BENOÎT LAMBERT, DIRECTEUR DE LA COMÉDIE DE SAINT-ÉTIENNE

Nous avions déjà eu l’occasion d’échanger avec Benoît Lambert lors de son arrivée à Saint-Étienne et de sa prise de fonction en tant que Directeur du Centre Dramatique National stéphanois. Depuis, le Covid est passé par là. Et le spectacle vivant, comme tous les métiers du monde culturel, a souffert de ne pas pouvoir recevoir son public. Chacun sait qu’à Saint-Étienne le théâtre occupe une place fondamentale. Il était donc important de prendre des nouvelles de la Comédie et de dire et redire que les lieux culturels vous attendent. Ils sont sûrs, parfaitements organisés pour vous accueillir dans les meilleures conditions, et surtout, ils proposent une programmation exceptionnelle. Benoît Lambert nous en donne d’ailleurs un aperçu, tout en nous présentant sa nouvelle création :

Déjà un retour sur l’Avare. Une reconnaissance unanime de la presse et du public. Vous vous attendiez à un tel accueil ?

C’est vrai que ça aura été un moment particulièrement heureux, malgré le contexte encore très perturbé dans lequel nous avons créé. On espère toujours qu’un spectacle va rencontrer le public, mais sincèrement je ne m’attendais pas à ça ! Et j’avoue que je suis ravi que cette première rencontre avec le public de la Comédie, mais aussi avec toute l’équipe du théâtre, se soit déroulée de cette façon-là.

 Vous revendiquez une certaine filiation sur l’esprit théâtral avec Jean Dasté, notamment l’accès à la culture, le partage et la solidarité. Quel est selon vous le rôle du spectacle vivant ?

C’est une question profonde, mais aussi délicate, à laquelle on court toujours le risque de répondre par des généralités ou des banalités. Pour faire simple, je crois que le théâtre, et l’art en général, favorise d’abord l’élargissement de nos imaginaires. Nous avons besoin d’imagination, peut-être surtout en ce moment. Et je reste persuadé que les idées nouvelles s’inventent dans les lieux de culture, et qu’elles profitent ensuite à des tas de dimensions de l’existence, qui n’ont aucun rapport avec l’art à première vue. Dasté disait que le théâtre est ce qui nous rassemble, nous ouvre l’esprit, nous éveille à la vie. On ne saurait mieux dire…

 La Comédie est, sous votre impulsion, impliquée auprès de nombreuses compagnies de théâtres dont AOI tout récemment dont le spectacle Feu ! semble vous avoir conquis. Une façon de soutenir l’émergence, d’élargir les horizons de la Comédie, de créer des transversalités ?

L’une des missions d’un centre dramatique national, c’est d’être particulièrement attentif à la vie artistique qui l’environne. Nous avons la chance, à Saint-Étienne, et plus globalement dans la région, de bénéficier de la présence de nombreuses compagnies théâtrales de talent, qui jouent un rôle essentiel dans la vitalité du territoire. Avec Sophie Chesne, la directrice adjointe de la Comédie, nous réfléchissons activement à la façon dont nous pouvons devenir un lieu ressource pour ces équipes : comment accompagner leur travail ? Comment leur donner de la visibilité ? Nous avons commencé dès notre arrivée à soutenir certaines d’entre elles, mais dès la saison prochaine, nous ferons de nouvelles propositions pour répondre encore davantage à ces questions. Mais nous aurons sûrement l’occasion d’en reparler…

Aujourd’hui, après deux ans de pandémie, et un monde qui semble peu à peu se réorganiser, avez-vous le sentiment que le monde d’après, pour reprendre cette expression, sera celui de la culture ? Est-ce encore possible après tant de restrictions ?

Je ne sais pas si le monde d’après sera celui de la culture… Je crains de toute façon qu’il ne soit pas si différent du monde d’avant, au moins dans un premier temps… Mais les effets des crises sont souvent des effets de long terme, et je ne prendrai pas le risque de faire des prévisions, ou des prédictions ! Je me contenterai donc d’une remarque : il est certain que cette période inouïe aura accentué encore davantage la place du numérique et des écrans dans nos vies, ce qui n’est pas sans poser de nombreux problèmes. Mais je ne sais pas s’il y a là matière à inquiétude pour le champ de l’art vivant : je constate avec joie que le public n’a pas déserté nos salles, bien au contraire. Et que la jeunesse de notre pays témoigne toujours d’un grand désir pour le théâtre, et sa pratique, contrairement à ce que voudraient nous faire croire les esprits chagrins. Il me semble que le théâtre propose une expérience radicale, et puissante, celle de la présence vivante, qu’aucune simulation ne réussira jamais à remplacer. En ces matières, je reste d’un optimisme absolu.

Deux spectacles, « La réponse des hommes » de Tiphaine Raffier et « Pour autrui » de Pauline Bureau vont avoir lieu en mars. Vous pouvez nous en dire quelques mots ?

Tiphaine Raffier et Pauline Bureau appartiennent toutes les deux à cette nouvelle génération d’autrices et de metteuses en scène qui ont contribué à faire énormément bouger les lignes de la création théâtrale au cours des dernières années. Même si leurs travaux respectifs sont absolument singuliers, je pense qu’elles partagent l’une et l’autre un goût commun pour les récits d’aujourd’hui, et qu’elles sont très inspirées par la culture dans laquelle elles ont grandi, celle du cinéma notamment, mais aussi des séries, qui ont ouvert des nouvelles façons de raconter. Ce sont des femmes puissantes, qui n’ont pas peur des grands plateaux, des distributions nombreuses et du spectaculaire. Elles développent un théâtre amitieux et généreux, marqué par un sens renouvelé de l’image, de la force visuelle. Elles incarnent pour moi un vrai théâtre populaire de notre temps, et je suis particulièrement fier de les inviter à Saint-Étienne pour la première fois. J’espère que les spectatrices et les spectateurs de la Comédie vont se presser pour découvrir leurs spectacles, qui sont de véritables claques !

Aura lieu également votre nouveau spectacle Un monde Meilleur. Beaucoup de questions y sont abordées, sous une forme radicalement différente de l’Avare. De quoi s’agit-il ?

C’est un solo que j’ai écrit pour le comédien Christophe Brault, qui est pour moi un très grand interprète, l’un des meilleurs acteurs du moment. Il y avait d’abord ce plaisir-là : profiter de la présence d’un acteur, faire un gros plan sur lui, en même temps qu’un portrait. Effectivement, c’est très différent de l’Avare ! On y aborde de nombreuses questions liées à l’histoire de notre espèce, à ses origines, à son évolution. J’ai toujours eu une fascination pour le temps long, pour l’archéologie et l’anthropologie. Mais j’espère qu’on le fait avec humour, même si c’est un humour assez noir. Parce qu’il y a quelque chose de fou dans la destinée de l’humanité, quelque chose de fascinant et d’effrayant à la fois. C’est tout cela qu’on essaye de saisir, en sachant qu’en une heure, c’est totalement impossible. Mais c’est pour ça que c’est drôle.

Un monologue donc, de l’humour, de la gravité, des constats sur nos modes de vie et notre histoire commune, et une question : Comment cela va-t-il finir ? Avez-vous une réponse à cette question ?

Évidemment non ! Ça serait très présomptueux de prétendre de l’inverse. Dans le spectacle, le personnage que joue Christophe est plutôt pessimiste, mais il est aussi un peu fou, je ne sais pas si on peut vraiment lui faire confiance… Il semble persuadé que ça va très mal finir, c’est d’ailleurs pour cela qu’il vient parler, pour tenter de nous faire prendre conscience de cette fin prochaine, potentiellement abominable. Mais je ne sais pas si je suis d’accord avec lui. Bien sûr, nous avons de bonnes raisons d’être inquiets, en ce moment plus que jamais. Mais l’humanité est toujours très surprenante, pour le meilleur et pour le pire. C’est ce qui fait le mouvement même de son incroyable histoire.

Photo : Vincent Arbelet