Avec « Préservez-moi d’être jamais un sage » (le 11 octobre à l’horme, puis du du 16 au 19 octobre au Chok Théâtre), Alain Besset se confronte enfin à l’œuvre d’Henry Miller. Rencontre avec un acteur incontournable de la scène théâtrale stéphanoise :

En cette rentrée 2013, comment se porte Alain Besset ?
Étant en ce moment plongé dans l’univers de l’écriture d’Henry Miller, l’enthousiasme de ce « roc heureux » me contamine et me permet d’appréhender les difficultés de l’époque avec plus de sérénité.

Et comment se porte le Chok Théâtre ?
Mon équipe et celle du Verso débordent d’énergie pour démarrer cette nouvelle saison de la Ruelle, prometteuse de belles rencontres artistiques. Je dirais même qu’au Chok, nous sommes fébriles et impatients de présenter au public notre dernière création : « Préservez-moi d’être jamais un Sage ! ».

Cette nouvelle pièce porte un regard sur l’œuvre et la vie, l’une et l’autre étant étroitement liées, d’Henri Miller. Qu’est-ce qui t’intéresses plus particulièrement chez Henri Miller ?
Henry Miller est un auteur qui m’accompagne depuis la découverte de « Tropique du cancer ». J’avais 20 ans. Jusqu’à aujourd’hui, je n’ai cessé de parcourir non seulement son œuvre, mais également tout ce qui s’en rapportait. Le champ de ses investigations littéraires est si absolu que ce qui m’intéresse plus particulièrement chez lui, c’est sa façon de mordre dans la vie et de partager sa conviction « qu’il n’est au monde qu’une seule aventure : la marche vers soi-même ».

Sur internet, l’interview d’H. Miller sur son lit de mort qui ouvre la pièce est disponible. Magnifique témoignage historique qui montre toutes les facultés intellectuelles d’un homme à l’aube de sa mort prochaine… ?
Non seulement possédant toutes ses facultés intellectuelles… mais à plus de 90 ans, capable de déclarer : « Je suis vivant jusqu’au bout. Je suis un chaos. Je suis égoïste, colérique, hypocrite, menteur – je suis presque tout, sauf meurtrier… j’ai encore le temps ! » Ce témoignage bouleversant ouvre le spectacle dont le fil conducteur est également un entretien d’une humanité rare de Pascal Vrebos avec Miller à Pacific Palissades deux ans auparavant.

Tu as rencontré, je crois, l’auteur de cet entretien, Pascal Vrebos. Parle-nous de cette rencontre ?
Effectivement, lorsque nous avons terminé l’adaptation avec Cécile Besse, nous l’avons envoyée à l’auteur afin d’obtenir les droits et d’avoir son sentiment. Notre lettre qui accompagnait le document l’a particulièrement touché et il nous a proposé une rencontre. C’était magique et troublant parce qu’il utilisait les mêmes termes que Miller à son égard : « Si on se voyait ? » Depuis, nos échanges et nos rencontres sont fréquents. Pascal Vrebos, tout comme Henry Miller, est un homme débordant d’énergie et d’une humilité exemplaire, bien qu’étant un dramaturge prolifique, un homme de média, journaliste à la télévision et radio belge, rédacteur en chef de Marianne Belgique, universitaire… un super mec !

Comment présenterais-tu rapidement l’auteur et l’homme Henri Miller ?
75 000 pages ! (silence) C’est un peu la question piège, c’est tellement vertigineux qu’il m’a fallu plus de trente ans pour aboutir enfin à une adaptation théâtrale qui réponde à cette question en 1 h 30. Plus rapidement, je dirais que c’est un homme de la rue, un aventurier qui a nourri son œuvre de sa propre vie, de ses multiples rencontres sans distinction : des entraîneuses de Dancing à l’intelligentsia artistique de son époque.

Quel était son rapport aux femmes, selon toi ?
Essentiel, il le dit lui-même, s’il n’est pas amoureux, il ne peut pas écrire. Hormis le fait qu’il s’est marié 5 fois, le catalyseur de sa décision de devenir écrivain est son coup de foudre pour June, son « étoile noire ». Anaïs Nin, également son amante, contribuera à sa véritable reconnaissance. Ce qui est paradoxal, c’est qu’il fut considéré comme un infâme phallocrate par les féministes américaines alors qu’il est un précurseur de la libération sexuelle.

En quoi, Henri Miller a-t-il été un témoin majeur du XXe siècle et qu’elle est sa place dans la littérature ?
Plus que témoin, puisqu’il a été censuré, interdit, diffamé jusqu’à l’âge de soixante ans. Henry Miller est un visionnaire qui de plus va dépoussiérer la littérature. Sa pensée, avant d’être largement publiée, va circuler sous le manteau et il est indéniable qu’il a influencé les utopies de différents mouvements « révolutionnaires » comme la beat-generation. Henry Miller c’est un mélange explosif de Dostovieski, Cendrars, Rimbaud… un gangster de la philosophie.

Parle-nous de tes partis-pris de mise en scène pour cette création ?
Avec cette nouvelle création, je poursuis mes expérimentations de spectacle théâtral et vidéographique. Le fil conducteur de cette « biographie théâtrale » étant les « ultimes entretiens » de Miller avec Vrebos, j’ai imaginé que l’interviewer était venu muni d’une caméra. Et je perfore ce documentaire filmé de flash-back théâtraux qui nous font revivre les rencontres d’Henry Miller avec June à Brooklyn, Anaïs Nin à Paris…

Pour cette création, tu es assisté de deux femmes, Josiane Carle et Cécile Besse. Quels ont été leurs rôles ?
Avant tout, toutes deux ont été séduites par l’écriture d’Henry Miller. Cécile Besse, qui endosse le rôle de June, co-signe également l’adaptation de la pièce; Adaptation sur laquelle je piétinais depuis trente ans, en apportant un regard féminin, elle m’a permis d’aborder plus justement la question du rapport aux femmes de Miller… Josiane, quant à elle, m’apporte ce même regard sur la direction d’acteurs … et les lumières de sa grande expérience théâtrale.

Tu as collaboré avec certains services de l’Opéra Théâtre. Comment s’est déroulée cette collaboration ?
Merveilleusement bien, je connais Georges Florés le responsable de l’unité vidéo de l’Opéra Théâtre depuis les années 90, et c’était un bonheur pour nous deux de pouvoir à nouveau travailler ensemble depuis toutes ces années. Cette initiative a été fructueuse artistiquement et professionnellement. Je n’ai que l‘espoir que cela puisse se renouveler. Ce partenariat n’est-il pas également un symbole de la réalité des possibilités d’ouverture de cette institution à la création locale ?

Qu’attends-tu de cette création ?
Qu’elle vive !… et qu’elle inspire.

Tu crées des spectacles depuis 1992 : qu’est-ce qui a changé depuis 20 ans dans ta façon de faire ?
Malheureusement non pas depuis 92 mais plutôt 85… Je ne crois pas qu’il y ait des choses qui ont changé dans ma façon de faire ou, peut-être, y mets-je plus de tendresse ? J’espère seulement que ma façon de penser n’a pas changé et qu’elle se nourrit toujours autant de révolte.
Quel regard portes-tu sur ces 30 dernières années, des Pompiers jusqu’au Chok Théâtre aujourd’hui, sur le théâtre à Saint-Étienne ?
Pour ce qui est du théâtre professionnel indépendant, les compagnies stéphanoises sont dynamiques, les propositions artistiques diverses et de qualité. Il me semble par contre que le « taux de natalité » des compagnies se ralentit. Dans le positif la naissance d’un réel réseau « Loire en scène » depuis trois ans, (qui regroupe à présent 15 structures culturelles du département), montre son efficacité en venant de pointer la problématique des énormes disparités quant à la répartition des budgets Drac aux différents départements de la région. (répartition des crédits culturels par habitant par département : 7,41 % pour la Loire contre 54,78 % pour le Rhône). Notons également qu’enfin pour Chok Théâtre et le Verso une convention triennale quadripartite (Région, département, Ville et structure) est en cours de signature pour le fonctionnement de nos lieux. Malheureusement depuis trente ans la création théâtrale indépendante reste le parent pauvre des répartitions budgétaires des différentes institutions.

Au printemps prochain, il y aura des élections municipales. Quel regard portes-tu sur le mandat de la municipalité Socialiste en matière de culture ?
Depuis le début du mandat, de réels changements de directions de politique culturelle ont été mis en place, non sans quelques heurts. En tout cas l’initiative « culture de ville » témoigne d’une réelle volonté d’un élargissement de la culture vers les publics « empêchés » et des collaborations fructueuses et artistes locaux et structures sociales. Mais que je m’exprimerais plus longuement à la veille des échéances électorales, j’ai toujours l’esprit « Mutin » et je ne m’interdis pas de battre campagne…(rire)

D’après toi, la culture sera-t-elle la grande perdante de la crise économique actuelle ?
La culture oui, elle l’est toujours, crise ou pas, l’Art non, car il est le fruit de la création et la création n’a absolument rien à voir avec l’argent.

As-tu réalisé toutes tes ambitions artistiques ?
Je n’en ai jamais eu, je n’ai que des désirs artistiques, et le désir ne se nourrit que de vie vraie. Puissais-je donc créer jusqu’à mon dernier souffle…

Au fond, as-tu été sage dans ta vie ?
Autant que faire se peut… (rires)

Autre chose à rajouter ?
Comme disait Henry, « À bientôt et Joyeuse vie… »