la galerie des Limbes (7, rue henri barbusse) organise Une exposition jusqu’au 28 mai et qui propose un regard singulier sur les mécanismes des divers systèmes économiques, sociaux et politiques actuels. Rencontre avec Blandine Gwizdala qui a conçu cette exposition :

Pouvez-vous nous présenter le lieu Les Limbes qui accueille cette exposition ?

Les Limbes est un lieu d’art contemporain dynamique situé rue Barbusse à Saint-Étienne et qui fonctionne encore avec peu de moyens mais qui propose beaucoup ! Ateliers, performances, lectures, expositions… c’est un lieu associatif qui s’est vraiment professionnalisé depuis sa création en 2012 et surtout, qui laisse à l’expression toute sa liberté, ce qui devient de plus en plus rare aujourd’hui, les cahiers des charges étant souvent lourds – presque absurdes, laissant peu de place à la créativité. Je suis très heureuse d’y avoir été invitée, je remercie Akim Pasquet et toute l’équipe des Limbes qui ont soutenu ce projet et nous ont aidés à monter l’exposition.

Comment avez-vous conçu cette exposition collective ?

Mes textes sont toujours le fruit d’un cumul d’observations sur ce qui m’entoure et d’expériences personnelles. Je partage une vision intime sur des questions universelles qui m’importent comme l’amour, la nature, la liberté, la place de l’Homme dans sa société. Ça faisait longtemps que j’avais envie d’écrire quelque chose sur ce que nous étions en train de vivre actuellement dans cette sorte d’époque transitoire et un peu folle. Mes recherches m’ont amenée à cette conclusion qui me semble fondamentale, à savoir considérer désormais l’Homme comme une espèce vivante menacée.

Comment avez-vous choisi les artistes qui participent à cette exposition ?

Je crois qu’il existe des familles de pensée et que les membres se retrouvent un jour et se reconnaissent. Il n’y a pas vraiment de hasard. Ici, nous travaillons tous sur des thématiques semblables dans une certaine esthétique. J’ai eu l’opportunité il y a quelques années de rencontrer Jean-Michel Alberola et de travailler avec lui sur plusieurs projets artistiques en découvrant au fil du temps ses réflexions, c’est un artiste brillant que j’admire beaucoup. Je suis le travail de Clément Bailleux et de Franck Lestard également depuis longtemps, j’apprécie particulièrement la peinture faussement naïve de Clément – qui pour l’anecdote fabrique lui-même ses couleurs à base de divers pigments, et la façon dont Franck sait jouer de l’esthétique lisse d’un dessin au profit d’une image subliminale sombre et extrêmement forte. Et puis, il y a récemment eu d’heureuses rencontres. Avec Samuel Buckman tout d’abord, un artiste protéiforme au langage littéraire, qui sait utiliser le mot et traduire dans ses vidéos et ses dessins toute la poésie du monde ! Avec Jean-Xavier Renaud ensuite à l’aquarelle facile, à la peinture franche ; Il fait partie de ces peintres qui prennent plaisir à puiser dans toutes les peintures de l’histoire et à combiner tout ça librement sur toile ou sur papier, il sait justement rendre compte de la plus incroyable beauté comme de la plus pathétique laideur. Enfin avec Rémi Voche, un homme des bois à la pensée élégante et si créative : ses photos, ses performances et ses vidéos sont empreintes de liberté, d’humour, d’amour et d’un je-ne-sais-quoi un peu sorcier… Il était facile de choisir ! Je les remercie d’avoir accepté de participer à ce projet et d’avoir apporté autant à l’exposition par leur réflexion et leur engagement.

Ces artistes ont tous un parcours et des modes d’expressions différents. Qu’est-ce qui les unit au fond (ou les différencie) ?

Tous ont en commun cette foi qui les tient. Foi en l’art, en la vie, en l’Homme, en la beauté. Je crois que c’est ce qui les unit. Ils possèdent une réelle sensibilité à leur environnement, très forte, ils ont d’ailleurs tous une vraie personnalité ! C’est ce qui fait que leurs œuvres sont si belles, si pleines. Bien sûr, ils l’expriment tous différemment, car chacun détient ses propres références, son propre langage et une vision singulière. C’est une richesse extraordinaire.

Le questionnement de l’artiste sur son environnement (ou la nature) est plutôt récent dans l’histoire. Peut-il en être autrement maintenant ?

Je crois que ça a particulièrement commencé dans les années 50 en plein boom de la société de consommation, les artistes ont bien senti que quelque chose allait changer, et pas forcément pour le mieux. Les œuvres produites à cette époque en sont les vaillants témoins, que ce soit pour dénoncer frontalement cette nouvelle société ou pour la contourner et revenir aux sources en montrant toute la beauté de la nature et ce qu’elle peut offrir, simplement. Car on a tendance à oublier que la nature est belle, ça semble évident écrit ainsi mais je crois que l’on considère la nature comme acquise et éternelle. Or ce n’est pas le cas. Cette beauté est fragile et il faut en prendre soin. C’est encore un espace de liberté, de spontanéité, d’émerveillement infini qu’il est nécessaire de préserver. La vie est précieuse ! Toutes les formes de vie. C’est donc aussi prendre conscience que l’Homme est un produit de la nature et qu’on ne peut plus se permettre aujourd’hui de l’ignorer. Il faut replacer l’Homme au centre et veiller à ce qu’il s’épanouisse au mieux dans son environnement naturel, social, professionnel – il n’est plus possible aujourd’hui d’évoluer dans des environnements déshumanisés qui altèrent profondément notre patrimoine. Comment en est-on arrivé à créer dans certaines entreprises un « vendredi sans mail » pour encourager les employés à se rencontrer et se parler réellement ? Récemment, j’ai vu que le « rehoming » aux États-Unis permet à une famille adoptive de faire réadopter son enfant en publiant une annonce sur internet, car « il ne convient plus ». On entend quotidiennement les drames survenus sur les lieux de travail, les suicides de salariés, les burn-out, les conditions de travail épuisantes et dévalorisantes partout dans le monde, mais aussi des conditions de logement inappropriées aux règles élémentaires d’hygiène et de vie, la malbouffe, faut-il parler des conditions éprouvantes des réfugiés, de ces individus ceinturés de bombes, des inégalités raciales et sexuelles ? La liste est très longue, affreusement longue et ces drames se banalisent, de même que nous banalisons ces événements dramatiques lus et entendus au fil de la journée et maintes fois commentés. On sent qu’on approche d’une certaine limite et qu’il faut vraiment trouver des solutions cette fois-ci. Dans ses photographies et ses vidéos, Rémi Voche montre parfaitement le besoin de l’individu de se rapprocher de la nature afin d’y retrouver des repères et de revenir à une certaine essence salvatrice. Les artistes veillent et n’ont jamais cessé de raconter ce qu’ils voient et comprennent de notre monde. Traiter de la condition humaine n’est pas une idée neuve. C’est à nous d’ouvrir les yeux.

En quoi cette exposition revêt-elle une dimension politique et sociale ?

Le fait est que nous évoluons dans un système politique et économique saturé. Les imbrications et les interdépendances paralysent notre société et empêchent le bon développement d’idées nouvelles, la mondialisation est arrivée à épuisement. On ne peut plus suivre ce modèle aujourd’hui, il ne fonctionne pas, il est néfaste à la fois pour la planète et pour les Hommes. Il est temps de réinventer un modèle, de s’inspirer de nos erreurs et de progresser. Nous pouvons le faire. Nous le faisons déjà, il y a de nombreuses initiatives individuelles qui fonctionnent, pour l’instant, et se développent naturellement à plus grande échelle. Le revenu universel, l’autosuffisance alimentaire et en énergie, le travail collaboratif, le partage de connaissances…sont des idées prometteuses et synonymes de progrès. Les mentalités doivent évoluer en ce sens, il suffit de voir le monde sous un autre angle, même si ce n’est pas facile ! C’est dur de se débarrasser de mauvaises habitudes viscéralement ancrées en nous depuis des générations ! Et puis évidemment tout est économico-politique, car qui prend les décisions aujourd’hui ? « La question du pouvoir est la seule réponse » ! Malgré tout, cette exposition n’est ni une exposition moraliste, ni un manifeste politique, elle est même très clairement apolitique car ce sujet va bien au-delà, on parle ici de vie et comment nous voulons la vivre en tant qu’être humain.

Qu’attendez-vous de cette exposition ?

Cette exposition est une exposition optimiste. Certaines des œuvres présentées peuvent être frontales, un peu dures, mais c’est pour mieux exorciser ce qui nous touche, et aller de l’avant. Si elle peut participer à nous questionner davantage sur notre environnement et notre condition en tant qu’être humain, alors c’est bien ! J’attends aussi de cette exposition qu’elle soit un beau moment artistique et j’invite les visiteurs à prendre le temps de voir la poésie derrière chacune des œuvres proposées.