Nous avons interrogé Gally, stéphanoise d’adoption qui vient de publier chez Delcourt avec sa complice Isabelle Bauthian une bande dessinée qui pourrait bien être reconnue d’utilité nationale. Avons-nous l’esprit critique ? D’ailleurs qu’est-ce que désigne ce terme ? Cette époque un peu folle voit grossir, notamment à travers le web, des rumeurs de plus en plus folles, le complotisme, les fakes news, et tant d’autres divagations qui, si l’on n’y prend pas garde, déroulent le tapis rouge aux populismes en tous genres. Réfléchir, trier, comparer, analyser, devrait être une règle à la fois personnelle et morale. Cet album traite donc d’un sujet sensible, mais avec beaucoup d’humour et de pédagogie. À mettre entre toutes les mains et à dévorer sans retenue !

Vous êtes libraire et également autrice de BD, peut-on connaître en quelques mots votre parcours assez atypique ?

Je suis née à Nice, j’y ai fait une école de commerce avec, à l’époque, une grosse envie de capitalisme. Lassée du soleil et du pastis je suis montée à Paris pour travailler dans l’édition et m’appauvrir. Afin de récupérer ma bonne humeur et ma capacité pulmonaire je suis partie à Brest pour être dessinatrice à temps plein et faire une dépression. C’est finalement Saint-Étienne qui me supporte aujourd’hui où je compose entre le métier d’autrice (joie) et celui de libraire (que j’adore tout autant !).

Comment est née cette passion pour le dessin et la BD ?

J’aimerais dire que j’ai toujours dessiné dans les marges de mes cahiers sous le regard courroucé de mes profs, mais non, tant pis pour l’image d’Épinal. J’aimais bien gribouiller mais la vocation est née pendant mes études, en cours de fiscalité internationale, pour tromper l’ennui. C’étaient les années où internet, et ses modems qui chantent, se faisaient une place dans nos maisons. J’ai lancé un blog BD avec mes dessins moches de l’époque et adieu le droit des affaires et le marketing. La bande dessinée, par contre, je n’ai jamais cessé d’en lire, c’est une véritable richesse.

Vous avez réalisé plusieurs albums traitant de sujets très différents, certains plus personnels que d’autres. Comment opérez-vous vos choix ?

Ils s’imposent, en réalité je ne décide pas grand-chose. À un moment donné ça claque comme une évidence, surtout quand un éditeur m’envoie un contrat juteux. (Je plaisante, les contrats juteux sont un mythe, ce métier est très ingrat et une grande partie des auteurs et des autrices vivent sous le seuil de pauvreté.)

« L’Esprit critique » vient de sortir. Comment est né ce projet ?

C’est l’éditrice qui est venue me chercher il y a 3 ans. Elle avait le scénario d’Isabelle Bauthian sous le coude et trouvait que mon dessin irait bien avec. Comme j’adore la science et que je n’ai rien compris au résumé, j’ai dit oui.

Quelles sont les grandes questions abordées ?

On parle d’Esprit critique. Il y a une citation que j’aime bien, de Gerald Bronner : « L’Esprit critique c’est apprendre à voir des problèmes là où tout le monde voit des évidences. » Contrairement aux théories du complot, c’est apprendre à réfléchir de façon rigoureuse. Connaître ses biais et vérifier ses sources. La base de la lutte contre les fakes news et les erreurs de jugement !

Quel(s) espoir(s) formulez-vous à travers ce projet ? Interpeller, questionner, distraire ?

C’est un sujet complexe, difficile à résumer et pourtant essentiel. Quand vous mettez le nez dans la liste de nos biais cognitifs ça donne le tournis, on en arrive à se demander si nous, les humains, sommes capables de raisonner objectivement. Le but de cet album est d’entrouvrir la porte sur des tas de nouvelles questions passionnantes, dont on n’avait pas conscience avant. Et si possible avec une pointe d’humour et de dérision sur nos failles, ô combien nombreuses !

Un mot sur la situation que nous traversons. Comment la vivez-vous en tant qu’autrice, ou même personnellement ?

N’étant ni malade, ni précaire, je n’ai pas à me plaindre. Auteur de BD c’est un métier solitaire donc on a l’habitude d’être enfermés. Je râle quand même intérieurement sur la fermeture des lieux culturels et j’ai hâte d’avoir à nouveau le droit d’aller boire une bière fraîche dans un bar avec des amis. (Et de ne plus porter ce fichu masque !) Fouilla… un jour, peut-être !

Des dédicaces en vue ?

À Saint-Étienne on devrait me trouver à L’Étrange rendez-vous le 27 mars à partir de 15 heures.

Un mot pour conclure ?

Et sinon, vous avez entendu parler de la colapsologie ? Ça mérite qu’on s’y penche. 🙂