C’est dans les détails que s’écrit l’histoire. Comme beaucoup de pays Maghrébins, Arabes ou Africains et à l’heure de la décolonisation au début des années 60, la Tanzanie, un état né de l’unification du territoire indépendant de Tanganyika et de l’île de Zanzibar, choisit l’alternative communiste pour choix de société. S’en suit une longue amitié entre cette nation africaine méconnue et le grand frère chinois, modèle de l’époque d’émancipation et de développement populaire. Dans le cadre de cette amitié réciproque, la Tanzanie s’initie au cirque grâce notamment aux nombreuses tournées effectuées et subventionnées des fameuses Étoiles du Cirque de Pékin. Et si le modèle communiste a déserté la capitale Dar-es-Salaam, malgré le retour des investisseurs chinois (toujours aussi efficaces et philanthropes…), cette tradition circassienne a su résister au temps, et la capitale tanzanienne conserve toujours le privilège d’accueillir la seule école de cirque africaine. Cette école est dirigée par un certain Winston Ruddle. Orphelin, devenu danseur de rue professionnel à l’âge de 15 ans, il a fait fort d’honorer cette amitié historique avec le pays du « Petit Livre Rouge » puisqu’il a épousé une acrobate chinoise qui entraîne quotidiennement la cinquantaine d’acrobates, de danseurs et de musiciens qui composent la troupe du « Cirkafrika ».

Celui qui, une fois dans sa vie, s’est rendu à Dar-es-Salaam (une capitale dont la poignée de buildings flambant neufs ne parvient pas à dissimuler une pauvreté généralisée), comprendra rapidement le courage, la ténacité et l’inventivité qu’il faut à ce « clown noir » pour maintenir à bout de bras cette troupe composée d’artistes venant de tout le continent. À Dar-es-Salaam, tout coûte cher, jusqu’aux dizaines de litres d’eau qu’absorbe chaque jour chaque athlète… Habituellement, Alain Pacherie, directeur du Cirque Phénix, permet au public français de découvrir d’époustouflants artistes originaires d’Asie ou des Pays de l’Est. La réputation du Cirque Phénix n’est plus à faire. Et cette année, exceptionnellement, Alain Pacherie a décidé d’offrir une sorte de « carte blanche » (un comble !), à Winston Ruddle, qu’il avait rencontré il y a quelques années à Paris. Car il faut savoir que tous les artistes du Cirkafrika sont issus de familles très pauvres et que l’accès à cette seule école de cirque africaine leur est offert… Le Cirkafrica, c’est autant une chance unique de s’émerveiller devant des artistes incroyablement doués et motivés mais aussi l’opportunité de découvrir l’art du cirque sous un angle différent.

D’entrée, le Cirkafrika se démarque par son orchestre, composé des meilleurs musiciens de Dar-es-Salaam et qui rythme chaque numéro au son des grands tubes africains des trois dernières décennies, de Touré Kunda à Youssou N’Dour en passant par Mory Kanté. L’ambiance est telle qu’on se croirait à un concert ! C’est évident, les Africains ne pratiquent donc pas l’acrobatie comme les Chinois ni comme les Russes. La pyramide humaine qui ouvre le show n’a rien à envier à personne ! Chaque numéro est orchestré par des danseuses masquées et chamarrées qui subliment chaque performance. Nous sommes face à un tourbillon de couleurs, de costumes, de guitares électriques, de koras, de cuivres et de sauts périlleux. Et même les animaux en caoutchouc ou grandeur nature, de l’éléphant à la girafe, sont de la fête ! On s’aperçoit que la virtuosité ne connaît donc aucune frontière ni limite. Jongleurs, porteurs, acrobates, clowns, danseuses, athlètes, (etc.) depuis les pionniers guinéens du Circus Baobab il y a près de 15 ans déjà, jamais une troupe de cirque africain n’avait été aussi performante. Et que dire de cette danse zoulou, en hommage aux mineurs sud-africains, sorte de gospel minéral, qui, au fond, montre que le cirque comme toute autre forme d’art peut témoigner de l’histoire d’un peuple.

Zénith de Saint-Etienne
Vendredi 25 janvier à 20 h 30