Créé en 2003 à Saint-Étienne, le Collectif AOI est une des compagnies stéphanoises parmi les plus dynamiques et créatives. Elle présentera « Super Héros », son ultime création, les 17 et 18 avril prochains au Centre Culturel de la Ricamarie. Rencontre avec Cécile Vernet qui met en scène cette pièce écrite par Yann Métivier.

Pouvez-vous nous présenter le spectacle que vous allez présenter au centre culturel de la Ricamarie ?
Cécile Vernet : On peut, pour le présenter rapidement, dire qu’il s’agit d’un spectacle de superhéros…

Pourquoi cette figure du superhéros vous a intéressée ?
Bonne question…

Je crois que tu as écrit le texte…
Yann Métivier : Oui. Mais c’est bien Cécile qui a réellement porté ce projet. C’est elle qui a pris l’initiative de la création, qui a réuni l’équipe, m’a sollicité pour l’écriture… Elle en a défini le cadre. Ensemble, nous avons ensuite défini le propos et ensuite nous avons travaillé par petites sessions avec les différents acteurs. Ces derniers ont également contribué à l’écriture de leur rôle, en fonction de leur propre personnalité. Chacun ayant défini son personnage. Il y a donc quelque part une forme d’écriture collective, même si au final, c’est moi qui ai compilé le tout. C’est comme ça que la compagnie aime fonctionner. Même si chaque processus créatif peut être différent, selon les projets. Mais, c’est vrai, on aime bien cet esprit d’équipe.

Revenons à ma question, pourquoi la figure du superhéros ?
C.V : En fait, il y a longtemps que j’avais envie de travailler autour de la figure du superhéros… Il y a eu tout un tas de films mettant en scène, ces dernières années, des supers héros. J’avais envie de confronter cette figure du superhéros au plateau théâtral, sachant que si le cinéma s’est accaparé le symbole du superhéros, le théâtre ne s’y est pratiquement jamais intéressé. J’avais envie de voir comment cette figure pouvait résister au cinéma, sachant qu’au cinéma justement, grâce au fond vert magique, tout devient possible. Mais le théâtre n’a ni les moyens ni les possibilités techniques du cinéma. Tout est plus grossier ou plus pauvre au théâtre. La machinerie n’est pas la même. Comme le théâtre travaille exclusivement à partir de l’imaginaire de chacun, j’avais aussi envie de confronter toutes ces dimensions. Le cinéma a ses superhéros, alors que le théâtre a lui des héros simplement.

Qui dit superhéros dit supers pouvoirs, non ?
Tout à fait. Mais les supers pouvoirs, c’est un peu plus compliqué au théâtre. Mais nous sommes tout de même parvenus à en trouver quelques-uns qui fonctionnent. Rappelons qu’il s’agit aussi d’un spectacle burlesque et qu’à ce titre nous avons pu dénicher quelques supers pouvoirs complètement idiots.

Le superhéros sauve-t-il également la planète théâtre ?
Complètement, oui. Le spectacle débute avec la fin du monde. Après, le superhéros sauvera-t-il la planète ? Telle est la question… Il va falloir trouver, dans un premier temps, ce qui s’est passé avant…

Grâce à des flash-back ?
Un peu… Le spectacle n’est pas daté, en fait…
Y. M : C’est comme si c’était une anticipation, mais très douce, très légère. La scène pourrait très bien se dérouler en 2015 ou dans une réalité alternative en 2013. C’est un quasi présent.
C.V : Ce qui m’a intéressé dans cette figure du superhéros, c’est qu’il s’agit avant tout de métaphore ou des images de chaque problématique individuelle poussée à l’extrême. Le superhéros est une figure des rapports que chacun d’entre nous entretient avec le pouvoir.

Ulysse, au fond, était-il un superhéros ?
Y.M : Si on veut être précis, Ulysse n’est pas un superhéros mais un héros. On commence à parler de superhéros dès lors qu’apparaît un costume, un masque ou une panoplie de transformation. Les supers héros ont tous une double identité. Ulysse était Ulysse. Il ne portait pas de masque. Le superhéros se transforme en superhéros dès lors qu’il porte ce masque ou ce costume. Les héros grecs agissent en tant qu’eux-mêmes. Alors que les superhéros ne sont qu’une projection de ce que nous ne sommes pas. Ils sont des symboles. Les héros grecs sont des demi-dieux. Le superhéros porte ce masque et il est possesseur d’une autre identité. D’un autre symbole.

Les superhéros sont nés dans les comics américains d’après guerre, pour la plupart. Une époque où le bien et le mal étaient clairement identifiés…?
Pendant la seconde guerre mondiale, ces supers héros servaient, en quelque sorte, de propagande. Cela s’est poursuivi ensuite à travers la guerre froide et la dénonciation du communisme.

La situation politique actuellement est somme toute différente, non ?
C.V : Aujourd’hui la figure du superhéros est devenue plus complexe, je crois. Il n’y a plus de méchant ou de super-méchant. Si on lit les comics d’aujourd’hui, on voit bien que ces problématiques apparaissent de manière plus complexes. Tout est plus mélangé. Les choses sont moins claires.
Y.M : Dans certaines BD, le super-vilain, n’existe même plus ! Ou alors, elle n’est que la doublure du superhéros. On l’a vu récemment avec Batman au cinéma. Les superhéros basculent dans le mal et la super-vilaine, et à ce sujet la figure de Batman est symptomatique. Il est bien plus sombre, par exemple, que Superman. D’ailleurs, la série des Batman fonctionne mieux que celle des Superman au cinéma. Cette idée du superhéros sombre a gagné nos esprits. Le fait, également, que le cinéma contemporain s’intéresse de plus en plus aux superhéros indique, je crois, un état bien particulier et significatif de nos esprits. Ou nos attentes.
C.V : Vous savez qu’il existe aujourd’hui des clubs de superhéros, des endroits où se rencontrent des gens normaux qui se prennent ou qui jouent aux superhéros. Ces cercles cartonnent. Cela signifie quelque chose de notre époque, je crois. Des superhéros « in real life »… Ils s’organisent en bande, aident des SDF…
Y.M : Je crois que nous sommes rentrés de plain-pied dans cette ère promise par Warhol, où à chacun est promis un ¼ d’h de gloire, le monde globalisé et connecté, les mœurs individualistes, la flatterie de la publicité, etc. Il me semble que tout le monde est invité à se prendre pour le héros d’une autofiction personnelle. Mais c’est là, avec le masque et le « super » du héros qu’on entre dans autre chose. Avec ce mouvement des « real life super heroes » on a découvert un truc plutôt émouvant. Et là où on s’attendait à une ambiance de miliciens solitaires, façon « un justicier dans la ville », pas du tout. Par le masque justement, et sa dimension symbolique, il semble que ce mouvement vise nettement au-delà des délires égoïstes. Il y a une dimension très sociale à tout ça, et un vrai désir de créer du lien, et des symboles qui se partagent, de secouer la société, et de la réveiller d’une forme de cloisonnement personnel et d’apathie collective. Cette générosité est inscrite dans le génome du super-héroïsme, et c’est aussi ça qu’on cherche, je crois, dans ces figures, qu’elles nous sortent d’une forme d’isolement et de résignation.

Quels sont vos partis pris de mise en scène ?
Nous avons beaucoup travaillé autour des codes et des symboliques du pouvoir. Après, je me répète, il s’agit d’un spectacle burlesque. Et choral, avec 6 personnages qui sont autant de rôles principaux. Le public découvrira une création musicale élaborée en directe, un jeu de lumières spécifique, des bruitages faits à l’ancienne… La scénographie a été imaginée autour de décors mouvants. Nous ne sommes pas dans l’absence de moyen, au contraire, nous sommes bien dans l’idée du divertissement. Nous avons cherché des effets, tout en dénonçant l’excès de ses effets spéciaux. On joue avec ses effets. Et nous avons même travaillé avec une cascadeuse…
Y.M : L’évidence, c’est qu’il s’agit d’une comédie burlesque. Nous avons travaillé autour du jeu de masque… Chose que l’on connaît très bien au théâtre. Toute une partie du propos se situe dans ce jeu subtil des masques. En effet, tous ces superhéros cherchent à atteindre leur état de superhéros. Ils cherchent tous à remplir leur costume de superhéros. Certains y parviennent pleinement, certains sont pathétiques, certains se trompent, certains sont des supers héros officiels et reconnus comme tels… Il y a différents niveaux de jeu du superhéros.

Le costume appellerait-il l’héroïsme ?
Oui. Le masque, la symbolique du costume ou de la panoplie est une forme de promesse de quelque chose, et tous les superhéros courent après cette promesse et tentent de la tenir. En réalité, ils négocient tous avec un fond de monstruosité. Certains ont des supers pouvoirs, d’autres non. Ces supers pouvoirs ne sont pas forcément utiles, ils deviennent même des effets comiques. Chaque super héros tente de faire quelque chose plus grand qu’eux-mêmes et court après l’image qu’ils sont censés avoir d’eux-mêmes.

Vous présentez ce spectacle à la Ricamarie… Ensuite ?
C.V : Nous le reprendrons la saison prochaine à l’Opéra Théâtre de Saint-Étienne, en octobre prochain.

Votre compagnie a dix ans. Comment cela se passe-t-il au quotidien ?
Nous sommes intermittents du spectacle et la compagnie AOI n’est pas notre seule activité. Nous jouons tous par ailleurs. Globalement, nous parvenons tous à vivre de notre art. Nous avons quelques spectacles qui tournent régulièrement…
Y. M : Le statut d’intermittent a le mérite de nous permettre de travailler pleinement pour le théâtre. Nous vivons, simplement certes, mais nous vivons de ce statut. Et quelque part, c’est déjà énorme. Je suis sorti de l’école de la Comédie de Saint-Étienne, il y a tout juste 10 ans. Le statut rend les choses possibles. Sans ce statut, nous ne pourrions pas faire ce que nous faisons. Nous serions dans des situations que connaissent par ailleurs les plasticiens, les auteurs… Pour eux, c’est autrement plus compliqué.

Comment avez-vous vécu le renouvellement à la tête des grandes institutions culturelles stéphanoises ?
C.V : Au niveau de l’Opéra Théâtre par exemple, des portes se sont indéniablement ouvertes alors qu’elles étaient indéniablement fermées pour tout un tas de gens. C’est forcément positif pour nous. Nous avons enfin accès à cet équipement, et cela nous est très précieux. Tout le monde est d’accord sur cela.
Y.M : On pourrait dire la même chose de la Comédie de Saint-Étienne qui a retrouvé un nouveau souffle avec l’arrivée d’Arnaud Meunier, c’est évident. On retrouve de nouvelles ambitions, donc, c’est sûr, ce renouvellement au sein des institutions a été bénéfique pour tous. On sent que cela bouge.

Et vis-à-vis des institutions publiques ?
C.V : On sent, par exemple, qu’au niveau du département, ils sont un peu dans l’expectative. Ils se questionnent, ils ne savent pas trop ce qu’ils vont devenir. Autant auparavant on parvenait à parler de conventionnement triennal par exemple, autant aujourd’hui, nous travaillons au coup par coup. C’est complètement différent. Eux-mêmes ne maîtrisent pas forcément leur destin.
Y. M : On constate à ce niveau, l’avènement d’une ère glaciaire. Plus personne n’ose bouger et tout le monde attend. Avant, nous mettions un an à monter un spectacle en moyenne, aujourd’hui, il nous faut deux ans de préparation pour monter un spectacle.

Votre compagnie a beaucoup créé en 10 ans…
Nous avons créé une quinzaine de spectacles en 10 ans. Ça fait pas mal, en effet. Tout devient plus long aujourd’hui.
C.V : Toutes les compagnies essaient de trouver de moyens de diffuser leurs spectacles. Et curieusement, ici à Saint-Étienne, il nous semble plus difficile à faire tourner nos spectacles. Pourquoi ? Je l’ignore, mais c’est très compliqué. J’ai l’impression, qu’à Lyon par exemple, les compagnies parviennent à trouver, plus facilement, des diffuseurs, sur Grenoble notamment, car des liens entre villes ont été mis en place. C’est le nerf de la guerre, la diffusion. J’ai l’impression que les programmateurs ont du mal à venir voir nos spectacles sur Saint-Étienne alors que le public, lui, nous suit. C’est curieux.

La culture théâtrale est paradoxalement bien ancrée à Saint-Étienne…
Y.M : C’est vrai. Il y a un vrai public pour le théâtre. C’est très ancré ici. Les salles sont plutôt pleines. Mais il faudrait pouvoir sortir aussi du bassin stéphanois. Après, cela dépend aussi des trajectoires personnelles de chacun, nous avons à Saint-Étienne de beaux exemples de réussite comme Richard Brunel ou Laurent Fréchuret, qui ont su exporter leurs créations. Chacun tisse son propre réseau…
C.V : Peut-être qu’à Saint-Étienne, la circulation des compagnies se fait moins qu’ailleurs. Tout le monde reste un peu dans ses chaussures…

Vous projetez-vous dans l’avenir ?
Y.M : Pas trop… Tant que la guérilla ne recule pas, elle progresse. Enfin, il paraît… On a la chance d’avoir les moyens de créer, donc on continue d’avancer. Avec la compagnie ou à travers d’autres aventures parallèles. On se bouge et on essaie d’avancer. Les choses bougent, doucement, mais elles bougent. Chaque année, nous avançons à petits pas. Par exemple, sur la saison prochaine, nous allons collaborer avec la Comédie de Saint-Étienne. La compagnie rejoindra l’ensemble artistique de la Comédie.

Une reconnaissance ?
Un peu, oui. Nous présenterons à la Comédie, notre prochaine production, il y aura aussi des petites formes théâtrales… Avec la Comédie, nous allons travailler justement sur la diffusion des spectacles sur l’ensemble du bassin de population Stéphanois. C’est vraiment une bonne chose. Une bonne nouvelle parmi de nombreuses mauvaises nouvelles. En fait, on nous laisse souvent entendre que tout va mal, que le financement de la culture est en difficulté, que le statut de l’intermittence est en danger…, mais globalement les choses peuvent aussi se faire. La réalité n’est pas si sombre, la création continue d’exister, les gens continuent d’aller au théâtre.
C.V : C’est une reconnaissance, on a l’impression que ça bouge, c’est bien.