Directrice des éditions « les cahiers intempestifs », véronique gay-rosier est sur plusieurs fronts en ce moment. Nouveaux livres, nouveaux objets (box), commissaire d’exposition… Rencontre avec cette passionnée de design graphique, qui nous fait partager son actualité particulièrement intense 😉

Les Cahiers intempestifs ont fêté leurs 21 ans… Peut-on revenir en quelques mots sur cette aventure éditoriale ?

L’âge de raison, en effet, pour cette maison d’édition spécialisée en art contemporain et en arts graphiques, et surtout plus de vingt ans d’existence comme lieu éditorial de confrontation. Notre ambition première était d’offrir à chaque artiste l’occasion de penser l’œuvre d’art sous forme de livre, ce qui, au fil des rencontres artistiques, a donné naissance à une revue éponyme, des monographies et des livres d’artistes, puis à une collection dédiée aux arts graphiques.

Le prochain numéro est-il déjà dans les tuyaux ?

Oui, je travaille actuellement au quatrième volume de cette collection d’arts graphiques qui, après avoir exploré l’univers de la typographie, va se pencher sur l’espace du livre : l’évolution historique de la mise en page et l’exploration de ses créations graphiques contemporaines et toujours sous la plume d’écrivains.

Cette année, le groupe Gutenberg Networks, qui soutient les Cahiers Intempestifs, devient partenaire de la Biennale de Design ..

Oui, un véritable soutien, parce que notamment la culture visuelle et le design graphique sont fortement ancrés dans les gènes de notre maison mère. Les Cahiers Intempestifs sont une des formes d’expression de cette culture d’entreprise du groupe. Devenir grand partenaire de la biennale était une évidence pour son président, Jacques Claude, pour qui le Design est un sujet de prédilection, d’une part. Et d’autre part, logique, Gutenberg Networks, en tant qu’acteur important dans les arts graphiques, intègre le design dans tous ses métiers et utilise également l’innovation comme un levier de management et de progrès.

Parallèlement, tu as développé d’autres projets dont la « box » qui a été retenue dans le catalogue « code souvenir » et pour la biennale de design. Une consécration, une reconnaissance ?

Et exposée dans l’exposition Design map ! Le design, pour un éditeur de livres, c’est comme pouvoir jouer de la musique sur plusieurs instruments et pour la néophyte que j’étais dans le « solfège » du Design d’objet cette reconnaissance, oui, me touche d’autant plus. !

Autre actualité, le dernier ouvrage, « Des hommes de caractères 2 ». Peux-tu nous parler de ce projet ?

Nous avons effectivement dédié 2 ouvrages aux grands typographes de l’histoire : la vie librement réinventée de certains de ces créateurs, intellectuels, voyageurs, de ces ambassadeurs de l’écrit qui nous ont légué le nom d’une police, que nous choisissons, sur le clavier de notre ordinateur indifférent aux aventures cachées derrière cette simple signature. John Baskerville, par exemple, à qui Arthur Conan Doyle et Umberto Eco ont, entre autres, rendu un hommage déguisé. Il innova dans toutes les étapes de la fabrication du livre : dessinant des caractères bien sûr, mais aussi améliorant les presses ; inventant le papier vélin, sa douceur jusqu’à faire lustrer avant impression chaque feuille au fer à repasser, son contraste avec l’encre, révolutionnant la mise en page avec d’amples marges vierges.

Graveur d’inscription funéraire, il fit fortune, à trente ans, dans la fabrication de meubles japonais laqués, et pu alors se consacrer à sa passion, la calligraphie, la typographie, l’édition. Dans l’Angleterre puritaine de l’époque, son concubinage avec sa jeune servante (divorcée et mère de 5 enfants) Sarah Eaves fit scandale, et si son œuvre fut, elle aussi, récriée outre manche, elle influença, en revanche, profondément les faiseurs de livres du continent européen, Bodoni en Italie, en France la famille Didot, et impressionne encore de nos jours où, en 1990, la typographe américaine Zuzana Licko réinterprète le Romain de Baskerville et le nomme justement Mrs Eaves.

Oui, l’histoire de la typographie est vraiment pleine de ces vies hors du commun et qui émaillent, dissimulées souvent, notre culture de légendes. J’aime beaucoup Le conte tiré de l’épopée de Gutenberg : l’inventeur des caractères mobiles dépensa tant et tant pour financer l’entreprise d’impression de sa bible dite « à 42 lignes » qu’il dut emprunter de l’argent à Johann Fust. Son projet arrivait presque à terme, voilà que le créancier se présente et lui demande l’entier remboursement de la dette. Devant l’impossibilité de l’imprimeur à payer sur le champ, Fust saisit le matériel de Gutenberg et imprime pour son compte 42 bibles qu’il tente alors de vendre à Paris comme des manuscrits. Après que les Français, effarés, eurent observé la conformité surprenante des 42 volumes, ils décrétèrent qu’il s’agissait bien là d’un œuvre de sorcellerie, et donnèrent ainsi naissance au récit populaire du magicien allemand, le Docteur Faustus, qui dépassa les limites du savoir humain et vendit son âme au diable en échange de la connaissance universelle !

Y-a-t-il un « homme de caractère » qui t’a plus particulièrement  inspirée ?

C’est une question piège, mon caractère de prédilection est la Futura et en travaillant sur cet ouvrage, j’ai découvert que je n’aurais pas beaucoup aimé son créateur, mais est-ce vraiment ce qui compte ?

Pourquoi accordes-tu autant d’importance à cet univers typographique ?

Pour reprendre la facile métaphore musicale parce que la typographie (et l’espace vide qui la fait résonner) est pour un designer graphique le meilleur des instruments, non ?

Ce qui m’amène à ton actualité la plus brûlante. Tu es co-commissaire d’expositions de « Type is sexy », pour la Biennale de Design. Comment sont nés ces projets, car il y en a plusieurs ?

D’une rencontre, je dirais. Celle avec David Chuzeville, lui aussi graphiste passionné de typographie : nous nous croisions et aussitôt nous parlions de typographie, de design graphique, nous souhaitions en voir plus, à la biennale de design de Saint-Étienne notamment : nous étions trop gourmands ! Alors, un jour, nous nous sommes dits « n’en parlons plus faisons-le »! Et est née l’idée de Type is Sexy.

Peux-tu nous parler un peu de ce que l’on va découvrir ?

Via 3 thématiques cette exposition, sur 3 lieux, invite à la découverte de ce versant du design graphique souvent méconnu.

Au Fil : Type is Sexy : Art, édition, musique & typographie explore quelques passerelles entre création artistique et arts dits appliqués, entre les arts sonores et les arts graphiques notamment via le design des pochettes de vinyle, mais pas seulement… On pourra également découvrir des créations graphiques dans les domaines de l’affiche, du livre : un panorama subjectif et protéiforme. À la médiathèque de l’ESADSE Type is Sexy : helvetica mon amour présente la série photographique Utopy de Lionel Bayol-Thémines ou slogans et revendications imaginés sont déclinés en Helvetica, cette police universelle, la plus utilisée de par le monde, et à laquelle on voue un véritable culte. Enfin Type is Sexy : Intempestive esperluette, dans les locaux de Gutenberg Networks rend hommage à la ligature calligraphique résultant de l’union du « e » et du « t », dont l’utilisation varie d’une langue à l’autre, mais qui demeure l’un des rares caractères à avoir le même sens – de lien – dans toutes.

Mais Type is Sexy ce sont aussi des conférences : celles de Jean-Noël Blanc à l’école d’architecture : une sur la chaîne graphique, l’autre sur modernité et typographie ; un apéro vinyle à tendance vintage, funky, groovy, salsa avec Dj Snoo. p & Gomoy au Fil ; l’adaptation de la pièce chorégraphique City Life par la compagnie les Orteils de sable (Mireille Barlet) à la Médiathèque de l’ESADSE, Cité du Design… enfin de quoi revisiter la typographie en toute convivialité !