Depuis toujours au presque, l’Arabie Saoudite et la France nourrissent des liens privilégiés. Dès la fin des années 90, le Président Jacques Chirac élaborait avec son ami personnel, le Roi Abdallah, un « partenariat stratégique » entre les deux pays. Ce partenariat reposait alors sur trois piliers : une convergence de vues sur la situation politique au Proche et Moyen-Orient, des échanges commerciaux importants et une coopération scientifique et technique en développement. Sur le plan politique, nos dirigeants respectifs ont sagement élaboré des rapports étroits fondés sur une vision commune de la stabilité de la région. Ainsi la France soutiendra dès l’origine l’initiative du Roi Abdallah de mars 2002 pour la paix au Moyen-Orient, bientôt reprise par la Ligue Arabe. Une initiative qui restera cependant vaine dans cet océan d’incompréhension qui semble séparer Palestiniens et Israéliens aujourd’hui… Dans le même état d’esprit, Laurent Fabius, alors Ministre des Affaires Étrangères, pèsera de toute son inertie pour freiner l’accord sur le nucléaire entre la communauté internationale, dont notre allié historique les États-Unis en quête de nouvelles alliances stratégiques dans la région, et l’Iran, ennemi héréditaire de l’Arabie Saoudite. La politique étrangère de nos amis Américains n’a jamais fait dans le sentimentalisme, les Saoudiens semblent le découvrir à travers la tentative de rapprochement de la diplomatie Américaine avec l’ennemi historique Perse et Chiite. Sur le plan économique, l’Arabie Saoudite est le premier partenaire commercial de la France dans la région avec des échanges de 5 à 6 milliards d’euros par an. Ces échanges reposent sur des biens stratégiques pour l’un comme pour l’autre : l’Arabie Saoudite est le 3ème fournisseur pétrolier de la France qui est l’un de ses principaux fournisseurs d’armement afin d’assurer la sécurité du Royaume. En s’imposant en outre comme le premier financeur de l’Armée Égyptienne (une aide qui porte sur des dizaines de milliards de dollars cumulées), le Royaume d’Arabie exporte sa diplomatie et facilite les relations commerciales entre l’Égypte et la France (avec à la clé l’achat de 24 Rafales et des deux navires Mistral, initialement vendus à l’Armée Russe par l’Armée Égyptienne).

Il faut donc appréhender la remise, le 4 mars dernier, de Légion d’Honneur, plus haute distinction nationale, par notre Président François Hollande au Prince héritier Mohamed Ben Fayed comme la conséquence naturelle des liens qui unissent nos deux nations. Une sorte de prix à payer ou un juste retour des choses… Peu importe au fond que l’Armée Saoudienne procède depuis de long mois à un blocus du Yémen qui condamne une partie de la population à la famine, qu’importe au fond si l’aviation saoudienne s’emploie méthodiquement à détruire le patrimoine architectural de ce pays si beau… Qu’importe au fond si, depuis le début de cette seule année la justice Saoudienne a prononcé et exécuté plus de 70 des condamnations à mort pour le seul « crime » d’apostasie. Qu’importe au fond si au Royaume des Saoud, la femme ne peut toujours pas conduire de voiture ni aspirer à la moindre liberté individuelle. Qu’importe au final que nous traitions business avec une théocratie dictatoriale à partir du moment où son régime accepte de faire tourner nos usines ou remplir notre portefeuille de commandes. Il serait malhonnête de faire porter ce lourd fardeau hypocrite au seul François Hollande alors que depuis la seconde guerre mondiale le pays des Droits de l’Homme montre son infinie capacité à commercer avec les plus tyrans de la planète. Faut-il rappeler à l’opposition que Nicolas Sarkozy avait invité Bachar al-Assad, le soi-disant « boucher de la Syrie », à la tribune du 14-Juillet 2008 (il n’y a pas si longtemps…), et Mouammar Khadafi à planter sa tente, quelques mois auparavant, dans la résidence officielle de l’Hôtel Marigny à Paris (avant de signer son arrêt de mort quelques années plus tard) ?

Outre le fait que durant la campagne présidentielle, François Hollande avait juré de faire coïncider éthique et politique, mais les promesses n’engagent-elles pas uniquement ceux qui les croient ?, cette remise de la Légion d’Honneur au Prince héritier fait injure au peuple de France pour trois raisons essentielles : Ce sont bien des hommes de paille placés au plus proche du pouvoir Saoudien qui financent, à grands coups de centaines de millions ou de milliards de dollars, et ce depuis des décennies déjà l’Islamisme radical, de Ben Laden jusqu’à Daech, dans l’espoir de justifier son rôle incontournable auprès des nations Occidentales. Ensuite, la discrétion dans laquelle s’est faite cette remise de médaille insulte la présidence « normale et transparente » prônée par notre président de la République au cours de sa campagne. Enfin, cette remise se produit seulement 24 heures après la parution d’une l’interview de notre Président au magazine « Elle », fer de lance du féminisme à la française, dans laquelle nôtre président se déclare farouchement féministe. Qu’en penseront les Saoudiennes qui se battent depuis des décennies pour obtenir quelques droits humains élémentaires… ?