Formés au début des années 70 à l’école du théâtre par Jean Dasté, Maurice Galland et Ghislaine Ducerf sont revenus s’installer à Saint-Étienne en 1999 pour créer le Théâtre Libre, après un riche parcours créatif. Mais depuis quelques temps, leur théâtre indépendant connaît quelques difficultés. Rencontre :

Vous êtes installé à Saint-Étienne depuis 1999. Comment s’est déroulée votre réinstallation locale ?

Compte tenu de l’expérience acquise, nous pensions qu’elle serait un peu plus simple. Ce ne fut pas le cas. Il y avait cette idée mensongère d’un camembert toujours de même grosseur, non extensible, qui fait qu’un nouvel arrivant, fut-il stéphanois de souche, vient manger sur le dos des autochtones et devient suspect d’office. Mais nous nous sommes adaptés, et lentement, avec peu d’aide publique, le Théâtre Libre est bien présent sur notre territoire et au-delà.

Beaucoup de fantasmes, souvent largement entretenus, entourent la situation des intermittents du spectacle. Qu’en est-il au quotidien ?

Le principe de l’intermittence et plus largement de l’exception culturelle est pratiquement unique au monde, et c’est un devoir que de défendre et d’inciter les autres nations à nous suivre. Il faudra toutefois inventer une suite plus adaptée à l’avenir de la culture et que l’intermittence retrouve sous une forme ou sous une autre ses qualités de mobilité, de professionnalisme attachées aux combats des structures qui se battent pour faire vivre le spectacle (qui est bien autre chose que du spectacle !) et surtout les petites structures qui ne peuvent actuellement se passer des personnels sous le régime de l’intermittence.

Votre théâtre est actuellement en redressement judiciaire. Pouvez-vous faire un point sur votre situation ?

Nous avons choisi cette solution pour pouvoir continuer notre développement. Cela signifie quoi ? Nos dettes sont « gelées » ! Depuis le 27 janvier, nous continuons notre vie artistique et culturelle, librement, accompagnés par un mandataire à qui nous devons rendre compte de l’avancée de la mise en place de notre plan de redressement en plusieurs étapes où nous rencontrerons régulièrement les juges. Les seules contraintes sont de n’avoir plus de dettes donc de payer nos charges et de ne pas embaucher de CDI. Nous disposerons alors de 12 ou 18 mois pour élaborer notre plan et dans ce plan, nous mettrons en évidence les gains dégagés qui permettront de rembourser tous nos créanciers sur 10 ans.

Qu’est-ce qui explique cette mise en redressement judiciaire selon vous ?

Après 18 ans d’existence, dont 17 et demi à Saint-Étienne, et 10 à l’emplacement actuel, nous nous sommes toujours battus pour exister d’abord, puis pour développer nos activités avec presque exclusivement nos fonds propres qui se sont épuisés jusqu’au surendettement personnel. L’aide substantielle de Monsieur le Maire en 2015 a permis un sursaut bénéfique à notre engagement. Nos projets en cours et futurs ne pouvaient pas se monter avec sans cesse le boulet de nos dettes : nous avons donc pris la seule décision raisonnable qui nous permet de continuer.

Vous n’avez pourtant pas manqué de multiplier vos activités… ?

C’est tout à fait ce qu’il faut faire et que nous essayons d’entreprendre depuis le début. Depuis quelque temps, les pouvoirs publics ne se privent pas de nous inciter à trouver de nouvelles ressources en annonçant les baisses de subventions de la culture, ce qui est une hérésie au regard de la fragilité sociale qui grandit. Nos compétences multiples posent problème ; en France, il vaut mieux être dans un seul « tiroir » pour être compris. II faut donc s’orienter vers d’autres interlocuteurs et partenaires, notamment le public, d’autres créateurs, des associations et les entreprises.

Les difficultés que vous rencontrez sont-elles, selon vous, spécifiques au théâtre indépendant d’un point de vue général ou à une situation plus locale ?

Les deux ! Mais surtout le fait que peu de personnes responsables envisagent, dès maintenant, une refonte totale de la nécessité culturelle et de son financement ! Et j’ajouterai, associée à la recherche et à l’enseignement !

Que faudrait-il pour que le Théâtre Libre s’en sorte correctement ?

Modifier en profondeur notre stratégie financière et économique, s’entourer de partenaires artistiques et économiques qui partagent le même souci de la nécessité de la culture pour enrayer le glissement fatal vers l’obscurantisme et le délire d’une économie toute puissante. Il nous faut vite réinventer la culture, entre autres, à partir de nos mémoires et s’appuyer sur la proximité du public, sans démagogie.

Constatez-vous une mobilisation des institutions pour vous aider à passer ce moment délicat ?

Nous constatons qu’une seule personne s’est mobilisée pour nous en prenant en compte l’ensemble de notre travail, c’est Gaël Perdriau. Il sait que nous ne sommes pas du même bord, mais il a vraiment apprécié ce que nous sommes et ce que nous faisons et il a tenu parole. Encore une fois, pour nous c’est une première ! Mais cette aide est insuffisante pour une entreprise comme la nôtre, il faudrait aussi que les autres partenaires publics participent mais ce n’est pas le cas !

Qu’auriez-vous pu faire de mieux ?

Beaucoup, beaucoup de choses…S’entourer de conseillers et de personnels adéquats au fur et à mesure que nous nous sommes développés. Valoriser plus tôt, plus vite notre costumier, mieux maîtriser sans doute notre passion.

Quel est l’avenir, selon vous, des structures comme les vôtres, de petites tailles, sans grand moyen et indépendantes, comme il en existe d’autres sur la ville ?

Il y a un avenir pour ceux qui ne resteront pas dans les réseaux faits mais qui se regrouperont par affinité d’esprit et de passion. L’union fait la force mais la force ne fait pas tout, alors soyons malins et consultons dans tous les milieux où fleurent bon l’intelligence et l’envie de découvrir d’autres horizons.

Quels sont vos prochains rendez-vous ?

Précisément, la Biennale du Design. Nous avons installé pour un mois notre Boutique des Modes avec un autre créateur, Renaud Aivaliotis et des artisans de l’Irmacc, Rachel Canastra, directrice artistique au 4, rue de la République. Nous y vendons pendant un mois les créations de Ghislaine Ducerf Galland, si vous voulez porter vos rêves à votre mesure c’est à cette adresse qu’il faut vous rendre. Il y aura au Théâtre Libre, BAADA, un Malade Imaginaire burkinabé qui décoiffe, le reste de la programmation suivra comme prévu (sauf Zaza, la sorcière, reporté à la saison prochaine). Nous finirons le vendredi 23 juin par un événement puisque je réalise ma première mise en scène d’opéra avec « Didon et Énée » d’Henri Purcell avec Alexis Gipoulou à la direction musicale de l’ensemble Unacorda et Ghislaine qui réalisera les costumes.

Que peuvent faire concrètement les Stéphanois pour aider le Théâtre Libre ?

Venir nombreux assister à nos représentations, adhérer à l’association et faire un don avec déduction fiscale à la clé. Il y aura aussi une soirée de gala pour le soutien du Théâtre Libre l’un des 3 derniers vendredis d’avril : elle sera annoncée dans la presse et sur tous les réseaux sociaux.

Que vous inspire cette situation ?

C’est un magnifique défi à relever pour une transmission à une nouvelle équipe.

Êtes-vous optimiste pour l’avenir ?

Oui, en ce qui concerne notre détermination, mais très inquiet pour la suite de l’aventure humaine sur notre petite planète, si belle et si méprisée !