Depuis le 1er octobre dernier, Aurélie Voltz est la nouvelle directrice du Musée d’Art Moderne de Saint-Étienne Métropole. Musée qui, au passage, fête son 30ème anniversaire. C’était donc bien le bon moment pour la rencontrer :

Parlez-nous de votre parcours ?

J’ai réalisé des études d’histoire de l’art à l’École du Louvre à Paris. J’ai ensuite intégré la Galerie Durand-Dessert, toujours à Paris, en tant qu’assistante. Je parle de cette galerie car elle est liée au Musée d’Art Moderne de Saint-Étienne Métropole… Je veux dire par là qu’à l’époque déjà, j’avais une très belle impression du MAM. Par la suite, j’ai travaillé au sein du Musée d’Art Moderne de la ville de Paris, dans la section Art Contemporain, l’Arc. Nous travaillions beaucoup autour des scènes émergentes. J’ai participé à l’ouverture du Palais de Tokyo avec Jérôme Sens et Nicolas Bouriot, j’y suis restée jusqu’en 2004 en tant que commissaire d’exposition. Je suis complètement parisienne et j’ai eu alors besoin de couper le cordon avec Paris. Je suis allée à Berlin, qui était à l’époque une plaque tournante de la scène artistique. J’ai travaillé en tant que commissaire indépendante jusqu’en 2010. Je réalisais des expositions dans différents lieux. J’ai pu rencontrer beaucoup d’artistes, des galeries, des critiques d’art… C’est après cette expérience en Allemagne que j’ai pris la direction des Musées de Montbéliard. Ce fut ma première véritable direction. Cette fonction m’a permis d’aborder toute l’histoire de l’art, de la paléontologie jusqu’à l’art contemporain en passant par les sciences naturelles ou l’archéologie.

Vous avez donc eu une expérience en dehors du secteur public ?

Oui, mais cette expérience fut assez courte. Je me suis rendue compte en fait que le marché de l’art n’était pas du tout mon domaine, en revanche je me sentais totalement en phase avec l’idée de service public propre aux musées.

Avez-vous un souvenir nostalgique de l’École du Louvre ?

Oui, je garde un très grand souvenir des cours délivrés par Bernard Blistène notamment, qui dirige aujourd’hui le Centre Pompidou. C’est vraiment grâce à ses cours que je me suis complètement ouverte à l’art contemporain. Ce fut comme une révélation.

Vous aviez déjà une idée au sujet de la ville de Saint-Étienne ?

Pas spécialement. Cependant, tout au long de mon parcours, je n’ai cessé de rencontrer des artistes qui eux me parlaient de Saint-Étienne, en bien, toujours. Il y avait toujours de la tendresse et de l’affection dans leurs mots. Je pense notamment à Damien Deroubaix, Armando Andrade Tudela…

Vous êtes stéphanoise depuis le mois d’octobre. Quelles sont vos premières impressions de la ville ?

Mon premier ressenti avec la ville… J’ai l’impression que la ville est jeune, dynamique, elle est portée vers l’avenir avec un vrai désir de reconstruction. On sent bien le poids de son histoire minière, d’une industrialisation disparue… et cela m’intéresse énormément. Ce passé est d’autant plus fort fort qu’il aide à envisager un avenir porteur. Les directions qu’ont prises cette ville et ce territoire sont importantes parce qu’elles s’organisent autour d’une idée de la culture qui donne une identité forte à la fois à la ville et au territoire. J’ai aussi l’impression que les choses sont à construire ensemble, pas seulement au musée mais aussi avec les partenaires sur le territoire et cela m’intéresse beaucoup. Moi, je ne me sens pas comme une entité isolée. Il faut que l’on renoue avec cette volonté de faire partie d’un ensemble culturel qui collabore, partage et s’ouvre.

Comment vous positionnez-vous par rapport à l’histoire du musée ?

Il s’agit d’appropriation je crois, à la fois d’une histoire mais aussi d’un lieu qui a beaucoup d’atouts. Ce lieu a été très incarné par différents directeurs. Il faut faire avec cette histoire et construire un futur avec ma propre identité. Il faut donc tenir compte de ce qui a été fait avant, de l’identité du musée, pour construire quelque chose de neuf dans la continuité. Il faut y mettre beaucoup de savoir-vivre. En fait, il me faut comprendre pour construire. Comprendre où on est, avec qui on travaille, comment on travaille, le sentiment d’appartenance à un lieu est essentiel pour essayer de construire quelque chose. C’est ça, le sens de l’appropriation dont je parle.

À une époque, on considérait le MAM de Saint-Étienne comme le second musée d’art moderne français. Est-ce toujours le cas aujourd’hui ?

Tout dépend par quel biais on considère cette idée de classement… Si l’on prend en compte uniquement le numéraire, le nombre, nous restons largement dans le peloton de tête des meilleurs musées d’art contemporain français. Parfois, le musée n’a pas toujours eu les moyens de ses ambitions. Nous restons un peu en deçà au niveau de l’équipe scientifique, par exemple. Il y a eu ici jusqu’à 5 conservateurs et il y a aujourd’hui à reconstruire cette unité de recherche. C’est aussi ça, un musée, montrer comment on peut innover si on veut rester en tête de ce classement.

Selon vous, le territoire a-t-il les moyens de ses ambitions ?

En tout cas, il a des ambitions. Maintenant, les lignes de conduite restent à écrire. Les volontés sont là, on ne peut pas ignorer les réalités économiques, c’est évident, mais je crois qu’il faudra se concentrer sur les missions principales du musée. Un musée n’est pas un centre d’art, un musée c’est aussi une unité de recherche et de création. Il faudra sans doute être moins dans une succession d’expositions à grands coups pour travailler sur des projets plus resserrés et plus qualitatifs.

Le musée doit-il prendre en compte l’évolution des moyens numériques ?

Forcément, un musée doit vivre avec son temps. Il doit systématiquement se réinventer pour diffuser ses activités et ses collections. Cela fait partie de la vie normale d’un musée. Le numérique ne doit pas changer le musée mais le musée doit changer avec l’arrivée du numérique. Je vois ça comme une nouvelle opportunité.

À terme, il serait donc possible de faire des visites virtuelles ?

Sans doute. Dans une certaine mesure, oui. Mais un musée ne peut pas être que virtuel. Nous devons trouver la bonne mesure entre notre présence sur les réseaux sociaux et notre présence au sein du musée. Cela n’a rien à voir. Les œuvres doivent être vues, avant tout.

Les artistes se sont bien emparés du numérique…

Bien sûr mais pour créer des œuvres numériques. Ces créations sont numériques à part entière, ce sont des œuvres d’art. Elles existent et sont montrées en tant que telles. Elles ont bien leur identité artistique. Il faut dissocier cela. On s’aperçoit dans la réalité que le numérique est devenu un nouveau support de création. En ce sens, il a changé le mode de production des artistes. En même temps, d’autres artistes, face à cette tendance que l’on voit croissante, décident de revenir à des techniques et des usages plus traditionnels. On assiste notamment aujourd’hui à une forme de retour aux créations textiles, céramiques… On revient aussi à ce travail complètement manuel. Presque historique. Ces deux canaux se complètent en fait.

Parlons de ce 30ème anniversaire…

Nous voulons réellement mettre au centre de cet anniversaire le point fort du musée, c’est-à-dire sa collection extraordinaire. 30 ans, c’est le bon moment pour prendre du recul sur tout ce qui s’est passé au musée. Le MAM de Saint-Étienne a été réellement précurseur et tout le monde envie sa collection ! Nous voulions également mettre en lumière un certain nombre de projets numériques, être présents hors les murs. Ce n’est pas nouveau en soi, mais nous voulions marquer le coup avec d’autres communes, notamment par des expositions de photos d’Yves Bresson, de très beaux portraits d’artistes, des livres de Le Corbusier, nous voulions cette présence sur l’ensemble du territoire. Ce sera le début de ce que je voudrais développer. Aller vers ce public qui ne vient pas naturellement au musée. Aller au-devant des publics, être présent dans les milieux hospitaliers, et toucher le public empêché.

Il y aura des temps forts…

Les 8 et 9 décembre en effet, dates clés de 1987. Durant le week-end, le musée sera gratuit pour tout le monde, nous organiserons des visites contées, chorégraphiées… Je voudrais également insister sur tous les autres temps forts proposés tout au long de l’année 2018 qui s’appuieront exclusivement sur des artistes stéphanois. C’est aussi cela, l’anniversaire, montrer toute l’influence du musée à travers trois parcours d’artistes, Othoniel, Deroubaix et Jouve. Ce sont aujourd’hui trois artistes importants en France et ils sont stéphanois.

Des animations ont déjà commencé ce mois de novembre…

Nous constatons un bel accueil avec plus de 3 500 visites en trois semaines. Un public qui peut-être ne venait plus au musée et qui veut le redécouvrir, un public d’entreprises également.

Les aides de l’état vont diminuer à terme…

Sans doute, mais il faut bien dire que la politique d’acquisition est maintenue ici. Ce qui n’est pas le cas partout. Nous avons la volonté de poursuivre cet effort. La volonté des élus est que le musée fasse partie de la politique culturelle globale de la ville, cela me paraît une attente tout à fait logique et normale. Nous devons associer le musée à d’autres structures, ce que nous faisons notamment avec la Cité du design. Globalement, je sens ici une volonté politique d’accentuer la dynamique locale. C’est essentiel à leurs yeux. Cela fait partie de l’image de marque du territoire. L’État ou la région, c’est encore autre chose mais le plus important c’est bien cette volonté localement de faire bouger les lignes.

On note, à la tête de nombreuses institutions culturelles locales, un rajeunissement et une féminisation… Cité du Design, Musée d’Art et d’Industrie…

Nous sommes effectivement dans un renouvellement à la tête des grandes institutions culturelles de la ville. C’est donc le moment ou jamais de bien faire bouger les lignes. Nous pouvons écrire de nouvelles choses ensemble. En 2017, au regard de ces nouvelles réalités économiques justement, nous ne pouvons plus rester isolés dans notre coin. Il faut aller vers cette transversalité, oui. L’inverse n’aurait aucun sens.

Quelles sont vos ambitions à moyen terme ?

Il faut savoir que je débuterai réellement la programmation qu’à partir de 2019, toute la programmation de l’anniversaire notamment ayant été réalisée avant mon arrivée. Je voudrais m’inscrire dans une forme de continuité du travail accompli par Martine Dancer, dans sa façon de mettre en avant la collection et de lui donner une entrée immédiate et directe dans le musée. Les expositions, je pense, doivent être une émanation de la collection. Les deux doivent dialoguer systématiquement. Une exposition doit être liée à la collection. Nous présenterons des rétrospectives d’artistes contemporains avec une belle carrière, des artistes plus émergents aussi, des figures modernes, c’est essentiel, pour assurer notre crédibilité artistique, et travailler sur des expositions thématiques et chronologiques. Par exemple, je pense développer une exposition autour des symphonies industrielles. Qu’est-ce que l’histoire de l’industrie et comment peut-elle influencer les artistes, stéphanois ou non ? Beaucoup d’artistes travaillent autour de ces notions d’industries et de technologie. Assez rapidement, je veux m’intéresser également aux artistes émergents présents sur le territoire. A l’intérieur du musée, sans doute, mais pas seulement…