Jean-Luc Souveton interviewé par Adrien Bail

Récemment, au cinéma l’Alhambra, nous avons pu découvrir un documentaire très inspirant : « LE JEÛNE, À LA CROISÉE DES CHEMINS » de Fabien Moine. Très inspirant, cette pratique vient un peu à contre-courant des excès auxquels a conduit notre époque. Entre autres intervenants dans ce documentaire, un prêtre stéphanois, Jean-Luc Souveton, qui organise des jeûnes depuis plusieurs années et qui accompagne des initiations à cette pratique dans plusieurs pays. Il vient de publier un livre dans lequel il parle de jeûne et de méditation. Nous avons souhaité en savoir plus.

Comment est né le projet d’écriture de ce livre ?

En fait je ne suis pas à l’origine de ce projet. Cela fait déjà plusieurs années que des éditeurs me demandent un livre sur ma pratique du jeûne. J’ai longtemps refusé de le faire. Écrire demande du temps et c’est un métier. Ce n’est pas le mien ! Il y a deux ans un éditeur avait réussi à me convaincre d’essayer. Je me suis mis à l’écart régulièrement mais j’ai très vite occupé le temps initialement prévu à la rédaction du livre par la gestion du quotidien de mes activités… J’avais donc enterré le projet jusqu’au moment où les éditions Nouvelle Cité m’ont proposé de le faire sous forme d’un entretien avec un journaliste. Cette façon de faire me correspondait bien et c’est ainsi qu’est né cet ouvrage. Au départ, nous ne devions parler que du jeûne mais le dialogue m’a conduit à aborder bien d’autres sujets dont celui de la méditation et de la soif de vie qui habite le cœur de tout homme.

Concrètement, qu’est-ce que jeûner et quelles peuvent en être les vertus ?

Il y a de multiples manières de jeûner et des écoles différentes. Toutes seront me semble-t-il d’accord pour dire qu’il s’agit de se priver de nourriture tout en continuant à boire, de l’eau, des tisanes ou de petites quantités de jus de fruits et de légumes suivant les écoles. Les vertus du jeûne sont multiples que ce soit au niveau du corps, au niveau psychologique et au niveau spirituel. Le jeûne agit sur toute la personne corps, âme et esprit. Au niveau corporel c’est un travail de drainage, d’élimination et de purification dont les effets physiques positifs sont nombreux et liés à la relance de la sanogenèse, un réflexe atavique d’auto guérison qui se déclenche dans le corps et qui a des effets sur les maladies inflammatoires et les maladies de civilisation. Un livre et un film présentent clairement les vertus du jeûne au niveau corporel : Le jeûne, une nouvelle thérapie de Sylvie Gilman et Thierry de Lestrade -ARTE productions-.

Mais on peut retirer aussi des bénéfices psycho-affectifs du jeûne qui est un temps privilégié pour se mettre à l’écoute de ce qui se vit et se dit au plus profond de soi. C’est souvent tout un travail de relecture de sa vie qui s’opère pendant un jeûne et qui amène à se poser des questions essentielles comme « Quelle est ma vraie faim ? », « Qu’est ce qui me nourrit vraiment dans ma vie ? ». C’est tout un espace intérieur qui s’ouvre et qui amène à orienter sa vie de façon beaucoup plus libre et consciente, en accord avec les appels intérieurs et le désir profond de plénitude qui je le crois habite le cœur de tout homme. Le nettoyage se joue aussi à ce niveau et bien des jeûneurs font l’expérience d’une remise en ordre de leur vie, de leurs priorités, de leurs valeurs, de la mise à distance et de l’élimination de ce qui entrave leur vie. C’est tout un travail intérieur qui s’opère.

Et puis il y a aussi la dimension spirituelle du jeûne qui se retrouve dans toutes les religions, aussi loin que l’on puisse remonter. Son sens peut varier mais une même racine profonde se retrouve : plus de liberté et de partage. Devenir un peu plus libre pour aimer. Passer de la consommation à la communion. Pour les croyants, s’ouvrir au mystère d’un Amour infini, permanent, inconditionnel et gratuit qui nous précède.

De la même manière qu’est-ce que méditer et quelles sont les vertus de la méditation ?

La question est simple mais expliquer la méditation est difficile parce que c’est d’abord une expérience à vivre ! Les mots ou expressions qui me viennent sont « s’asseoir, présence, devenir, accueil »… Il y a de multiples raisons de nous asseoir. Il en est une qui est source de vie, qui nous unifie comme le font la respiration et l’abandon confiant, qui nous aide à être en lien avec nos profondeurs, à pénétrer là où il y a comme une source. Là où on découvre un roc sur lequel on peut construire, où l’on s’ouvre à une Présence, à ce qui en nous est plus grand que nous. Méditer c’est une démarche vers la profondeur de l’être afin de devenir accueil, accueil de son propre corps, accueil du monde, accueil en soi de ce qui est plus grand que « mes opinions », « mes vérités », « mes convictions », accueil de Dieu pour les croyants. Un accueil qui passe par les sens… et qui permet d’accueillir la profondeur de toute chose, de toute personne, de la création. Ça renouvelle le regard et ça change la vie !

Comment expliques-tu ce retour en force de ces pratiques, alors que depuis des milliers d’années hommes et femmes jeûnent ou méditent ?

Peut-être est-ce un retour de balancier. Pendant des décennies, il nous a été proposé d’acheter, d’accumuler, de consommer en s’appuyant sur notre incapacité de nous contenter de ce que nous avons. Il y a toujours mieux et plus performant à acquérir et pendant un temps l’illusion de trouver la paix et le bonheur dans le consumérisme a pu s’installer. Mais l’insatisfaction est toujours là et rien des produits finis ne comble la soif d’infini qui habite le cœur de l’homme. De plus cette voracité dégrade tellement la création que l’inquiétude sur la possibilité de l’avenir de la vie humaine sur la terre fait place aux années d’insouciance. Il est où le bonheur, il est où ? demande Christophe Maé. Qui nous fera voir le bonheur ? se demandait le psalmiste. Jeûne et méditation sont des chemins, des moyens pour accompagner notre quête de bonheur. Comme l’écrit le pape François dans le texte Laudato Si : « L’accumulation constante de possibilités de consommer distrait le cœur et empêche d’évaluer chaque chose et chaque moment (…) La spiritualité chrétienne propose une croissance par la sobriété, et une capacité de jouir avec peu (…) Ce n’est pas moins de vie, ce n’est pas une basse intensité de vie mais tout le contraire ; (…) On peut vivre intensément avec peu, surtout quand on est capable d’apprécier d’autres plaisirs et qu’on trouve satisfaction dans les rencontres fraternelles, dans le service, dans le déploiement de ses charismes, dans la musique et l’art, dans le contact avec la nature, dans la prière. Le bonheur requiert de savoir limiter certains besoins qui nous abrutissent, en nous rendant ainsi disponibles aux multiples possibilités qu’offre la vie. » LS 222-223. Je crois que bien des hommes croyants ou pas se retrouvent aujourd’hui dans ces lignes. Il est là le bonheur, il est là…

Tu évoques une dimension sacrée que l’on comprend à la vue de ta fonction de prêtre, mais en tant que laïc, agnostique ou athée, mon regard ou mes ressentis vont-ils être les mêmes ?

Je ne sais pas si tes ressentis sont les mêmes par contre je crois que nos cœurs sont les mêmes et qu’une même quête de bonheur, une même soif d’essentiel nous habite. Tu emploies le mot sacré et j’aime bien la manière dont en parle un philosophe français Reza Moghaddassi qui écrit : « Le sacré n’est pas ce dont on se sert mais ce qu’on sert. Est sacré ce pour quoi et par quoi l’homme cherche à donner le meilleur de lui-même, ce qui est suffisamment digne pour que nous soyons prêts à lui sacrifier notre intérêt particulier et jusqu’à notre vie. On reconnaît les assoiffés de l’essentiel à cette humilité et à ce sens de la verticalité. La référence à l’idée de verticalité ne présuppose pas, encore une fois, la vérité d’une religion révélée. Tout homme en quête d’une vie profonde et qui cherche à grandir en humanité est naturellement conduit à s’incliner devant ce qui se manifeste comme suffisamment précieux pour être poursuivi et servi ». Finalement je crois que lorsque nous nous inclinons, l’un et l’autre, devant ce qui se manifeste dans nos vies comme suffisamment précieux pour être poursuivi et servi, nos ressentis doivent être proches.

Tout le monde peut-il se lancer dans ces pratiques sans crainte ?

Sans crainte oui mais pas sans accompagnement. Je crois que c’est important d’être initié par des personnes qui ont déjà l’expérience du jeûne et de la méditation et qui peuvent transmettre les trésors des traditions et l’apport des recherches récentes sur ces sujets.

Un dernier mot ?

Le mot de la faim 🙂 … de cette faim d’essentiel qui a conduit un sage à écrire dans le livre du premier testament que « l’homme ne vit pas seulement de pain… » A chacun de compléter la fin de la phrase.