur d’une communauté d’artistes partageant le même destin. Il était exaltant d’en écrire un livre, avec Thierry Kawka, co-créateur de l’orchestre, non pour en relater les temps forts biographiques, mais l’esprit, la poétique, qui a porté le travail de l’orchestre à l’incandescence.
Venons-en au livre justement. Peut-on déjà en faire un résumé ?
David Christoffel, le troisième protagoniste du livre a procédé à une interview, questionnant tous les désirs et les imaginaires qui conduisent aux choix des œuvres, à une posture d’interprétation, à une gouvernance plus horizontale où chaque artiste, tout en se fondant dans l’énergie du groupe, dans l’intention expressive, dans le son, développe sa musicalité propre, devient co-acteur, co-créateur de l’œuvre, poète du son.
Il évoque l’expérience de l’orchestre Ose!, et surtout questionne cette forme artistique et humaine qu’est l’orchestre symphonique. Qu’entendez-vous par là ?
Une saison symphonique usuelle est constituée de programmes, souvent événementiels et inventifs, qui se présentent au public de semaine en semaine. Le projet de Ose! était de penser et de créer des événements singuliers, tels l’Académie internationale de création symphonique, le Léman Lyriques Festival sis entre France et Suisse, avec, inscrit à son ADN, une itinérance de lieux de répétitions afin de les ouvrir à tous les publics, d’œuvrer dans des espaces culturels où la présence d’un orchestre, disponible, en dialogue, faisait événement.
Ainsi, une œuvre, un programme trouvait-il ses publics, en répétition, au concert, l’orchestre se produisant dans des espaces polyvalents comme dans les plus hauts lieux de concerts. Le collectif faisait alors corps avec les œuvres, avec le projet artistique, totalement impliqué dans une mission de diffusion, dans une « poétique » de l’orchestre où la réalité flirtait avec bonheur avec l’utopie.
L’équipe administrative ramenée à deux personnes rendait cette aventure incroyablement fluide, où, au côté d’un projet ambitieux et remarquable, les croissants chauds et le café attendaient les musicien-nes avant chaque répétition.
On parle souvent de la solitude du metteur en scène ou de l’entrepreneur face à toutes les responsabilités qu’il faut gérer. Qu’en est-il du chef d’orchestre ?
À sa table de travail, au piano dans ce temps préalable de réflexion et d’étude, le chef d’orchestre est seul en effet ; solitude dense, nécessaire, taoïste (un plein du vide) qui s’ouvre ensuite aux institutions, nécessaires à la vie de l’orchestre, au groupe, et s’épanouit dans le geste relationnel musical et sonore et le don de soi au concert.
Bien que parcourant le monde, votre ancrage est-il résolument stéphanois ?
Mon ancrage est stéphanois. En début de carrière la question était, dois-je m’installer dans une métropole ? La réponse fût que, d’une ville mère, connue, rassurante, amicale, le rayonnement était possible, via les gares et les aéroports. En poste en Italie un temps, en transhumance permanente, le voyage devient plaisant, exotique, le retour aux sources bienfaisant et régénérateur. Et puis… la convivialité stéphanoise légendaire !!
Où allons-nous pouvoir nous procurer le livre ?
Le livre paraît aux éditions EST Samuel Tastet. Présent dans les principales librairies stéphanoises, en ligne, avec une présentation, en présence de Thierry Kawka et moi-même à la libraire de Paris en janvier prochain.
Un mot pour conclure ?
Ce livre parlant de poétique du sonore délivre un message, un message de cordialité, de paix, d’émulation, d’embrassement, et non d’embrasement. L’art dans la vie est vecteur de joie, d’émotions partagées, je n’ose pas dire de communion, d’union. Puissions-nous trouver au théâtre, au musée, au cinéma, au concert… cet espace vibrant d’humanité, lieu d’échange et d’émerveillement.