Créée en 1991 par sa directrice et chorégraphe actuelle Daisy Fel, la compagnie Litecox est une des rares compagnies indépendantes Stéphanoises à œuvrer sur le champ chorégraphique contemporain. Rencontre avec Daisy Fel, une femme engagée et passionnée :

« Home » a été conçue en hommage à Charlotte Perriand. Pourquoi cet hommage ?
Notre compagnie est en résidence à Firminy, à la Maison de la Culture Le Corbusier, depuis 2 ans. Ce lieu est très inspirant, par la présence de la couleur, de la lumière, son architecture incroyable, mélange de courbes, de verticales, de dissymétrie. J’y ai découvert le travail de Charlotte Perriand qui a travaillé avec Le Corbusier, en réalisant notamment de nombreux éléments d’architecture intérieure, et du mobilier. Il y avait une exposition à Paris au moment où j’ai discuté de cela avec Yvan Mettaud, le conservateur du site Le Corbusier de Firminy, qui m’a parlé avec enthousiasme de cette artiste hors du commun. J’ai ensuite rencontré les commissaires de l’exposition qui étaient sa fille et son gendre, Pernette Perriand et Jacques Barsac qui m’ont encouragée dans ma démarche.

Ch. Perriand est la première femme designer. J’imagine que cela a joué dans votre approche ?
Elle était la première en France, une pionnière du design et de l’architecture, d’une grande modernité, très engagée, elle plaçait l’être humain au cœur de son travail.  J’ai eu envie de m’inspirer de son œuvre, chargée d’utopie, où la notion de liberté est omniprésente ; elle considérait l’espace de la maison comme un espace ouvert, faisant coexister communication et intimité, laissant l’intérieur et l’extérieur s’interpénétrer : on n’habite pas en s’enfermant mais en s’ouvrant. D’où la présence de cloisons coulissantes, de meubles modulables, l’importance des fenêtres. Pour elle la notion de beauté était primordiale, d’où un grand raffinement des formes et des matières. Sa démarche était orientée par la joie de vivre, où le respect du corps, de la nature, est aussi essentiel que le plaisir d’être avec les autres, la convivialité : accueillir, mettre à l’aise, rechercher le bien-être, seul ou avec les autres.

De quoi parle « Home » ?
« Home » parle de tout cela, du fait que la maison se situe entre intérieur et extérieur, entre l’intime et le convivial, l’individuel et le collectif. La pièce parle des émotions,  des relations, ce qui a permis de travailler sur des états de corps variés : tendresse, rêve, jeu, insomnie, solitude, tension, inconfort… D’une façon plus métaphorique, elle parle des énergies féminines et masculines, des fluides, de l’air, la lumière qui traversent la maison, du temps qui passe… Du rapport corps-espace, corps-objet : comment le corps est plastique, vivant, actif et l’objet passif, rigide, inanimé…Cela dans un contexte très graphique et coloré où chaque séquence est travaillée comme une peinture, avec une prédominance des couleurs primaires…

Le rapport aux objets influe-t-il sur le rapport aux autres ?
C’est une question que je mettrais bien à l’envers ! Je pense que le rapport aux objets est plutôt révélateur du rapport aux autres… Comment je partage mon espace, mon siège, mon stylo, ma table, ma voiture, voire mon lit… Mais il est évident que si je suis détaché de l’objet lui-même ou de sa place, à l’inverse du maniaque, de l’angoissé ou du possessif, je vais créer un rapport aux autres ouvert, détendu dans un contexte de circulation et d’échange. Je citerai bien Le Corbusier et Perriand : tout est jeu, rien ne doit être figé, tout doit rester souple, disponible : « le jeu est nécessaire à la vie, les joints de dilation le sont au béton, la pupille se ferme sous l’effet du soleil, tout assemblage doit prévoir du jeu qui doit s’affirmer… »

La scénographie a été élaborée par le collectif de Design Une Affaire de Goût. Comment s’est déroulée cette collaboration ?
Le travail avec Fabienne Chassin, et Lydie Dumas, s’est fait de façon assez évidente. J’avais établi un cahier des charges précis, sur la modularité, l’idée de la maison, du refuge, la référence à C Perriand, etc…et leur première proposition fut la bonne, sobre, esthétique et fonctionnelle. C’était pourtant leur première expérience avec le spectacle vivant. Le décor a été réalisé en amont et la chorégraphie s’est construite dès le départ à partir, et à l’intérieur de cette scénographie. C’était indispensable, il fallait que la danse émerge de cet espace imaginaire. Ca a été un corps à corps, parfois contraignant, mais passionnant à résoudre, entre les danseurs et les différents éléments, objets, surfaces, et panneaux. Jérémie Teissier, a créé les costumes, donnant soit une grande liberté de mouvement aux danseurs, comme les pantalons-kimonos, soit un certain raffinement comme les hauts très graphiques, réalisés à partir de tricot fait au crochet.

Le design et la danse contemporaine, un langage commun ?
Oui, dans de nombreux champs : La physicalité, le rapport au corps, la notion de beauté, de plasticité, le rapport à l’espace et aux volumes, la poétique, l’imaginaire, le théâtral, le ludique, la sobriété des formes, la recherche de l’essentiel, l’aspect innovant, le rejet de l’académisme, la créativité, le refus de l’immobilisme et de la rigidité…
Présenter « Home » dans l’enceinte du Musée d’Art Moderne qui présente une rétrospective de Ch. Perriand vous met-il plus de pression ?
Oui et non, car la création est finie, elle est ce qu’elle est, elle bougera sûrement au cours de sa tournée, mais c’est à Firminy que j’ai eu une énorme pression. C’est là qu’il a fallu transpirer, se questionner, douter, faire, défaire, tout créer, la matière chorégraphique, mais aussi la musique signée par PJ Pargas, jeune créateur sonore lyonnais, les lumières de Gilles Faure (qui malheureusement seront absentes au MAM car nous serons en plein jour), trouver la dramaturgie, le fil conducteur, le scénario final. C’est vrai que dans le hall du MAM, le contexte sera différent, il faudra adapter certaines parties, ce ne sera pas l’écrin de la scène, mais j’adore cet espace. Et puis je suis confiante, j’ai vu que cette création avait une belle identité et faisait sens auprès de l’œuvre de Charlotte Perriand. J’espère que sa fille et son gendre seront présents, comme ils me l’ont promis !
 Comment s’est déroulée la première à la Maison de la Culture le Corbusier de Firminy ?
Nous avons fait salle comble, difficile de faire rentrer tout le monde, notre public, celui de Firminy, celui de la Biennale, avec des spectateurs enthousiastes. Ils ont été touchés par la technicité et par l’interprétation énergique et sensible des danseurs ainsi que par leur complicité. Il est vrai que Sacha, Renata, Paola et Nicolas sont des danseurs talentueux, différents et complémentaires, qui ont créé cette pièce avec passion  et lui ont donné beaucoup d’émotion et de joie de vivre. Je crois que le spectateur aujourd’hui a besoin de cela dans cette période parfois morose. Ils ont apprécié l’aspect très visuel et coloré de la chorégraphie, de la scénographie et des costumes. Ceux qui avaient vu l’exposition sur Charlotte Perriand au Musée ont trouvé le lien avec bonheur.

Qu’est-ce qui vous porte aujourd’hui ?
La satisfaction d’avoir réalisé « Home », dans une cohérence de toutes ses dimensions. Créer à Firminy, sur le site de l’Espace Le Corbusier, dans le contexte de la Biennale Design de Saint-Etienne, avec la collaboration du Musée d’Art Moderne . Le plaisir de me remettre « en scène » avec la performance que je vais créer et réaliser au sein même de l’exposition de CP, dans un dialogue intime avec son œuvre. L’envie de tourner, de faire vivre cette création. D’une part pour la faire mûrir, car c’est un organisme vivant qui se bonifie avec le temps, comme le bon vin… D’autre part pour rentabiliser cet énorme travail que représente une création sur le plan artistique, humain et financier. J’ai cette mission à remplir par rapport à mon équipe et à ma compagnie, qui à ce jour se trouve endettée par cette création qui a coûté cher…Car les aides publiques ne bougent pas, heureusement nous avons eu une belle coproduction avec la Ville de Firminy, ainsi que le soutien de l’Adami.

Comment va la compagnie Litécox ?
Comme toujours, nous sommes sur le fil, toujours funambules…, avec de beaux projets en cours qui doivent se réaliser : Commémorer la loi de 1913 (préservation et démocratisation du Patrimoine) sur le Site le Corbusier à Firminy (commande d’Y. Mettaud pour les Journées du Patrimoine). Réaliser une adaptation franco-turque de « Home », en lien avec la Biennale d’Istanbul 2014 et l’Institut français. Développer le partenariat avec l’Allemagne, où nous étions en résidence en décembre. Continuer le Trio Indigo : projet engagé, chorégraphique et musical, avec Dominique Lentin aux percussions, mêlant spectacle, débat et ateliers, destiné à sensibiliser à la création contemporaine adolescents et jeunes adultes, en les questionnant sur les notions d’Égalité entre les Hommes et les Femmes, en les faisant réfléchir sur les rapports et représentations  de l’autre sexe…: mais là il y a vraiment du boulot pour faire changer les mentalités !… Nous avons déjà initié ce travail cette année, en mélangeant dans le projet « Deux pour danser », une classe de filles du Lycée Benoit Charvet et une classe de garçons du lycée Etienne Mimard. Un sacerdoce pour les danseurs, parsemé de mini victoires !