Au milieu des années 90, alors qu’internet, le low cost et Tripadivisor n’existaient pas, les voyages au-delà de nos frontières européennes demandaient soif d’aventure et de découverte, j’ai eu l’occasion de voyager tout un mois durant en Syrie, de Palmyre au centre du pays jusqu’à Deraa, tout au sud à la frontière Jordanienne. En effet si j’avais pu constater dans ce pays la forte présence de forces de police ou militaire, j’ai pu également voyager librement à l’intérieur du pays, sans aucun sentiment d’insécurité (ni aucune femme voilée…) ou de surveillance, pouvant nouer avec la population de réels contacts. Au-delà de la beauté des villes et des paysages, j’ai pu vérifier l’aura dont nous jouissions alors en tant que citoyen Français. « Ana françaoui » suffisait à se faire inviter pour dîner ou pour dormir sur l’ensemble du territoire.

20 ans plus tard, les temps ont bien changé. Le pays est déstructuré, détruit, ravagé… Que s’est-il passé pour que ce pays explose littéralement entre barbarie et terrorisme ? Quelques évidences qu’il convient de rappeler ici. La Syrie a toujours été l’ennemi héréditaire d’Israël. D’Hafez El Assad à son fils Bachar, le gouvernement Syrien n’a toujours pas digéré la confiscation du plateau du Golan par Israël suite à la Guerre des Six Jours. Une résolution de l’ONU datant de 1967 dénonce cette occupation illégale, en vain. Israël en toujours vu en la Syrie la marionnette de son meilleur ennemi l’Iran. Les interventions de la Syrie au Liban au profit du Hezbollah, autre ennemi héréditaire d’Israël, n’ont fait qu’aggraver le fossé qui sépare les deux états voisins. En 2010 dans la foulée du printemps Tunisien, la jeunesse Syrienne manifeste sa soif de démocratie et de liberté. Malheureusement, et on l’a bien vu ailleurs, aucun pays Arabe n’était prêt à entendre cette soif de liberté et de démocratie. Sans doute encore moins la Syrie. Le Gouvernement de Bachar El Assad réprima alors violemment cette tentative d’émancipation d’une partie de sa jeunesse qui souhaitait simplement rompre avec l’hégémonie familiale des Assad.

Mais soufflant sur ces braises incandescentes, les pays Occidentaux, États-Unis, Angleterre, France, sous l’œil approbateur d’Israël, ont manipulé cette frange de la population qui aspirait légitimement à plus de démocratie. C’est à ce moment précis qu’un accord aurait pu encore être trouvé entre le gouvernement Syrien, sourd il faut bien l’avouer à toute réforme et ce mouvement appelant à plus d’ouverture en général. Mais les positions se figèrent, et les représentants du monde libre décidèrent unilatéralement de mettre hors jeu le clan Assad en soutenant militairement, financièrement et logistiquement cette rébellion. Au-delà de la mise à l’écart du clan Assad, il était question surtout pour nos gouvernements de liquider le régime syrien pour mieux pouvoir démanteler le pays, sécuriser l’acheminement des matières premières (pétrole et gaz) et garantir une implantation américaine forte dans la région face à l’Iran et au sud de la Russie. On comprend mieux le rôle ambigu de l’Arabie Saoudite, du Qatar et accessoirement de la Turquie (hostile à toute idée d’expansion Kurde) dans le financement de l’État Islamique et des factions rebelles engagées en Syrie (en particulier le Front Al Nosra, franchise Syrienne d’Al Qaïda). Ceci fît dire à Laurent Fabius (alors ministre des Affaires Etrangères Françaises) devant des caméras de télévision le 28 janvier 2013 qu’en Syrie, « le Front Al Nosra faisait du bon boulot ». Notre Ministre, qui mériterait lui aussi pour ses aveux de faire un petit tour devant le Tribunal International de La Haye, avouait alors publiquement que notre pays finançait et armait une organisation terroriste impliquée dans la tentative de déstabilisation d’un autre pays souverain. On apprendra plus tard que nombre de dirigeants d’Al Nosra rejoindront les rangs de Daech avec finances et armes en poches.

Dans ce dossier syrien, comme dans le dossier qatari ou saoudien (deux états qui ont notoirement financé sur ordre la création et l’expansion de Daech), notre Gouvernement a systématiquement fait les mauvais choix en jouant la carte d’un alignement systématique sur la politique américaine, au nom de la démocratie et de ses valeurs. Longtemps notre gouvernement est monté en première ligne pour dénoncer également l’Iran et s’est retrouvé penaud lorsque nos chers alliés Américains ont décidé, unilatéralement, de renouer avec les autorités Perses. L’idée ici n’est pas tant de soutenir le clan Assad et la politique russe. Les Russes agissent en Syrie comme ils ont agi en Tchétchénie, ni plus ni moins. Avec brutalité et une rare violence. Avec la réussite, ou selon l’échec, que l’on connaît aussi. Mais les Russes font exactement la même chose que nos alliés Américains. Sans le marketing autour… Et c’est bien cela nous choque. Nous autres Français, dans cette partie du globe, depuis Nicolas Sarkozy et l’assassinat odieux du Colonel Kadhafi, nous multiplions, et assumons avec un rare culot (les nombreux attentats perpétrés ces dernières années sur notre sol en sont pourtant les terribles conséquences) les mauvais choix. L’ultime question étant de savoir, au fond, à qui profitent ces crimes ????