La 31ème édition de la Fête du livre va bientôt ouvrir ses portes. L’occasion de rencontrer Marc Chassaubéné, adjoint à la culture et Isabelle Rabineau, organisatrice de cet événement incontournable pour notre ville. Cette année encore, sous le chapiteau place de l’Hôtel de ville, mais aussi place Jean Jaurès, place Jacquard etc, vous retrouverez libraires, bouquinistes, animations, auteurs, conférences, autour de cet objet si familier, le livre. Petits et grands devraient y trouver leur bonheur. Rencontre :

Déjà 31 éditions. Comment se porte la fête du livre ?

Marc Chassaubéné : Elle se porte très bien. Elle est plus que jamais jeune d’esprit puisque depuis 3 éditions maintenant nous avons proposé d’être le moteur des grandes réflexions autour des mutations du monde de l’édition. Nous avons notamment créé en 2014 « Redesign-moi un salon » avec les étudiants de l’école d’art et design de Saint-Étienne, le « Carré numérique », et on ajoute une dimension à ces deux-là cette année qui est celle des jeunes adultes ; une nouvelle génération de jeunes auteurs souvent issus du monde d’Internet et qui aujourd’hui publient de véritables best-sellers.

Pouvez-vous nous donner quelques chiffres clés ?

Marc Chassaubéné : Le budget est d’un peu plus de 450 000 €. Il n’a pas évolué. C’est un des rares budgets qui n’a pas été baissé. C’est un budget très contraint puisque nous avons l’obligation de rémunérer les auteurs maintenant. C’est une directive nationale. C’est une bonne chose sans doute mais cela contraint tout de même notre budget. Il y a aussi la question de la sécurité puisqu’aujourd’hui, sur tous les grands événements, il nous faut être très attentif et c’est un exercice complexe.

Comment cela va-t-il se passer concrètement ?

Isabelle Rabineau : C’est effectivement assez complexe, toutefois, cela fait aussi partie des mutations dans l’organisation de ces grands événements. Tout comme nous devons accueillir de nouveaux auteurs, de nouveaux types de lecteurs, notamment avec le numérique, nous devons aussi intégrer des contraintes de sécurité. Cela oblige à se poser des questions sur l’organisation d’un tel événement en centre-ville, sous chapiteau et hors chapiteau. Par ailleurs, cela a créé beaucoup de solidarité, chacun s’est senti concerné par ces questions. Nous avons des libraires, des bouquinistes, des bibliothécaires, tous ces gens connaissent bien leur univers, ainsi que le public et les auteurs. Finalement, tout le monde est intégré dans le processus de sécurité ; chacun se responsabilise.

Marc Chassaubéné : Effectivement, nous allons devoir gérer les flux de façon plus forte que les années précédentes. L’idée générale, c’est de penser à la sécurité, de l’intégrer, car c’est indispensable, mais surtout il faut que cela ne se voie pas trop. Il ne faut pas que cette notion de sécurité prenne le dessus sur l’esprit de la Fête du livre. Même si nous essayons d’être précurseurs dans beaucoup de domaines, nous voulons respecter l’esprit entrepris par Jacques Plaine, bien ancré dans le cœur des Stéphanois. C’est un événement chaleureux avant tout. L’objectif étant de rassurer plutôt que de faire peur.

30 ans de lecteurs à la Fête du livre : avez-vous des retours sur cette génération de Stéphanois qui se sont intéressés au livre, peut-être grâce à cet événement ?

Isabelle Rabineau : Lorsque nous avons repris cette Fête du livre, nous avons réussi à recréer du lien notamment avec tous les bénévoles. Je pense que nous avons réussi à retrouver l’esprit initié par Jacques Plaine. Nous avons trouvé cet esprit populaire, fraternel et en même temps de haut niveau. Lorsque nous avons l’an dernier créé le catalogue de la Fête du livre, beaucoup de gens sont venus vers nous pour témoigner de ce qu’ils ont vécu, et beaucoup nous ont dit qu’ils ont retrouvé cet aspect ludique et festif. C’est la célébration de la culture pour tous.

Marc Chassaubéné : C’est une chose que l’on défend. Lorsqu’on fait la conférence de presse parisienne, on insiste sur le fait que c’est une fête et non un salon. Ce qui change tout.

Est-ce que durant l’année, la municipalité prévoit ou entreprend déjà des actions à destination notamment des plus jeunes ?

Marc Chassaubéné : En effet, nous avons lancé beaucoup de réflexions autour du livre et de la lecture. Isabelle parlait des « Mercredi du livre ». C’est un des éléments marquants de cette politique. Nous travaillons très largement à la question des ateliers d’écriture. Isabelle s’est beaucoup occupée de ce sujet-là dans les précédentes éditions. Cela demande beaucoup de rencontres régulières avec les médiathèques. Notre objectif est de formaliser clairement une politique du livre et de la lecture, organiser les dates d’atelier et de pouvoir présenter dès cette année des rendez-vous réguliers. Nous nous interrogeons en même temps sur les métiers des médiathèques et sur l’avenir même de ces métiers. Ce ne sont plus seulement des lieux où nous empruntons des livres. C’est plus que cela. Les médiathèques ont un rôle social à jouer et un rôle politique au sens noble du terme. On vient dans les médiathèques comprendre le monde qui nous entoure et partager des réflexions avec les professionnels qui ont une vision large de cet univers. Isabelle connaît bien tout cela à travers les ateliers « Raconter la vie ».

Quelles seront les grandes nouveautés et les grands rendez-vous de cette édition ?

Isabelle Rabineau : Nous recevons de très grands auteurs internationaux autour du polar. Il y aura Jim Fergus, qui vient de Chicago : c’est quelqu’un qui vient très peu en France et nous sommes très heureux de le recevoir. Caryl Férey, un grand auteur français qui vient de publier « Condor ». Beaucoup d’auteurs Bd comme Bourgier, Loustal, Kriss, Tronchet, Chauzy… Il y aura aussi Roger-Pol Droit qui donnera une conférence à l’université et qui présentera son livre « Comment marchent les philosophes », un ouvrage autour de la marche et de la pensée. On recevra Douglas Kenedy, auteur d’un polar mais plus intime, une réflexion sur sa vie, sur son fils autiste… Il sera présent à l’auditorium du siège Casino, une journaliste du magazine Elle animera la rencontre. C’est une façon aussi de mettre en évidence le travail avec nos partenaires. Tonino Benacquista sera là également, Jean Teulé… Bref une très belle programmation.

Marc Chassaubéné : Le rendez-vous avec les auteurs d’ouvrage dits de « jeunes adultes » sera aussi très important pour nous. « Design-moi un salon » revient avec cette année une proposition d’écriture collaborative numérique. Nous sommes vraiment dans une réflexion sur l’écriture de demain. Les auteurs de romans « jeunes adultes », pour revenir à eux, ont vraiment révolutionné le circuit de l’édition. Ils ont d’abord séduit les lecteurs sur Internet, des gens qui sont souvent de la même génération. Ensuite les éditeurs se sont réappropriés le phénomène. C’est un petit peu comparable au monde de la musique qui a subi les mêmes mutations il y a quelque temps avec les sites de financement participatifs qui permettent à des artistes d’émerger avant que les maisons de disques ne s’en emparent. C’est ce qu’a vécu aussi la presse avec la transition numérique. Aujourd’hui dans le monde du livre, le numérique a pris beaucoup de places par rapport au circuit traditionnel. Ces auteurs seront présentés place Jean-Jaurès dans un espace aménagé comme un appartement et qui sera installé dans un bus ; un appartement tout simplement parce que ces auteurs ont un rapport différent avec les lecteurs. Ils sont accessibles en permanence grâce aux réseaux sociaux et cela partout dans le monde. C’est un rapport direct qui change du rapport institutionnel entre l’auteur et le lecteur. Ce qui est intéressant finalement c’est qu’on se rend compte que les outils numériques ont contribué à augmenter le temps de lecture des jeunes. Ils écrivent aussi sur leurs smartphones. Le phénomène se fait naturellement alors que jusqu’à maintenant on cherchait à séduire ce public jeune. Parmi ces auteurs citons Ben Brooks, Karina Halle, Carina Rozenfield, Alain Damasio…

Isabelle Rabineau : En fait, le monde de l’édition classique évolue trop lentement par rapport à ces jeunes. Aux États-Unis on les appelle les milléniums. Ce sont des jeunes hyperactifs, bien ancrés dans leur époque et qui bousculent tous les codes traditionnels.

Puisqu’on a évoqué l’importance du numérique par rapport à l’édition papier, pensez-vous aujourd’hui que le livre tel que nous le connaissons risque de laisser la place au « tout digital » ?

Marc Chassaubéné : j’ai vécu cela dans l’univers de la presse et je pense que c’est une erreur de croire que l’un va remplacer l’autre. C’est déjà quelque chose que la musique a vécu. Le support physique existe en musique mais il s’est transformé. On achète des CDs quand on veut garder l’objet d’artistes dont on est fan et on continue à en acheter. Le marché du vinyle, on le sait tous, se développe et apporte même une valeur ajoutée. C’est la même chose en matière de presse : le numérique lui a permis d’apporter un contenu encore plus riche, différent des supports papiers. Sur les versions papier le contenu est souvent beaucoup plus développé ; sur le numérique, le contenu est beaucoup plus immédiat, varié, instantané, disponible de façon plus évidente. Il y a une transformation, mais à travers cela le papier a trouvé une nouvelle façon d’exister. Par exemple, le beau-livre n’a jamais connu autant de succès qu’aujourd’hui. Les designers s’intéressent aux livres papier de manière très forte et le numérique, lui, devient une nouvelle forme de lecture sans doute plus facile et légère. Est-ce que le numérique remplacera par exemple le livre de poche ? C’est une vraie question. Le livre de manière générale, c’est un non sujet. Dans une même journée, nous pouvons tout aussi bien lire un article sur notre smartphone et lorsque nous rentrons chez nous le soir prendre un bon livre.

Isabelle Rabineau : Ce qui est intéressant, c’est de constater que tous ces milléniums, les 15-35 ans, qui font des selfies et qui sont accros au numérique, lorsqu’ils viennent à la Fête du livre, ils font dédicacer le livre et cherche un vrai contact avec l’auteur. Souvent, ils ont tous leurs livres, souvent même dans la langue originale. Il faut savoir que ces jeunes auteurs que nous recevons sont de véritables stars, il y a un véritable engouement autour d’eux. Donc de manière générale, c’est assez positif de voir des jeunes s’intéresser grâce à eux à la lecture et à l’anglais par exemple.

Un petit mot sur la marraine de l’édition ?

Isabelle Rabineau : Agnès Martin-Lugaud, auteure de « Désolée, je suis attendue » chez Michel Lafon est une jeune auteure déjà venue en 2014. À cette époque, elle commençait déjà à être connue. Elle s’est fait remarquer d’abord sur Internet. Cela rejoint ce que nous venons de dire. Elle a été repérée par Michel Lafon qui, comme la plupart des éditeurs, cherche de nouveaux talents sur Internet. Aujourd’hui, elle publie des best sellers dans le monde entier. Son premier livre « Les gens heureux lisent et boivent du café » va être adapté au cinéma aux États-Unis. C’est quelqu’un de très proche de ses lecteurs puisque c’est grâce à eux qu’elle connaît son succès aujourd’hui. On a aussi une autre marraine pour le Festival des « Mots en scène » qui fait des romans graphiques. Il s’agit de Catel Muller. Elle vient de sortir « Joséphine Baker » chez Casterman et avait fait un très remarqué « Kiwi de Montparnasse ». C’est intéressant de l’avoir pour les « Mots en scène », car on pense encore souvent que c’est un festival très pointu et réservé à certains lecteurs ; or, on y montre de la littérature pour enfants, du roman graphique, des essais…

Cette année encore, cela se passe sous le chapiteau place de l’hôtel de ville : sera-t-il toujours le cas pour les prochaines éditions ?

Marc Chassaubéné : L’essence même de la Fête du livre et d’être très accessible. Son emplacement doit donc être central. Pour nous, c’est une priorité de conserver son lieu actuel. Sauf si évidemment les budgets ne le permettent plus. Si l’État continue à baisser ses dotations à la ville, il nous faudra réfléchir à d’autres solutions. Pour l’instant, nous tenons à conserver cet aspect populaire et donc à rester sur les places centrales de la ville.

Parlons un petit peu du off. Que va-t-il se passer de manière générale ?

Isabelle Rabineau : Il y a une chose qui me tient à cœur et que nous avons voulu faire cette année, c’est « Adopte un auteur » en collaboration avec Sainté Centre-Ville. Nous avons demandé à des commerçants partenaires si ça les intéressaient de recevoir un kit qui est en fait une affiche avec une accroche personnalisée. Ils s’engagent donc à nous présenter leurs coups de cœur. L’idée est que toute la ville suive cet événement. Il y a plein d’autres choses passionnantes autour du livre d’artiste, du tatouage, de la photo, de la création, de la science…

De manière plus générale, comment se porte le secteur des libraires stéphanois ?

Marc Chassaubéné : C’est un secteur qui se porte bien. Cela se vérifie sur le terrain en citant la librairie Croquelinotte qui vient de rénover intégralement son espace avec des designers. Nous pourrions citer aussi la librairie Lune et L’autre qui a suivi la même démarche. C’est remarquable, parce que ces libraires se remettent en question et qu’ils ont compris l’intérêt de travailler avec des designers. Isabelle travaille avec eux au quotidien et c’est aussi notre rôle politique que de les suivre. Il faut rappeler que les libraires ne sont pas que des commerçants : ce sont avant tout des passionnés de livres et de culture. C’est un acte militant que d’être libraire. Ce n’est pas un métier facile car c’est un secteur qui connaît, comme on l’a dit, beaucoup de mutations. Cela ne veut pas dire que c’est un secteur en crise mais c’est un vrai choix que de défendre cette activité-là.

La Fnac quitte le centre-ville : qu’en pensez-vous ?

Marc Chassaubéné : la Fnac connaît elle aussi des mutations importantes qui ne sont pas forcément liées au monde du livre. Leur politique est l’inverse du commerce de proximité. Ce n’est d’ailleurs pas que le cas de Saint-Étienne. On retrouve cela dans toutes les villes. Mais c’est une démarche à l’opposé des libraires indépendants que l’on connaît.

Quels sont les gros chantiers culturels d’ici la fin de l’année ?

Marc Chassaubéné : Évidemment, nous travaillons beaucoup sur l’ouverture prochaine de la Comédie de Saint-Étienne dans ses nouveaux locaux. C’est un des grands chantiers actuels et nous sommes dans la dernière ligne droite. Très bientôt, nous vous présenterons les premières esquisses de la réhabilitation de l’ancienne Comédie, qui sera dédiée au spectacle vivant et à l’éducation. Ensuite, nous commencerons à aborder un autre grand chantier, celui de la Biennale de Design 2017.

Et il y aura beaucoup à dire sans doute…