Créé en décembre 2008 par l’association Alter-médias, Basta ! (www.bastamag.net) est un média indépendant et citoyen centré sur l’actualité économique, sociale et environnementale. Constitué de journalistes et de militants associatifs, Basta ! contribue à donner une visibilité aux enjeux écologiques, actions citoyennes, revendications sociales et mouvements de solidarité. Le site se définit comme une résistance qui se traduit par un engagement en faveur d’un autre monde dont les contours s’esquissent grâce à l’action et la réflexion de nombreux mouvements alternatifs présents sur tous les continents face au cynisme économique, à l’individualisme de masse et à certaines politiques destructrices. Si internet a engendré un grand nombre de réseaux dit sociaux sans intérêt mais très lucratifs pour ceux qui les ont créés, www.bastamag.net a le mérite d’offrir un point de vue alternatif, intelligent et constructif.

En octobre 2012, Basta ! publiait un article consacré à la question de l’accaparement des terres, ces appropriations de terres à grande échelle par des fonds d’investissements ou des multinationales principalement en Afrique et en Asie. L’article écrit par Nadia Djabali, journaliste et vidéaste parisienne mentionnait, entre autres, les activités du groupe Bolloré, via une holding luxembourgeoise, la Socfin, dans laquelle le groupe français possède de fortes participations. La Socfin détient de multiples filiales qui gèrent des plantations d’hévéas et d’huile de palme en Afrique et en Asie. Socfin est présent dans 92 pays dont 43 en Afrique, contrôle des plantations ainsi que des secteurs stratégiques et pas moins de 13 ports, dont celui d’Abidjan. Ses pratiques ont fait l’objet de nombreuses critiques de la part des populations locales et d’organisations internationales. Le groupe Bolloré a estimé diffamatoire plusieurs paragraphes, le titre (« ces groupes Français champions de l’accaparement de terres ») ainsi que le surtitre de cet article « alors que 868 millions de personnes souffrent de sous-alimentation, l’accaparement de terres agricoles par des multinationales de l’agrobusiness ou des fonds spéculatifs se poursuit (…). Plusieurs grandes entreprises françaises participent à cet accaparement avec la bénédiction des institutions financières », et ont donc porté plainte contre le site, son directeur de publication et ses journalistes.

Inutile d’évoquer ici la disproportion de moyens, financiers et juridiques, entre le groupe industriel français, l’un des fleurons de notre économie, et ce site citoyen alternatif. Une disproportion qui aurait dû avoir, on s’en doute, valeur d’exemple pour tous ceux qui auraient eu un jour la volonté ou l’audace d’enquêter sur les pratiques de ce groupe aux ramifications africaines puissantes et fructueuses. En effet, le Groupe Bolloré a également poursuivi le site www.rue89.com et son directeur de publication Pierre Haski, qui avait cité l’article dans sa revue de presse « le meilleur du web », la journaliste Dominique Martin Ferrari, qui avait cité l’article sur son site « scoop it » (Options Futurs) ainsi que trois autres personnes ayant partagé l’article sur leurs blogs (Thierry Lamireau, Laurent Ménard et Guillaume Decugisés).

Après de longs mois de procédures, la 17e chambre du Tribunal de grande instance de Paris a débouté le Groupe Bolloré de sa plainte et relaxé toute l’équipe de Basta ! ainsi que tous ceux qui étaient visés par la dite procédure. Le Tribunal a reconnu que le sujet abordé « consacré à un problème aussi essentiel que l’exploitation des terres agricoles en Afrique et en Asie et son impact sur les populations et l’environnement » présentait incontestablement un caractère d’intérêt général. Les juges ont aussi reconnu « le sérieux de l’enquête » et « la prudence dans l’expression » au regard « de l’existence d’une base factuelle suffisante pour étayer les propos poursuivis », les informations sur lesquelles s’appuie l’article, et de « l’impératif du débat démocratique ». Lors d’une précédente audience (11 février), l’avocat du groupe Bolloré avait contesté l’influence décisive que le groupe Bolloré exerçait sur sa holding luxembourgeoise Socfin. Si les sociétés citées dans l’article, en l’occurrence la Socfin, basée au Luxembourg, et ses filiales en cascade gérant les plantations, sont « juridiquement distinctes de la société Bolloré, et ne sont pas au sens du droit des sociétés, ses filiales, […] il n’en demeure pas moins qu’elle [la société Bolloré] est le plus gros actionnaire de la Socfin », observa le tribunal. « La société Bolloré est perçue au même titre, voire davantage que la Socfin, comme l’interlocuteur naturel à la fois des personnes s’estimant lésées et des institutions internationales ». Le tribunal n’a donc tenu aucun grief aux journalistes de Basta ! pour « avoir employé dans leur sens générique et non strictement juridique des termes filiales, groupe Bolloré ou empire Bolloré ». Le Groupe Bolloré dispose d’un délai de dix jours (après le 14 avril) pour faire appel du jugement.

Ce dénouement favorable (qui rappelle l’affaire Clearstream vs Denis Robert) intervient au moment même où le Parlement européen, au grand dam de journalistes, de lanceurs d’alerte et d’ONG, échaudés par le récent scandale des « Panama Papers », vient d’adopter une résolution soutenue par le Commissaire Européen (Français) au Marché Intérieur Michel Barnier, visant à instaurer un socle juridique européen pour lutter contre l’espionnage industriel et protéger l’innovation. Ce vote a provoqué une levée de boucliers des nombreuses organisations syndicales et ONG européennes, inquiètes pour le respect des libertés fondamentales et survient juste avant l’ouverture du procès ce 26 avril à Luxembourg, du lanceur d’alerte Antoine Deltour, à l’origine des révélations « LuxLeaks ». A. Deltour et deux autres hommes dont le journaliste français Édouard Perrin sont inculpés pour avoir divulgué des centaines de documents confidentiels sur le traitement fiscal des multinationales installées au Luxembourg. Ces documents concernaient des rescrits fiscaux accordés par l’administration et négociés par la firme « PwC » pour le compte de ses clients. On le voit la lutte contre la liberté d’information et les pratiques « amorales » à défaut d’être « illégales » est loin d’être gagnée…

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