Depuis son arrivée en janvier 2011, Arnaud Meunier a entrepris un gros travail de redynamisation au sein de la Comédie de Saint-Étienne, belle endormie que l’on croyait tombée dans un coma après le passage délicat des deux co-directeurs, François Rancillac et Jean-Claude Berutti. La saison dernière, forte de plusieurs créations applaudies jusqu’aux scènes Parisiennes les plus prestigieuses, a permis à l’institution Stéphanoise de retrouver un standing à la hauteur de ses ambitions. Rencontre avec un artiste attachant et très efficace :

La période d’abonnement à la Comédie de Saint-Étienne touche à sa fin. Où en est-on plus exactement ?
Réponse Arnaud Meunier : Nous avons terminé la « Saison 3 », 2013-14, en atteignant des fréquentations que la maison n’avait plus connu depuis plus de 10 ans, et les premiers chiffres d’abonnement que nous avons pour cette nouvelle « Saison 4 » 2014-15, sont supérieurs à ceux de la saison passée, c’est dire s’ils sont bons et s’ils nous ravissent. Nous sommes portés par une vraie dynamique, nous le sentons bien, par les retours des spectateurs bien sûr mais aussi par les échos des médias… Lors du dernier festival d’Avignon, certains spectateurs portaient un badge indiquant « J’ai vu Henri VI », un spectacle qui dure 8 heures, je me suis demandé si nous n’allions pas sortir ici un badge indiquant « Je reviens à la Comédie »… Cette phrase, c’est indéniable, nous l’entendons beaucoup.

Cela vous rassure, je suppose ?
Je termine mon premier mandat, qui portait sur une durée de 4 ans. C’est le moment où l’on peut faire aussi une sorte de premier bilan et là, on s’aperçoit qu’on se situe à une période de bascule, de changement. Je commence à tracer des lignes de perspectives pour le second mandat qui arrive. Cette reconnaissance est rassurante d’un point de vue personnel mais elle est le fruit du travail que nous avons mené avec toute l’équipe de la Comédie. L’équipe de la Comédie a vu mon arrivée d’un bon œil et j’ai, dès le départ, été porté par cet enthousiasme. Charge à moi, ensuite, de confirmer cet enthousiasme en réalité. C’est ce qui s’est produit je crois tout au long de ce premier mandat. Nous avons la chance de constater que nos orientations se traduisent par un soutien évident du public à travers ces hausses de fréquentations très sensibles. C’est très rassurant, oui.

Tellement rassurant que tu es devenu une sorte de tête de gondole lorsqu’il s’agit pour les médias nationaux d’évoquer Saint-Étienne… On a beaucoup parlé de toi…
C’est important, de mon point de vue, d’être un acteur à part entière du renouveau de l’image de Saint-Étienne. La Comédie va être reconstruite sur le site de la Plaine Achille, et c’est important de marteler que dans l’ADN de Saint-Étienne, on trouve le Foot, évidemment, le Design associé à l’Art Moderne, mais au même titre que le Théâtre. On ne l’avait pas assez dit. C’est pourquoi nous continuons à faire passer ce message, le théâtre fait partie de l’ADN de cette ville. De par l’histoire de Jean Dasté mais aussi à travers le rayonnement du centre dramatique. Après il faut bien admettre que la saison passée a été très forte en matière de fréquentation et de création. Les 5 productions que nous avons créées ont toutes connu le succès, cela génère des retombées médiatiques, d’autant qu’elles ont été jouées à Paris, pendant près de 4 mois non-stop.

On a beaucoup parlé de la Comédie de St-Etienne dans les milieux culturels nationaux…
Les plus anciens salariés de la Comédie m’ont avoué qu’ils n’avaient jamais connu ça ici… Cette « Saison 3 » correspondait précisément au projet que je souhaitais mettre en place, seulement, avant d’accéder à cette saison, il nous fallait passer par des étapes indispensables de transition. Il nous fallait remettre le bateau à flot puisque nous étions en difficulté. Il fallait retrouver de l’oxygène avant de repartir sur ce projet.

Le succès dont on parle a été incarné par les deux pièces que tu as mises en scène et qui ont été écrites par un jeune auteur Italien Stefano Massini…
« Chapitre de la Chute » a connu un succès très inattendu, c’est vrai. L’auteur était inconnu en France, la distribution sans vedette nationale avec 3 h 30 de théâtre autour de la finance… Rien ne prédestinait cette pièce à connaître ce succès. Ce succès nous apprend que le public a envie d’un théâtre en lien direct avec le monde tel qu’il est actuellement. Je porte cette conviction depuis toujours et il est rassurant qu’elle soit partagée avec le public. Pour avoir un public d’aujourd’hui, il faut monter des pièces qui parlent d’un théâtre d’aujourd’hui. Nous nous sommes clairement positionnés à Saint-Étienne comme étant le CDN qui fait le plus d’auteurs vivants en France. Sur cette saison, nous en présenterons 28 ! Cet engagement ne s’arrête pas à la programmation puisque nous sommes aussi un lieu de recherche et de création et nous sommes repérés comme tel. On parle de S. Massini, mais on peut évoquer Manolis Tsipos, que les élèves de la Comédie ont joué au dernier festival d’Avignon, avec succès, Marion Aubert, François Bégaudeau, Pauline Sales… Il s’agit avec ces auteurs de commandes passées ici dans le cadre de la Fête du Livre ou dans le cadre de partenariat avec notre école. Ces projets sont ensuite édités et traduits. M. Aubert a été traduite en anglais, elle a été jouée à San Francisco, Riad Gahmi a été traduit en Anglais et monté à San Francisco, je pars à Shangaï en novembre prochain pour présenter l’écriture de Michel Vinaver… Nous mettons en place les moyens de faire parler de ces auteurs et de notre travail à St-Etienne.
Il y a eu, en parlant de M. Vinaver, un documentaire qu’on a vu récemment sur France 2 au sujet de la pièce autour du 11 septembre que tu avais mis en scène avec des lycéens de Seine-Saint-Denis…
Tout cela nous aide. Les élus comprennent plus facilement notre travail et voient la portée de notre visibilité médiatique. À titre informatif, on a parlé de nous dans TGV Magazine en mai dernier, et ce n’est pas anodin. On nous reconnaît et on apparaît en tant qu’ambassadeur de la ville. Ce que nous assumons. Je ne cache pas que lorsque je suis arrivé à Saint-Étienne, ce message était plutôt compliqué à faire passer.

Peux-tu me parler de cette expérience avec des lycéens de Seine-Saint-Denis, à travers la pièce « 11 septembre 2001 »…
Cette création symbolise les idées que je porte depuis toujours. Je suis issu d’un milieu modeste où la culture et le théâtre n’étaient pas très présents. Personne n’est artiste dans mon cercle familial. J’ai grandi dans un petit village des Charentes, sans théâtre ni lieu culturel. Je sais comment la rencontre avec un professeur de Français par exemple ou l’ouverture d’une classe de théâtre dans un lycée, peut ouvrir des portes et changer la vie. Je veux transmettre aux autres ce que j’ai reçu. Cette volonté de transmission est au cœur de mon projet théâtral. Cette création était symbolique parce que nous avons travaillé, pendant près d’un an, ce projet étant porté par ma compagnie « La Mauvaise Graine », avec une cinquantaine de lycéens de Seine-Saint-Denis. J’ai été nommé à Saint-Étienne alors que nous répétions cette pièce. Symboliquement, il m’a paru intéressant d’ouvrir « ma première » saison à la Comédie de Saint-Étienne par cette création. Aujourd’hui, il reste deux choses de cette belle expérience. Les artistes programmés qui agissent sur le territoire auprès des associations, de la prison ou des établissements scolaires, sont ceux-là que l’on retrouve ensuite sur les plateaux. Il n’y a pas d’un côté les soutiens de l’action culturelle et les artistes d’une élite qui auraient le droit aux feux de la scène. Nous avons mis en lien le partage avec les populations et la création artistique. La seconde chose touche à l’école de la Comédie qui vient de lancer une classe préparatoire intégrée réservée à des jeunes issus de la diversité. Nous mettons en œuvre la véritable égalité des chances. Nous avons choisi des jeunes, cinq élèves cette année avec l’aide de la Région Rhône-Alpes, et nous leur donnons, pendant un an, les moyens matériels et culturels de préparer le futur examen d’entrée aux écoles supérieures d’art dramatique. Le choix s’opère en fonction de critères sociaux. C’est une première en France. Nous devons encore trouver d’autres financeurs qui permettront d’accompagner l’engagement de la région.

Tu as souhaité, durant ce premier mandat, ouvrir l’accès de la Comédie à de jeunes créateurs…
Tout à fait, j’ai souhaité la mise en place du partage de l’outil. Nous avons parlé plus haut des deux Massini, mais on pourrait parler du « Mobydick » de Mathieu Cruciani, Cie The Party, du spectacle de Scali Delpayrat, « Scène de la vie d’un acteur » de Denis Podalydès… Dans tous ces cas, nous avons proposé autre chose qu’une simple mise en scène, avec un vrai accompagnement autour de ces créations. Au bout de 4 années de direction, j’ai utilisé pour mes propres mises en scène 8 % du disponible artistique du CDN. C’était pour moi important d’illustrer ce partage de l’outil de travail de notre maison. Sur la saison à venir, je ne fais pas de nouvelle création. Nous travaillons plutôt à diffuser les créations de la saison dernière. Je mettrais en scène un des épisodes du projet du Docteur Camisky, plus modestement. À la place, nous coproduisons 10 spectacles.

J’imagine que tu précises ces données pour mieux te démarquer de ce qui se faisait avant…
Exactement. Je ne vise pas spécialement ce qui se faisait ici à Saint-Étienne mais plutôt de ce qui se faisait partout en France dans tous les CDN… Avant, il y avait une mise en avant très prononcée du travail des directeurs… Mais avec l’arrivée d’une nouvelle génération de directeurs, on assiste peu à peu à un changement de mentalité. Il suffit de voir ce que font Richard Brunel à Valence ou Pauline Sales et Vincent Garanger à Vire… Nous avons à cœur de partager les outils de la création.

Puisque tu évoques cette ancienne génération, on constate que d’autres directeurs de centre dramatique ou de théâtre ont du mal à « lâcher l’affaire » et à passer la main…
Je dirai qu’on passe difficilement la génération des fondateurs. Il suffit de voir dans les centres chorégraphiques, la question se pose aussi avec des artistes qui ont fondé ces centres… Pour ces gens, la question d’un mandat avec un terme ne se posait pas spécialement. Ce n’est plus le cas, je crois, grâce au renouvellement générationnel. Nous avons tous en tête que nul n’est propriétaire de son « CDN ». Et qu’il faudra passer la main ensuite. Lorsque j’ai été nommé ici, dans mon projet figurait la volonté de bouger les lignes. De renouveler l’image de la Comédie mais aussi des CDN, je constatais un certain nombre de persistances de cette idée d’outil accaparé par l’artiste directeur. Je voulais une diversité des esthétiques avec comme point constant la qualité du travail.

Paradoxalement, tu confirmes cette ouverture et ce partage de l’outil de création mais c’est quand même toi qui es mis en avant lorsqu’on évoque le succès de la Comédie…
Cette personnalisation est très liée à l’idée du chef de troupe… À partir du moment où cette personnalisation que tu évoques bénéficie à l’ensemble de la maison, elle amène une dynamique à toute la Comédie. Et comme elle amène une dynamique à la Comédie, elle constitue un élan aux compagnies Stéphanoises et à tous ceux qui travaillent ici. Il suffit de constater le nombre de projets qu’on nous propose, ce nombre explose littéralement. Je m’en suis inquiété à un moment donné, de cette hausse du nombre de projets qu’on nous proposait, mais je pense qu’il faut voir à travers cela un côté positif, de plus en plus de monde veut se produire à la Comédie.

Parmi les temps forts de la saison à venir, le projet « Docteur Camisky ». L’idée est de transposer la réussite des séries télé au théâtre ?
Il s’agit d’une aventure singulière. C’est une écriture à quatre mains et deux auteurs, Pauline Sales et Fabrice Melquiot, qui s’inspire en effet des séries télé, d’une plus particulièrement, « In Treatment » avec Gabriel Byrne. Curieusement, plusieurs théâtres envisagent ce type de dispositif sériel en même temps… L’idée c’est aussi de toucher de nouveaux publics, plus jeunes, celui des étudiants notamment. Ce projet est une coproduction à 6 centres dramatiques, c’est l’occasion de mutualiser des forces et des moyens. Il y a un acteur récurrent, Vincent Garanger, codirecteur du Préau à Vire qui sera dirigé par un metteur en scène différent par épisode avec des acteurs différents provenant des CDN coproducteurs à chaque épisode. La règle commune à chaque épisode impose une même scénographie, le même éclairagiste et le même ingénieur son. Il s’agit d’une contrainte artistique forte mais excitante. Il faut se rappeler que John Cassavetes avait mis en scène des épisodes de la série « Columbo », que chacun de ses épisodes restaient fidèles à la philosophie de la série et qu’en même temps, on pouvait très bien deviner la touche Cassavetes derrière les épisodes qu’il réalisait. Cette expérience montre que les CDN peuvent sortir des sentiers battus et proposer des formats différents peut-être plus à l‘écoute de leur temps. La compagnie de Pauline Bureau a intégré ce projet, nous voulions avoir une patte féminine dans la mise en scène car au moment où ce projet a été initié aucun des CDN engagé n’était dirigé par une femme…

Le souci d’égalité n’a jamais intéressé le théâtre…
Nous essayons ici à Saint-Étienne d’aller de plus en plus vers cette forme d’égalité…

Peu de femmes dirigent des CDN…
La ministre a beaucoup insisté pour rétablir cette forme de parité… Il y a donc eu quelques nominations. Mais vu qu’on partait de très loin, on doit être dans une proportion de trois quarts/un quart.

Le théâtre a toujours été à l’avant-garde de l’égalité, de la diversité, de la liberté… alors qu’il fait figure de mauvais élève en vérité…
Il faut préciser qu’on constate, heureusement, une nette évolution dans la nomination des femmes au sein des théâtres ou des CDN… Mais c’est vrai que nous partions de très bas. Après, je crois qu’il faut aussi incriminer ceux qui ont nommé les directeurs, c’est-à-dire, les organismes de tutelles dont le Ministère de la Culture. Les jurys ont encore tendance à considérer que les postes à haute responsabilité doivent aller plutôt à des hommes… Sur la question de la diversité, là aussi les choses ont évolué ces dernières années. On constate l’arrivée, dans les écoles supérieures d’art dramatique, d’une nouvelle génération d’élèves, et cette évolution, forcément, se concrétisera dans quelques années. Après, je crois qu’avec les dernières nominations, dont S. Nordey à Strasbourg, cette attention portée à la diversité sociale des élèves sera encore plus renforcée.

La danse contemporaine est plus avancée dans la diversité que le théâtre, pourquoi ?
Il y a eu peut-être l’influence du hip-hop, qui a amené des artistes originaires des quartiers notamment, mais je crois que la danse contemporaine s’est émancipée de la danse classique depuis longtemps déjà … On ne retrouve pas la barrière de la langue ou de la parole. Quoiqu’on dise, le rapport à la parole et/ou au texte est très clivant socialement.

Je ne reçois pas forcément cet argument, désolé…
Pourtant, on le constate souvent, cette problématique du rapport à la parole et au texte. C’est une des raisons pour lesquelles les jeunes issus des milieux défavorisés ne vont pas forcément vers le théâtre parce qu’ils vivent le théâtre comme une discipline excluante à cause du texte. Ce problème n’intervient pas dans la danse.

Combien de spectacles cette saison ?
Une quarantaine dont 28 auteurs vivants. Je constate que nos spectateurs ont pris goût à ces propositions. Lorsqu’on regarde quels sont les spectacles les plus prisés par nos publics, on découvre qu’il ne s’agit pas des grands classiques. Nos récentes créations les ont convaincus de la pertinence de cette écriture contemporaine. Je crois que le fait que ces auteurs soient présents au quotidien dans nos murs et à travers différentes formes de médiation sur l’ensemble du territoire, incite plus facilement le public à franchir le pas. Je crois beaucoup en cette présence régulière.

Cette ouverture vers l’écriture contemporaine n’est pourtant pas reprise au sein de l’éducation nationale…
Je pense qu’il y a là quelque chose de l’ordre de la régression. J’ai l’impression que la dernière grande ambition au sein de l’éducation nationale date du dernier grand plan « Tasca – Lang », au début des années 2000. Les artistes sont alors entrés dans les écoles, c’est par ce biais que je suis rentré avec ma compagnie dans certaines écoles de la Seine-Saint-Denis, nous avons fait des ateliers autour de Pasolini dans un Lycée Professionnel du Blanc-Mesnil, c’était passionnant. Le problème c’est que nous sommes en régression, les politiques continuent à affirmer que la relation entre l’art et l’éducation est prioritaire alors qu’il n’y a plus aucun moyen financier pour la mettre en œuvre. Tout le monde a bien conscience qu’il faut faire entrer l’art à l’école mais nous butons sur la question des financements. La culture ne nuit pas aux études, bien au contraire…

À ce sujet, on a pu voir l’initiative de Jamel Debbouze autour de l’improvisation dans les collèges…
J’ai vu ce documentaire, je l’ai trouvé passionnant, cependant je ne suis pas d’accord lorsqu’il part du principe que l’improvisation est moins excluante parce qu’il n’y a pas de rapport au texte. Je ne partage pas cette idée.

Elle l’est au moins dans un premier temps…
C’est bien si on précise qu’il s’agit d’un premier temps. Car pour moi, et ce fut le cas dans le projet 11 septembre, le rapport au texte est primordial, même si, je dois bien l’admettre, pendant les premières phases du travail, nous n’avons pas mis le texte au centre de notre travail. Il s’est imposé, peu à peu. Nous avons pu constater ensuite la fierté de tous les élèves à parfaitement maîtriser ce texte. D’être capable de maîtriser la parole d’un autre et de la transmettre. C’était pour eux une grande fierté. Je crois qu’il faut sans cesse tirer ces jeunes vers le haut, non pas vers le bas, au contraire. Tout le monde peut avoir accès au texte, à la poésie… Plus nous allons vers des milieux populaires, plus les parents ont à cœur la réussite scolaire de leurs enfants. Contrairement à ce qu’on pense, ces parents ont à cœur de faire en sorte que leurs enfants réussissent pour le mieux. Et parfois, ces parents craignent d’envoyer leurs enfants vers des études dramatiques, pensant, au fond, qu’il ne s’agit pas de vraies études. Ce qui n’est plus le cas des familles plus bourgeoises, où l’épanouissement de l’enfant est au centre des préoccupations.

D’où l’importance d’exemples, comme Sami Bouajila, Roschdy Zem, Tahar Rahim…
Mais cela ne suffit pas. Sais-tu, par exemple, que le nombre d’étudiants en lettres modernes à l’Université Jean Monnet est en chute libre ? Paradoxalement, le nombre d’élèves candidats aux écoles d’art, je parle là de toutes les écoles d’art, n’a jamais été aussi élevé, c’est un vrai paradoxe. Nous recevons à l’école de la Comédie, chaque année 500 candidats pour 10 places. Dans les milieux aisés, l’idée qu’un enfant puisse entreprendre des études pour devenir artistes est entrée dans les mœurs, c’est moins le cas dans les milieux populaires. On constate cette tendance dans l’origine sociale de nos jeunes candidats.

Où en est-on des travaux de la nouvelle Comédie ?
Les travaux ont commencé avec le désossement de la partie actuelle. Une autre partie sera conservée, notamment la charpente métallique. Toute la dépollution du site a eu lieu, également, le traitement des peintures au plomb, le désamiantage… Tout cela est terminé et la phase de construction du gros œuvre va pouvoir démarrer.

Le planning est donc respecté ?
Tout à fait, nous sommes dans les temps. Pour une livraison prévue dans deux ans, début de saison 2016-17 pour l’ouverture au public. La saison prochaine sera entière programmée ici à Tarentaize, puis la saison suivante, il y aura un basculement en cours de saison.

As-tu l’assurance de faire la liaison ?
Oui. On sera sur la fin du second mandat qui court jusqu’à fin 2017.

Tu pars toujours sur un cycle de trois mandats ?
Oui, un premier de 4 ans et deux de trois ans. Soit 10 ans. Dans ma tête, depuis le début, je suis pour 10 ans à Saint-Étienne. Après il faut que ce soit 10 belles années…

Est-ce un privilège de diriger un CDN par rapport au fait de diriger une compagnie ?
Je n’utiliserais pas le mot privilège, je dirais plutôt que c’est une chance que de pouvoir diriger un CDN. Après, il faut diriger un CDN lorsqu’on en a vraiment le désir et la capacité. L’erreur serait de croire justement qu’il s’agit d’un refuge économique. Mais il faut avoir l’expérience pour gérer ce type de maison, assez complexe. J’ai eu la chance, avant de prendre la direction ici, d’être artiste associé à un CDN, à Amiens, à Reims puis à Saint-Quentin-en-Yvelines, et de pouvoir observer la manière de fonctionner d’une telle institution. J’ai pu voir et observer les directeurs des ces établissements.

Bien que tu aies été nommé assez jeune…
Oui, mais il y a eu des gens nommés encore plus jeunes. Il est important de ne pas non plus céder aux effets de mode et de ne pas nommer le jeune artiste du moment. Je crois que si j’avais été nommé plus tôt, je n’aurai pas eu la capacité de gérer une telle charge. Je crois qu’il faut être nommé en fonction d’un vrai projet et d’une personnalité. Enfin, j’ai eu la chance d’être nommé dans une ville qui me ressemble.

En quoi Saint-Étienne te ressemble ?
Il y a plusieurs choses. Le fait que ce soit une ville populaire, je comprends les gens qui sont ici, je n’ai pas l’impression de leur être étrangé et je crois que la réciproque est vraie. Les gens n’ont pas la sensation que je joue un rôle. J’ai été candidat à Reims avant, je crois que ce n’était pas une ville pour moi, avec toute cette grande bourgeoisie terrienne… J’aurai été moins à l’aise. Ici, je me sens à l’aise. Ensuite, je partage parfaitement l’enjeu de rebond de la ville. C’est un projet que je partage totalement et qui me motive. J’ai autant de fierté à faire naître « Mobydick » mis en scène par Mathieu Cruciani que de mettre en scène « Chapitres de la chute ». Le fait d’avoir rendu possible quelque chose m’a rendu aussi fier, voire plus, que si c’était moi qui mettais en scène. J’ai l’impression que pour la ville, c’est la même chose. Tout ce qui se dit ou s’écrit à mon sujet, vaut aussi pour la ville et je suis très heureux quand les Stéphanois ressentent, à travers moi, cette fierté partagée. J’ai choisi de faire du théâtre parce qu’il s’agit d’un art collectif. Je porte en moi cet esprit d’équipe que porte la ville aussi. Cela va avec mon caractère. On peut me reconnaître du dynamisme, du volontarisme, je pêche parfois de trop de volontarisme, mais je sais garder cette forme d’humilité qui sied bien à cette ville. Je ne cherche pas à tirer la couverture sans cesse vers moi. J’en parlais, il n’y a pas si longtemps, avec Fr. Bégaudeau, j’ai toujours au fond de moi, quelque part, cette forme d’illégitimité qui me colle à la peau et qui provient certainement de mes origines modestes et provinciales. J’ai vécu cela à Paris lors de mes premières mises en scène. Encore aujourd’hui, je le reconnais. Lorsque j’ai mis en scène Anne Alvaro, au début, j’étais comme un gamin avec elle… J’avais l’impression que c’était ma première mise en scène ! Je crois ici que les gens le comprennent et le reçoivent. À l’inverse d’Olivier Py, par exemple, qui porte en lui cette assurance impressionnante. Il n’a aucun complexe, il a toujours été convaincu de son talent. Ce qui n’est pas mon cas.
Au printemps dernier, la municipalité a changé. Mais tu avais pris le soin de ne point mêler de ces engagements politiques. Tu ne le regrettes pas je suppose…
Je considère que même si la Comédie est une Scop, donc une structure privée, nous remplissons des missions de service public. Je vis cela comme si je dirigeais un établissement public. Donc, même si j’ai mes propres convictions, elles ne doivent jamais rejaillir sur l’établissement que je dirige. Les enjeux de reconstruction de la Comédie dépassaient en outre les clivages politiques habituels. J’explique au quotidien à tous les élus les enjeux de cette reconstruction. C’est Michel Thiollière qui a acté cette reconstruction, c’est Maurice Vincent qui a fini par rendre un arbitrage en suivant nos préconisations, ce fut un choix politique périlleux, et c’est Gaël Perdriaux qui doit mener cette reconstruction et c’est lui qui aura le privilège d’inaugurer cette nouvelle maison. Ce sera l’un des temps forts de son mandat. La dynamique de la Comédie bénéficie à toute la ville.

Cette inauguration sera certainement le seul nouvel ouvrage d’importance de son mandat…
C’est probable, oui. Lorsque j’ai été nommé ici, je savais que j’avais très peu de temps pour faire avancer le dossier. Je savais que j’étais le seul des candidats à militer pour un transfert plaine Achille, le personnel était au courant de mes positions, il était assez inquiet. Il fallait aller vite. Aujourd’hui le scénario est bien en place et pertinent. Même si le projet du transfert et de la reconstruction de la Comédie ne sera réussi que lorsque l’avenir du site Émile Loubet sera complètement pérennisé. Et viable.

C’est le cas ?
Je le souhaite. Je le sens dans la volonté des élus actuels. Je crois qu’ils mesurent tous la portée de tous ces enjeux. Je sens, je dois l’avouer, des élus à l’écoute et qui cherchent, honnêtement, des solutions efficaces avec nous. Concernant la comédie, il n’y a pas d’opposition de principe. Ou idéologique.
Pio Marmaï, ancien élève de la Comédie, cartonne actuellement au cinéma. Un projet avec lui ?
Pour ne rien te cacher, depuis que je suis directeur, nous avons un projet mettant en scène Pio Marmaï sur la table et toutes les saisons, il est décalé à cause de son emploi du temps. Il poursuit une telle carrière cinématographique qu’il ne parvient pas encore à se dégager du temps pour le théâtre. Là encore ce matin, nous avons évoqué un nouveau projet avec lui. Je serais ravi de l’accueillir ici d’autant qu’il parle toujours en bien de nous, de la Comédie et de la ville de Saint-Étienne. Tout comme Sami Bouajila d’ailleurs. J’ai évoqué avec les élus de la ville et de Saint-Étienne Métropole, l’importance de notre école qui n’est financée ni par la ville ni par l’agglomération alors qu’elle peut être un vecteur de communication très efficace, la preuve ! Je veux que cette école se développe, elle offre le même diplôme que le Conservatoire de Paris et en 15 ans, elle s’est beaucoup professionnalisée. Nous avons mis en place ce système de classe préparatoire cette année. 9 de nos 11 élèves sortants travaillent actuellement, de partout, avec l’idée que les élèves puissent nager partout en France…

Quel sera ton prochain grand défi ?
Je pense que les grands axes du prochain mandat toucheront la question des auteurs, je voudrais sur ce point avoir un soutien particulier du public et des institutions… Nous souhaitons exporter ces auteurs vers l’étranger en réaffirmant notre volonté de rayonner à l’international. Nous avions mis de côté cette ambition internationale lors du premier mandat. Ce travail prend du temps et coûte cher. Je veux, sur ce second mandat, développer ces réseaux internationaux, nous travaillerons, à travers l’école et pendant la Fête du Livre, avec une auteure américaine qui sera en résidence chez nous. Je voudrais qu’on travaille aussi sur l’idée d’une formation continue au sein de d’école et d’offrir aux compagnies Ligériennes et Alti-Ligériennes un lieu de ressource et de stages professionnels.