Benoît Lambert vient d’être nommé directeur de la Comédie de Saint-Etienne. Il succède à Arnaud Meunier qui vogue maintenant du côté de la MC2 à Grenoble. Nous avons pu échanger quelques mots pour vous permettre d’aller à la rencontre de ce metteur en scène qui devrait nous proposer, dès que la situation s’améliorera, une programmation riche, variée, et très certainement inspirante.

Pouvez-vous vous présenter aux Stéphanois qui ne vous connaîtraient pas ?

Avec plaisir. Je suis metteur en scène et je dirige actuellement le centre dramatique de Dijon. Je connais Saint-Étienne puisque j’ai été le parrain de la promotion 25 de l’école de la Comédie, à l’invitation d’Arnaud Meunier qui venait d’arriver. Je suis venu régulièrement et qui plus est, la Comédie a accueilli quelques-uns de mes spectacles. J’ai donc pas mal fréquenté la ville et le théâtre, ce qui a beaucoup joué dans mon désir de me porter candidat à la succession d’Arnaud Meunier. C’était assez précis chez moi, s’il y avait un théâtre que j’avais envie de diriger après Dijon, c’était bien celui de Saint-Étienne.

C’est donc une vraie volonté de votre part de venir ici ?

Oui. C’est assez rare en France que le théâtre occupe une telle place. La Comédie de Saint-Étienne est un marqueur de la ville. Que le théâtre ai été à ce point adopté par la population, c’est assez exceptionnel. Quand vous arrivez à Saint-Étienne et que vous demandez à un chauffeur de taxi de vous conduire à la Comédie, on parle de Dasté tout le long du trajet, ce n’est pas anecdotique (rire) ! Il y a ici une vie culturelle extrêmement bouillonnante et foisonnante. Évidemment dans la période que l’on traverse ce n’est pas immédiatement perceptible mais il y a beaucoup d’artistes, une culture à la fois visible et souterraine, une scène musicale très développée… Je suis vraiment très heureux d’être ici ! Je viens de Dijon, qui est ma ville et que j‘aime profondément, où le patrimoine et le tourisme sont très développés, mais ce n’est pas pareil.

Comment vous êtes-vous passionné pour le théâtre ?

J’ai découvert le théâtre à l’adolescence comme beaucoup de gens. J’ai commencé à le pratiquer et à prendre des cours dans des MJC… Plus tard, à l’École Normale Supérieure, parallèlement à mes études, je suis devenu l’élève de Pierre Debauche. Un grand metteur en scène, auteur et acteur au parcours absolument incroyable et qui a été important pour moi, même si ma passion était déjà ancienne. J’ai créé une compagnie et continué à faire du théâtre comme cela puis à un moment j’ai basculé. L’activité théâtrale a pris le dessus.

Arnaud Meunier souhaitait un théâtre pour tous. Quelle est votre sensibilité sur ce sujet ?

Avec Arnaud, on a un peu grandi dans les mêmes lieux. Nous nous sommes rencontrés à Blanc Mesnil, au début des années 2000. Nos compagnies étaient en résidence à peu près à la même époque et nous avions envie de partager l’art le plus haut et pour le plus grand nombre. C’est quelque chose qui nous unit. J’ai envie de prolonger, d’approfondir tout le travail effectué par Arnaud, avec des singularités bien évidemment. Sans doute pas avec les mêmes artistes, mais avec des convictions communes, c’est sûr.

Quels sont les registres qui vous intéressent ?

La Comédie de Saint-Étienne est une grosse institution. Elle est dans une situation où elle doit couvrir tout le champ théâtral. Je n’ai pas du tout envie de défendre une seule forme de théâtre. Il faut que cela soit le plus ouvert possible, et élargir vers la danse, le cirque, et d’autres disciplines. La chose essentielle est de montrer des esthétiques très variées. Nous avons besoin de ça aujourd’hui pour se forger un imaginaire. Et aussi parce que nous avons tous des goûts et des fréquentations culturelles de nature et de formes différentes. Le répertoire doit également être capable de proposer des créations contemporaines pour des grands plateaux, des spectacles plus intimistes… Tous les théâtres pour tous les publics en somme. Il faut emmener le public à la rencontre de choses inattendues, que l’on ne pensait pas être pour soi. C’est la mission du théâtre public il me semble. Rassembler des gens qui ne se ressemblent pas, des gens qui ne pensaient pas un jour vibrer devant la même œuvre !

Concernant l’école, pensez-vous apporter un peu de changement ?

Cette école est déjà dans un processus engagé avant moi. Je souhaite bien évidemment prolonger ce travail. Elle a des particularités qui la singularisent par rapport à d’autres écoles dans ce pays. Elle s’occupe de la filière théâtrale dans toute la chaîne, de l’élève au comédien ou à l’enseignant. Nous devons assumer cette responsabilité vis-à-vis de celui qui débute, lui donner une vision, l’accompagner jusqu’au futur professionnel qu’il sera ! Je pense par ailleurs qu’il faut amplifier la présence de l’art y compris dans les écoles de la république. Cela m’importe beaucoup. D’une certaine manière la pratique de l’art peut devenir la base même de la rénovation pédagogique de l’école. Je suis plutôt optimiste car il est rare tout de même qu’un élève ne soit jamais rentré dans une institution culturelle entre la maternelle et le bac. Mais il faut amplifier cela, prolonger cet effort. D’autant plus que la jeunesse dans notre pays est dans une situation dramatique. L’attention et l’écoute que l’on porte à la jeunesse peuvent lui permettre de s’exprimer, lui donner des espaces d’expression, l’occasion de participer à la vie artistique et culturelle tout comme on doit l’inviter à participer à la vie civique. Je crois que cela change la vie de vivre avec l’art, et de fréquenter les lieux d’art. Un axe fort de mon projet est le soutien aux artistes, mais le lien avec le reste du monde, si je puis dire, est tout aussi important.

Sur le plan de la programmation, même si en ce moment c’est difficile, comment envisagez-vous la suite ?

À court terme, on réfléchit avec toute l’équipe, si l’on peut rouvrir, à faire des propositions pour le printemps pour organiser des retrouvailles qui devraient être intenses avec le public. Une fin de saison qui devrait être plus foisonnante qu’habituellement. Mais nous travaillons à l’aveugle. Nous espérons vraiment retrouver le public et permettre aux artistes de retrouver la scène et les spectateurs. C’est un premier enjeu. Pour la saison prochaine, je ne peux pas trop faire d’annonce car les choses ont rarement été aussi bouleversées. Nous sommes aujourd’hui dans une situation très spéciale. On se retrouve avec une quantité de dates annulées, pas seulement ici, mais partout en France, en Europe et dans le monde. Tout ce que l’on bâtit se fait avec prudence et précautions mais la saison se construit et j’espère vivement qu’elle se déroulera le plus normalement possible. Ce qu’il faut dire cependant, c’est que les théâtres ne sont pas fermés actuellement. Je suis très impressionné par les équipes de la Comédie de Saint-Étienne qui accompagnent les artistes en répétitions, qui gèrent les résidences, les dispositifs de médiations culturelles et d’actions artistiques… Tout cela n’a jamais cessé et c’est assez exemplaire, il faut le dire. Maintenir tous ces dispositifs avec les contraintes qui sont les nôtres demande trois fois plus de travail. Aller au bout d’un atelier, maintenir une représentation sur le temps scolaire, organiser des rencontres, permettre à des projets comme « Ensemble »,  commencé avec Arnaud Meunier et dont Eric Cantona et Rachida Brakni sont les parrains de trouver d’autres supports de diffusion avec par exemple le digital… il a fallu une mobilisation et une inventivité admirable de la part des équipes. C’est un peu injuste parce que la visibilité n’est pas la même qu’en temps normal, donc on se fait une idée fausse de la culture qui serait à l’arrêt. Ce qui est loin d’être le cas. Nous sommes toujours ouverts et toujours vivants !

Des interrogations, des regrets par rapport aux décisions gouvernementales de maintenir fermer les lieux culturels ?

C’est une question difficile, et je ne crois pas que l’on puisse y répondre vraiment. Je suis convaincu que l’on contamine peu dans une salle de spectacle. Après, on sait que ce qui est dangereux, c’est de se rassembler, de parler, de boire un coup ensemble ou de manger ensemble. C’est affreux mais c’est la réalité. Assis dans une salle, masqués, on ne risque pas grand-chose, mais ce n’est pas par  cet argument que l’on nous a fait fermer. C’est tout ce qui peut se générer autour. Ce que j’ai vécu, c’est qu’ouvrir un théâtre à la dernière minute, assister au spectacle, partir aussitôt, sans se parler, sans se poser, comment vous dire, c’est une expérience difficile. Un théâtre, c’est un lieu de vie, ce n’est pas qu’un lieu de spectacle. Sans doute qu’on aurait pu faire autrement, ou mieux ! Ce que je regrette par contre c’est que si on a autorisé des élèves à s’asseoir dans une salle de classe, je trouve très dommage qu’on ne les ait pas autorisés à s’asseoir dans une salle de spectacles qui est pour le coup plus sûre. J’espère que si les choses s’améliorent même un peu, elle pourra venir car cela ne peut que lui faire du bien.

Si la situation s’améliore, vous êtes prêts à rouvrir ?

Nous sommes prêts à jouer si au printemps nous avons la possibilité de le faire. Mais il va nous falloir du temps pour remettre la machine en marche. Je veux tout de même croire qu’on pourra rouvrir le théâtre avant la fin de la saison et retrouver les spectateurs avant l’été.

Avez-vous un projet personnel en cours ?

Je suis auteur donc je m’intéresse aux écritures d’aujourd’hui mais régulièrement j’aime faire un tour dans le patrimoine théâtral, et dans ce patrimoine, il y a un auteur qui me touche particulièrement, que j’aime parce que c’était lui parce qu’était moi comme disait Montaigne, c’est Molière. Je suis fanatique de l’œuvre de Molière que j’ai déjà monté 3 fois. Il se trouve que cet auteur est né le 15 janvier 1622. Et le 15 janvier 2022, ce sera ses 400 ans. Je pourrais bien proposer une de ces pièces !