Cela fait déjà plus d’une quinzaine d’années qu’Internet a bouleversé notre quotidien, pour le meilleur comme pour le pire, c’est vrai. Mais une autre évidence est qu’on ne peut plus faire sans, Internet est là et modifie notre paysage économique, social et même politique. Il ne s’agit même plus de nier cette évidence mais, pour chacun d’entre nous, d’essayer d’en anticiper les retombées. Yahoo, Google, Facebook, Twitter…, disposent aujourd’hui, alors que ces entreprises n’existaient même pas il y a 20 ans, d’une capitalisation rivalisant avec les plus grands groupes industriels internationaux dont l’activité pour certains d’entre eux est centenaire. Après tout, Internet est censé nous faciliter le quotidien. Son exploitation intelligente a donné naissance à des applications et des utilisations qui remettent en cause des monopoles de fait. Les maisons de disque ont vu leurs activités exploser à cause des sites de téléchargement, les hôteliers ont vu leur pratique de réservations chamboulées, les voyagistes leurs activités concurrencées par de nouveaux sites…

Tout un PAN de notre économie jadis réservée à des acteurs réglementés et parfois protégés (par des monopoles) est aujourd’hui remis en cause par de nouveaux sites qui jonglent d’ailleurs sur l’absence de réglementation pour échapper à la fois à la fiscalisation locale mais aussi aux contraintes qui s’imposent aux acteurs traditionnels. Ainsi, est-il logique que les hôteliers payent une taxe de séjour, de la TVA et toute une série de charges directes ou indirectes lorsque l’adhérent d’Airbnb n’aura à déclarer lui légalement ses revenus, sans payer de charges ni de TVA et sans être soumis aux règles de sécurité, d’hygiène, d’entretien… Il en va de même pour les chauffeurs de Blablacar, d’Uber ou tous ceux qui font vivre ces sites (qui touchent désormais l’ensemble de l’activité) de l’économie sociale ou du partage. Au final, ce sont bien les Etats qui sont pénalisés par cette absence de revenus, et si les Etats constatent ce manque à gagner, ce seront bien les citoyens que nous sommes qui auront, à terme, l’obligation de pallier aux manques de ressources de nos Etats. Chacun de nous mesure déjà les conséquences très concrètes du désengagement de l’Etat dans la santé, l’éducation, la culture, le social, etc. Nul besoin ici de revenir sur la situation de nos hôpitaux, d’étudiants ou d’élèves en manque d’affectations et de places, de centres sociaux démunis de moyens, des services publics en fonctionnement minimal. Clairement, ce qu’Internet nous offre d’une main, une évidente simplification de notre quotidien, nous le perdons de l’autre main par la rapacité de nos systèmes ultra-libéraux qui incitent nos entreprises, multinationales d’ailleurs ou pas, à optimiser leur gestion fiscale, en clair, à payer le moins d’impôts et de charges possible.

Dans ce tumulte économique, une entreprise, il y a quelques jours, a pris une décision symbolique mais qui nous concernera tous. Il s’agit du quotidien québécois La Presse, dont vous ignoriez certainement l’existence. La Presse est un quotidien fondé en 1884 à Montréal. Le journal appartient au groupe familial Desmarais, l’une des plus riches familles du Canada. Fort de plusieurs centaines de milliers de lecteurs quotidiens, La Presse a entreprise depuis 2010 une véritable révolution numérique. Sans doute, dans le monde entier, s’agit-il du cas le plus remarquable à ce propos. Après 3 ans de développement, plus de 25 millions d’euros investis, La Presse a lancé courant 2013, une application iPad gratuite. Un an plus tard, plus de 400 000 éditions numériques de La Presse +, nom de l’application, avaient été installé. Une éblouissante réussite reposant, sans doute, sur la qualité graphique de l’application autant que sur son exigence journalistique qu’elle a su préserver.  Le 16 septembre dernier, Guy Crevier, président et éditeur de La Presse a annoncé officiellement “que La Presse sera le premier grand quotidien à abandonner l’édition papier en semaine, seul l’édition du samedi continuera à être imprimé dès le 1er janvier 2016”. La Presse deviendra ainsi le premier quotidien imprimé au monde à être 100 % numérique en semaine et se positionnera comme le leader numérique de l’information au Québec. Une décision irréversible qui s’appuie sur deux constats implacables : L’économie des journaux repose sur deux sources, la publicité et les ventes, des revenus qui décroissent de façon constante et marquée depuis plusieurs années. L’industrie nord-américaine des journaux a perdu 63 %de l’ensemble de ses revenus publicitaires entre 2006 et 2013, soit 29 milliards de dollars. Et le tirage payant des quotidiens en Amérique du Nord a affiché un recul historique de 22 % au cours de la même période. Des chutes ininterrompues et désormais irréversibles.

Grâce aux larges subventions qu’elle touche, non sans arrière pensée des pouvoirs politiques d’ailleurs (mais au final, c’est bien le contribuable qui rince tout ce beau monde !), la presse française peut paraître à l’abri de cette révolution. Mais jusqu’à quand ?